Robert Hue quitte le Conseil national du PCF (interview et lettre à Marie George Buffet)

lundi 1er décembre 2008.
 

DEUX FOIS candidat à l’élection présidentielle (il a obtenu près de 9% des suffrages en 1995 et seulement 3,37% en 2002), Robert Hue a été secrétaire national du PCF de 1994 à 2001 et en a été le président de 2001 à 2003. Il est aujourd’hui sénateur du Val-d’Oise et président de la Fondation Gabriel-Péri.

Il reste, en 2008, une de figures d’un parti en crise. Sa décision — qu’il annonce dans une lettre en date du 26 novembre, adressée à Marie-George Buffet—de quitter le conseil national du parti ressemble, du coup, à une petite bombe politique. D’autant qu’elle intervient juste avant l’ouverture du 34e congrès du parti et qu’elle est accompagnée d’attendus très sévères. Pour Hue, le parti reste trop marqué par la « dogmatique stalinienne » et la « matrice bolchévique de 1920 », et il est incapable de « s’autotransformer ». Hue assure qu’il n’est pas devenu socialiste, mais il se dit décidé à vivre son communisme « autrement ».

A quel moment précis avez-vous décidé de quitter le conseil national du Parti communiste et, au-delà, de « prendre vos distances » avec le parti pour, probablement plus tard, rompre avec lui ?

Robert Hue. Ma décision a été mûrement réfléchie. J’ai bien pesé ce qu’elle signifiait pour moi, pour les communistes, pour les femmes et les hommes de progrès. Dans l’exercice de mes responsabilités au PCF, j’ai conduit - ou tenté de conduire - une mutation dont j’espérais qu’elle permette à notre parti de retrouver une réelle influence à gauche et dans la vie politique française. Cette mutation a échoué, mais elle a eu cependant des résultats importants. Je n’en citerai que deux : d’une part, la réhabilitation pleine et entière de toutes celles et de tous ceux que le parti avait exclus ou poussés à partir ; d’autre part, la reconnaissance des « sensibilités », des courants si vous préférez. Jusqu’en 1994, quiconque affichait une position divergente de celle de la majorité était écarté ou devait s’écarter. Grâce à nos efforts, il est aujourd’hui plus difficile de faire taire les différences au sein du parti. Je constate cependant, et je le déplore, de sérieuses régressions par rapport à l’époque où j’étais secrétaire national.

Vous quittez donc l’instance dirigeante du parti dont vous avez été longtemps le patron...

Si je la quitte, c’est aussi parce que je ne me retrouve pas dans les orientations stratégiques de ces dernières années. Je me suis, pendant une longue période, interdit de les commenter publiquement. Aujourd’hui, à quelques jours du congrès, je fais part de ces désaccords à Marie-George Buffet et aux communistes. Mais je n’abandonne ni mes convictions ni les valeurs qui fondent mon engagement : celles des centaines de milliers de mes camarades depuis 1920. Je serai désormais communiste autrement.

Vous dites qu’il n’est possible ni de « réformer le PCF » ni de parier sur son aptitude à « s’autoréformer » et qu’il faut en finir avec le « fétichisme » du mot communisme. Mesurez-vous que votre prise de conscience sera jugée historiquement tardive ?

En disant cela, je prends mes responsabilités, et je le fais avec gravité. J’ai beaucoup réfléchi et ma réflexion a été, naturellement, très en appui sur mon expérience de près de dix ans à la tête du Parti communiste. Je ne me dispense d’aucune critique : la mutation fut sans doute trop marquée de volontarisme et trop « tirée d’en haut ». Mais je vois aussi que d’autres obstacles ont rendu la tâche extrêmement difficile, qui sont le produit d’une tradition, d’une culture que je redoute figées. Je ne sais pas si je suis, historiquement, en retard. Je sais simplement, j’insiste, que j’avais besoin de réfléchir à tout cela, et je m’en suis donné le temps. Ce que j’ai entrepris au milieu des années 1990, je l’ai fait parce que j’y croyais, même si - compte tenu de l’ampleur des transformations à accomplir et des obstacles auxquels j’étais confronté - le doute m’habitait parfois. Je ne regrette rien.

« Je ne crois pas que le parti soit réformable »

Le temps est donc venu aujourd’hui, pour vous, de tirer les conclusions de ce que vous avez vécu ?

Au terme d’une longue période de réflexion, je me sens confirmé dans les doutes que j’avais en débutant la tâche immense que je m’étais imposée : je ne crois pas, désormais, en dépit de la richesse humaine et du dévouement de milliers de militantes et militants communistes, que le parti soit réformable.

Est-il temps, à vos yeux, de reconsidérer le bilan de la « gauche plurielle » ? Vous suggérez que c’est une commodité pour les communistes d’attribuer la responsabilité du déclin du parti à cette alliance...

Le déclin du PCF a commencé bien avant 1997 et le gouvernement de la gauche plurielle. Bien avant l’implosion de l’Est. Il s’est produit par érosions successives, avec des décrochages plus marqués et de plus en plus répétés depuis 1981. Il tient à la crise du communisme, elle-même entamée à la charnière des années 1920-1930 avec l’ascension de Staline et la liquidation, partout, de toute opposition interne. Je ne nie pas que l’échec de la gauche plurielle ait joué dans ce déclin, mais il reste, selon moi, très marginal.

Vous revendiquez donc le bilan - pourtant contesté par les communistes - de cette « gauche plurielle » ?

Le gouvernement de la gauche plurielle entre 1997 et 2002 est désormais un objet de l’histoire. Or, l’histoire ne relève pas du principe de la balance : sur un plateau le « bon », sur l’autre le « mauvais ». Il est faux de prétendre que le PCF n’a pas agi pour combattre certaines mesures prises par une équipe dans laquelle le PS dominait. Rappelez-vous : j’ai alerté Lionel Jospin et nos alliés sur les risques d’échec. « La gauche va dans le mur », ai-je moi-même déclaré en 2001. Par ailleurs, il faut se poser deux questions. Primo : pourquoi la droite, une fois revenue au pouvoir, s’est-elle empressée de revenir sur nombre de réformes introduites par la gauche, comme les 35 heures ou la loi sur le contrôle des fonds publics que j’avais fait voter, et qui serait bien utile aujourd’hui ? Secundo : la France de 2002 ressemblait-elle à la France de 1997 ? La parité, le Pacs, les 35 heures et les RTT, la CMU... Est-ce que la société, durant ces cinq années-là, a changé ou non ? En la circonstance, je ne pense pas qu’il soit judicieux de faire table rase du passé. J’ajoute, face à la violence de l’offensive antisociale de Nicolas Sarkozy, que, pour moi, oui décidément, la gauche et la droite, ce n’est pas la même chose.

Ne seriez-vous pas, pour autant, devenu social-démocrate ?

Sans aucune ambiguïté, non ! Ma conviction, c’est qu’il existe à gauche un espace entre un communisme plus ou moins dogmatisé ou une extrême gauche strictement protestataire et une social-démocratie s’accommodant pour l’essentiel du capitalisme. Et je travaille à faire des propositions constructives, susceptibles de sortir la gauche de cet enfermement (http://roberthue.wordpress.com) . D’ici quelques jours, je m’exprimerai à ce sujet publiquement. Je ne vois pas plus Obama que Sarkozy réformer le capitalisme dans un autre but que le consolider.


Chère Marie-George,

Tu as souhaité connaître ma décision quant à mon appartenance au Conseil national du Parti Communiste à l’issue du 34e congrès.

Aujourd’hui, à la veille du congrès, je veux t’annoncer ma décision de quitter le Conseil national du parti. Je mesure la gravité de ce choix politique, mûrement réfléchi, compte-tenu que je fus, avant toi, secrétaire national puis président du parti.

Et, disons-le, jusqu’à ce jour cette pratique n’était pas dans nos traditions.

Il s’agit pour moi d’une question majeure. A travers ma réponse – au caractère transparent et public – je veux sortir de mon silence pour te faire part de quelques unes des réflexions qui fondent mon choix.

En retrait de la scène politique nationale ces dernières années, je n’ai pas souhaité, tu le sais, intervenir sur les choix stratégiques du parti, leur mise en oeuvre, les résultats qui en ont découlé, sans pour autant m’exonérer d’aucune réflexion critique.

Ni à propos de mon action, durant 9 ans, à la première responsabilité du Parti communiste français et de l’effort de mutation que j’y avais engagé. Ni à propos des enseignements des deux scrutins présidentiels, à l’occasion desquels j’ai eu l’honneur d’être le candidat des communistes. Je pense à la remontée de notre influence en 1995, avec 2 millions 600 000 voix et près de 9 %. Mais aussi à l’échec douloureux de 2002, avec seulement 3,37 %. De ce dernier résultat, j’avais tiré l’enseignement démocratique qui, me semble-t’il, s’imposait en m’éloignant de mes fonctions politiques de premier plan, et en refusant d’organiser autour de ma sensibilité, à l’intérieur ou hors du parti, une structure qui aurait rassemblé tout ceux qui avaient soutenu mes efforts.

C’est pendant mes mandats que les communistes ont participé durant 5 années au gouvernement de la France. La plus longue expérience gouvernementale de communistes dans un pays occidental. Malgré les échecs de la gauche plurielle auxquels il serait erroné d’attribuer une part démesurée de notre déclin électoral, je reste convaincu que ce choix constructif était alors le plus conforme à notre responsabilité historique, et que le bilan de nos ministres fut à bien des égards positifs. Je pense, en outre, que l’échec de cette expérience n’était pas inéluctable.

Dès mon arrivée à la direction du parti – à peine 5 ans après l’effondrement du soviétisme – j’ai proposé aux communistes français d’engager un immense effort de mutation, c’est-à-dire une série de transformations profondes dans l’identité même du parti. Cette véritable révolution dans notre culture visait non seulement à dégager le communisme français de l’image soviétique d’un socialisme étatique et liberticide et de son dramatique échec mais aussi, et surtout, à rompre avec la dogmatisation stalinienne de nos pratiques, calquées sur la matrice bolchevique de 1920.

Cet effort de mutation entrepris à la fin des années quatre-vingt-dix – dont l’une des faiblesses essentielles fut certainement d’être tiré « d’en haut » et marqué d’un volontarisme excessif – s’est heurté de plein fouet à une culture communiste enfermée, consciemment ou inconsciemment, dans un modèle politique inadapté et conservateur. A cela s’est ajoutée sans aucun doute la confusion – délibérément entretenue par certains – entre notre mutation et la politique de la gauche plurielle, marquée de l’hégémonie socialiste.

Puis- je avouer, que mon volontarisme d’alors n’était que l’expression d’un sérieux doute quant à la possibilité de réformer le P.C.F. ? N’était-il pas trop tard ? Ma réponse aujourd’hui, si douloureuse soit-elle, est que ce doute était fondé.

Cela ne signifie pas à mes yeux – contrairement à ce qu’imaginent ou souhaitent certains - la disparition imminente du parti communiste. Ce serait ignorer les ressources humaines – certes affaiblies mais encore réelles – que constituent l’immense richesse et les capacités d’action de ses militants et de ses élus. Mais la visibilité et le crédit de la politique du parti communiste aux yeux des français se heurtent malheureusement à l’impossibilité – que je crois désormais endogène - à s’auto-transformer. A la lumière de la préparation du 34e congrès, je ne pense pas que la forme actuelle du parti, pas plus que sa stratégie, soit la réponse appropriée aux nouveaux besoins politiques qu’appelle la société française et, en son sein, particulièrement les jeunes.

De même que, à propos du communisme, plutôt que de s’enfermer dans le fétichisme d’un mot – et j’en fus – il faut tenir compte que ce mot a été malheureusement souillé aux yeux des peuples par les erreurs et les horreurs commises en son nom. Tout cela me semble réduire à néant, les possibilités offertes au mouvement réel alors que, face à une crise du capitalisme sans précédent, les alternatives de dépassement du système lui-même pourraient offrir des perspectives crédibles. Je crois qu’il est temps de revenir aux valeurs qui ont fondé l’idéal communiste. Et que « l’hypothèse communiste » qu’évoquent certains se situe moins, en effet, dans le mot communiste que dans les valeurs qui fondent l’hypothèse elle-même.

Chère Marie-Georges,

Tu peux comprendre que ma décision de ne plus appartenir au Conseil national du PCF est l’expression de la distance politique qui, pour moi, s’est progressivement creusée entre mon attachement à des valeurs de libération humaine et d’action qui ont fondé mon engagement communiste – et auxquelles je reste viscéralement attaché – et l’évolution du Parti communiste français d’aujourd’hui telle qu’elle semble définitivement se figer dans la préparation du congrès des jours prochains.

Bien sûr, l’explosion des inégalités et des injustices engendrées par la crise du capitalisme contemporain appelle, sans délai, des actions concrètes et significatives. Bien sûr, plus que jamais, l’heure est à agir pour faire reculer les souffrances des plus pauvres, des couches moyennes et notamment des jeunes. Notre responsabilité est grande surtout que, pour des millions de gens, les conflits d’ambitions personnelles, les engagements non tenus par Nicolas SARKOZY et son gouvernement, discréditent la politique, les partis politiques et leurs dirigeants, et font douter de leur utilité pour changer la vie quotidienne, la société et le monde.

Face à cette situation, je ne peux pas me contenter d’une position d’observateur.

J’annoncerai donc, dans peu de temps, une initiative qui me donnera la possibilité de poursuivre autrement et reprendre plus activement mon combat pour un monde plus juste et plus humain.

Chère Marie-Georges, je suis convaincu que dans ce combat nous nous retrouverons chacune et chacun dans la fidélité à nos convictions. Je t’adresse mes sentiments les plus fraternels.

Robert HUE


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