Mélenchon : "l’autre gauche peut être majoritaire" (novembre 2008)

mercredi 16 novembre 2022.
 

Le sénateur démissionnaire du PS dessine les contours du "Parti de gauche" et précise son appel à un front de gauche aux européennes (15 novembre 2008)

Vous avez annoncé au lendemain du vote des militants socialistes que vous quittiez le PS. Cela signifie-t-il que, selon vous, le PS est durablement sur la ligne de centre gauche ?

Jean-Luc Mélenchon. Je prends au sérieux le contenu du vote : 80 % des militants ont voté pour les courants issus de l’ancienne majorité du parti, et Ségolène Royal arrivée en tête est le concentré le plus direct de cette catastrophe idéologique face à la droite, notamment sur la question des alliances. L’alliance avec le parti de François Bayrou, qui est également contenue en pointillé dans les deux autres premiers textes, est affichée ouvertement dans la motion de Ségolène Royal. On peut dire qu’avec ce vote, le Parti socialiste en France s’est aligné sur l’orientation majoritaire dans la social- démocratie européenne et il confirme son évolution vers la forme de parti que j’ai appelé un « parti démocrate ». Nous voulons incarner une autre orientation, celle du socialisme historique. Je veux la porter publiquement, en alliance avec d’autres et, particulièrement, avec les communistes.

Quels sont les choix significatifs, les orientations qui vous font dire que le PS s’aligne sur la social-démocratie européenne ?

Jean-Luc Mélenchon. La gauche du parti a mené une belle campagne. Elle a fait 19 %. Mais dans les congrès précédents, elle faisait plus de 40 %. C’est une division par deux ! J’en prends ma part de responsabilité. Dès lors, la gauche du parti est dans l’incapacité de peser sur l’orientation du parti. En particulier sur la question centrale de la stratégie d’alliances. On ne peut pas imaginer de ruptures avec le capitalisme et de transitions vers la « république sociale » en s’alliant avec M. Bayrou. Mais d’autres questions aussi sont très significatives. Par exemple, seule la motion de gauche défend la retraite à soixante ans. Toutes les autres se disent ouvertes à l’allongement des durées de cotisation pour les retraites. Autre exemple : seule la motion de gauche demandait un plan de retrait de l’Afghanistan…

Et il y a la question de l’Europe…

Jean-Luc Mélenchon. En effet, ce sont des parlementaires socialistes qui ont permis à Nicolas Sarkozy de faire passer le traité de Lisbonne sans référendum. Je trouve très surprenant qu’Henri Emmanuelli, dès le lendemain du vote du congrès, explique que les divergences sur l’Europe sont « un petit écart » ou qu’il propose de constituer avec les autres courants un front contre Ségolène Royal affirmant que tous seraient « d’accord sur l’essentiel ». De tout cela j’ai tiré les leçons. J’ai espoir que d’autres socialistes feront bientôt le même choix de clarté que moi et je ferai ce que je pourrai pour qu’on se retrouve. Je considère que le PS n’évoluera pas, sauf s’il y est contraint par un rapport de force électoral.

Est-ce que le PS ne représente plus l’espoir pour la gauche ?

Jean-Luc Mélenchon. Je prends acte de la mise aux normes de la social-démocratie européenne du Parti socialiste français. Les conceptions de Ségolène Royal ressemblent fort à celles de Walter Veltroni en Italie. Il faut donc réorganiser notre vision de la gauche. Pour moi, la priorité était le débat au sein du PS. Je veux mener ce débat désormais à l’extérieur du PS. C’est d’abord un combat contre Sarkozy et le capitalisme. Si nous sommes reconnus comme les meilleurs dans ce combat, la gauche sera rééquilibrée et le PS devra bouger.

Vous créez donc une nouvelle formation, mais dans un paysage à gauche déjà très encombré.

Jean-Luc Mélenchon. Je constate cette dispersion des forces de « l’autre gauche ». Comment les rassembler ? On ne peut le faire que sur des objets précis, des échéances concrètes. Si à l’inverse on mène entre nous le débat idéologique jusqu’à ce qu’on soit d’accord, on ne le sera jamais à temps et on privera la gauche, les milieux populaires, d’un point d’appui politique. Nous devons donc être pragmatiques. Partons des objectifs qui se présentent devant nous et essayons de les traiter à partir de ce que nous avons en commun. Par exemple, il y a dans la gauche du « non » au TCE un point commun incontestable : le rejet du traité de Lisbonne et des politiques qu’il porte. C’est un dénominateur commun suffisamment fort pour que nous présentions ensemble aux électeurs une proposition politique commune.

Elle peut être majoritaire. Mais avant cela, quel espace, quelle fonction donnez-vous à votre parti ?

Jean-Luc Mélenchon. Je ne raisonne pas en politique en termes de parts de marché. Je suis un républicain. Je fais une proposition et je tache d’en convaincre. Puis le vote tranche. Pour le faire nous proposons de regrouper dans un parti – parce que nous croyons à la forme politique « parti » – ceux qui s’identifient à l’idéal jaurésien de république sociale. Mais nous ne voulons pas faire un « Parti socialiste bis ». Je veux une formation politique capable de faire en son sein une synthèse culturelle : prendre le meilleur de la tradition socialiste et républicaine et rompre avec le productivisme. Car la crise écologique met en scène un intérêt général fondateur d’une nouvelle vision de la république. C’est aussi une mutation idéologique qu’il faut proposer au socialisme historique.

À qui vous adressez-vous pour rejoindre le nouveau parti ?

Jean-Luc Mélenchon. Le plus grand parti de France est celui des « ex » : ex-socialistes, ex-communistes, ex-chevènementistes, ex-trotskistes, ex- Verts… Et puis il y a tous ceux qui voudraient agir mais ne trouvent pas chaussure à leur pied. Mon intention n’est donc pas de prendre à ce qui existe mais de donner une nouvelle possibilité à ceux qui n’ont pas d’engagement politique et se situent dans le périmètre du socialisme, de la République, de l’écologie politique et de la culture révolutionnaire apportée en France par le communisme. Nous appellerons ce parti tout simplement Parti de gauche. Il se définira dans un projet de rupture avec le capitalisme et son horizon sera « la république sociale » suivant la formule de Jean Jaurès. Notre chemin sera la lutte contre la droite, et notre méthode un travail d’éducation populaire en profondeur au moment où le capitalisme a beaucoup perdu de sa légitimité.

Vous faites souvent référence à Oskar Lafontaine et Parti de gauche rappelle Die Linke. Pensez-vous que l’expérience allemande soit transposable en France ?

Jean-Luc Mélenchon. Elle ne l’est pas telle quelle. C’est l’état d’esprit qui est transposable. En France, il n’est pas envisageable aujourd’hui d’exiger des organisations qu’elles se dissolvent. Par exemple : la principale force organisée de l’autre gauche est et reste le Parti communiste. On ne peut pas lui demander de se saborder. De même pour le NPA en construction. Il faut donc passer par une formule de « front de gauche ». C’est ce que je propose, et les communistes aussi, pour les élections européennes. C’est une démarche pragmatique, qui part d’un objet précis, avec un contenu précis.

Les élections européennes semblent représenter un moment clé pour la crédibilité de votre démarche.

Jean-Luc Mélenchon. Je veux souligner l’importance de la prochaine élection européenne. Elle n’est pas déconnectée de la situation actuelle de crise et des souffrances sociales qu’elle provoque. Elle va porter sur le traité de Lisbonne. Mais elle va aussi porter sur une certaine conception de la gauche. J’annonce que nous sommes en compétition avec le Parti socialiste. LeParti de gauche ne siégera pas avec le Parti socialiste européen, il ne participera pas à la cogestion du Parlement européen et je ne souhaite pas l’élection de députés du PSE parce que ce groupe fonctionne avec des partis qui gouvernent avec la droite.

Comment concevez-vous ce « front de gauche » pour l’élection européenne ?

Jean-Luc Mélenchon. Mon allié naturel, c’est le Parti communiste et c’est lui qui a donné le signal avec la position qu’a prise son Conseil national. Sans la proposition du PCF, chacun était condamné à rester chez soi, même s’il ne s’y sentait plus du tout représenté comme c’est le cas pour Dolez et moi. Cette proposition des communistes, d’un front pour les européennes, ouvert à des personnalités mais surtout à des forces politiques, avec cette précision que leur revendication se concentrait sur les circonscriptions où ils sont sortants, a été tout à fait novatrice et audacieuse. J’y réponds. Et je fais à mon tour cette offre au NPA en lui demandant d’y réfléchir à deux fois. Nous pouvons faire un front, dans le respect de ce que chacun est, sur un objectif : faire la démonstration que le peuple français ne veut pas du traité de Lisbonne et veut une autre Europe. On peut donc se regrouper sur l’élection européenne et le NPA aurait tort de vivre dans la méfiance des autres. J’espère le convaincre. Je propose à tous un objectif ambitieux : que le front de gauche arrive en tête de la gauche lors de l’élection européenne. Tout changerait alors !

Entretien réalisé par Olivier Mayer


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