Contre la crise du capitalisme : Une riposte globale sinon rien (article du Monde Libertaire)

vendredi 31 octobre 2008.
 

LE TEMPS EST À LA MOROSITÉ.

... Aggravation de la crise financière, ralentissement économique, stagnation de l’investissement, montée de l’inflation... reprise du chômage. Casse sociale au Nord, intolérable misère au Sud. Le mal est contagieux, à la mesure de la mondialisation. Les places boursières sont ébranlées. L’avenir est lourd de faillites et de privations. La faim étend son territoire. La guerre commerciale est plus ouverte que jamais : chaque pays s’acharne à préserver ses ressources, à trouver des parts de marché – les pauvres cherchent à écouler leurs productions agricoles, les plus riches leurs produits industriels. Les institutions internationales (OMC, FMI, G8) se trouvent mises en difficulté et perdent toute crédibilité, face à l’incapacité à tenir leurs promesses. Fixer comme objectif de diviser les émissions de gaz à effet de serre au moins par deux d’ici 2050, alors que le système aura implosé bien avant, si ce n’est pas du foutage de gueule, ça y ressemble fort ! Cela dit, catastrophistes s’abstenir : la planète tourne encore !

Le pouvoir au forceps

La panique – même si elle demeure dissimulée – s’empare des dirigeants. Tout en feignant de venir en aide aux plus démunis (Revenu de solidarité active, aide aux transports en commun en direction des salariés...), l’impératif reste de sauver les meubles ! La stratégie consiste à formater des entreprises à taille mondiale, à développer des pôles de compétitivité. Alors que la crise que nous traversons devrait être l’occasion de lancer un vaste débat sur une civilisation qui entre dans une phase d’agonie probablement longue, les décideurs ne peuvent que prôner une « bonne » gouvernance mondiale par des experts, préconiser des mesures fiscales, comme si l’internalisation des coûts pouvait suffire à éviter le désastre prévisible.

Rattrapés par une réalité alarmante qu’ils avaient niée – au nom du réalisme ! - ces décideurs ne peuvent que mettre en œuvre de prétendus mécanismes de régulation de l’économie, brandir l’étendard mystificateur du développement durable, entretenir l’illusion d’une maîtrise techno-scientifique des problèmes... en demandant toujours plus d’efforts au contribuable. La seule finalité, c’est la perpétuation du système. D’un système qui remédie à la spoliation par un hold-up !

Une population anesthésiée

Que les « élites » politiques et les milieux d’affaires s’accrochent à leur pouvoir et à leurs fortunes, quoi de plus logique ? Qu’ils déploient une énergie considérable à dédramatiser, à rassurer, qu’ils prétendent contrôler la situation alors que tout s’écroule, quoi de plus compréhensible ? Qu’ils exigent toujours plus de sacrifices de la part des plus humbles, quoi de plus « naturel » ? Faudrait-il s’attendre à ce qu’ils rendent les armes ? Mais que les populations s’acharnent à maintenir un système qui les pressure ! On a souvent entendu dire que si les « masses » connaissaient la vérité, elles se révolteraient. Or la prolifération des rapports, des articles, des ouvrages, des émissions, des films ne laisse plus personne dans l’ignorance. Et la révolte ne survient pas ! Parce que beaucoup préfèrent ne pas savoir. La détérioration des conditions de vie ne s’avère peut-être pas un facteur suffisant pour déclencher cette insurrection. Alors, effectivement, que la crise s’aggrave.

Tout se passe comme si l’homme avait définitivement renoncé à toute ambition de transformer le monde. L’apathie, la résignation semblent s’être généralisées. L’aveuglement, le conformisme, la démission, voire la lâcheté, de l’immense majorité éloignent toute perspective de rupture, condamnent le futur à un horizon borné. Pis ! On a la nauséeuse impression que, face au train de vie insolent des riches, le plus grand nombre accepte de se discipliner, de se restreindre, de se soumettre au renforcement des contraintes et aux normes de comportement. Pitoyable image que celle d’« écocitoyens » s’attelant bénévolement aux tâches dangereuses de la dépollution d’un site souillé par une multinationale que la justice condamnera vingt ans plus tard à une amende dérisoire !

Certes, de nombreuses initiatives montrent que le renoncement n’est pas absolu. Relevant le plus souvent de l’économie informelle, de nouvelles manières de produire, de consommer, d’habiter... offrent l’occasion de renouer avec d’autres valeurs (solidarité, gratuité, réciprocité, responsabilité, partage...). Jardins familiaux, chantiers d’auto-réhabilitation du logement, garages, bibliothèques, crèches associatifs, systèmes d’échange locaux (SEL), associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), communautés rurales... autant d’expériences qui permettent d’éviter l’isolement, de recréer du lien social, d’engager une revalorisation de soi, de retrouver des savoir-faire de la vie quotidienne. À un autre niveau, s’inscrivant ou non dans l’altermondialisme, diverses actions se multiplient, fondées pour certaines sur l’action directe non-violente, la désobéissance civile. Sans doute est-il plus audacieux d’aller perturber des AG d’actionnaires ou des colloques de ministres que de participer à des manifestations avec lâcher de ballons ou de faire circuler des pétitions, mais l’efficacité n’est jamais redoutable.

Tout d’abord, concernant notamment des personnes vivant en situation d’exclusion ou de marginalité, une large proportion de ces actions se déroulent en partenariat avec les institutions, et à ce titre coïncident parfaitement avec les leurres que sont l’économie sociale et solidaire, le commerce équitable, l’entreprise citoyenne, les placements éthiques ou le développement durable, sous couvert d’équité, de droits de l’homme ou de protection de l’environnement. On n’a encore jamais vu, dans l’histoire, un pouvoir en place chercher des collaborateurs pour assurer sa propre destitution !

Ensuite, s’agissant de la dynamique contestataire liée à l’altermondialisme, le plus souvent l’ambiguïté est de mise, les formulations suffisamment floues pour entretenir le doute. Il s’agit de reléguer l’idéologie au second plan pour privilégier la recherche de dénominateurs communs, de multiplier les démarches pragmatiques, les campagnes thématiques, les réalisations concrètes pour éluder la réflexion plus globale, le débat de fond. Les accords minimaux, l’approche par les droits (économiques, sociaux, culturels, environnementaux...) - cette « abstraction juridique bourgeoise » - permettent de traiter les symptômes les plus criants de la crise sans remettre en cause les mécanismes qui la génèrent.

C’est ainsi que les propositions avancées ne sont en aucune manière susceptibles de résoudre les problèmes : restructurer les institutions internationales, mettre en place une fiscalité internationale, encourager la coopération Sud-Sud, annuler la dette du tiers-monde, lutter contre les paradis fiscaux, réhabiliter l’idée de nation... La meilleure gouvernance mondiale ne peut qu’échapper à tout contrôle citoyen digne de ce nom. La participation des pauvres à la cogestion de la pénurie ne peut que canaliser et neutraliser le potentiel de révolte alimenté par les frustrations sociales et les inégalités.

L’État au service du capital

Depuis quelques semaines, des milliards ont été déversés pour sauver un système bancaire qui fonctionne dans l’opacité la plus totale. 45 millions de pauvres aux États-Unis pour lesquels les pouvoirs publics ne peuvent rien... et 700 milliards de dollars déboursés par l’Administration américaine pour préserver le monde de la finance. Cherchez l’erreur ! Encore une fois, l’État, directement ou non, a montré son vrai visage, celui en l’occurrence de « béquille d’une finance en coma prolongé ». Certains feignent d’y voir la fin du « tout-libéral ». Mais depuis quand s’agit-il de libéralisme ? Y compris (surtout ???) aux États-Unis, l’État n’a cessé de soutenir le capitalisme, qu’il soit performant ou défaillant : protectionnisme, interventionnisme, nationalisation. En faisant donc payer les caprices et les lubies des riches par les contribuables, faut-il encore le rappeler ? C’est bien le capitalisme lui-même qui est en cause, un capitalisme qui a toujours surmonté ses contradictions par la croissance économique. Or la notion d’empreinte écologique, en montrant que l’on dépasse les capacités de régénération de la planète, non seulement interdit toute croissance, mais rend incontournable une décroissance.

La révolte ou l’enlisement

Il ne manque pas de guignols pour nous faire rire. C’est Georges Soros, SDF bien connu, qui affirmait : « Il est évident que l’économie est en train d’être saccagée par une financiarisation déraisonnable et incontrôlée, et que le secteur financier doit être repris en main. » Sarkozy, le parano de service de l’Hexagone, éructait : « Il faut remettre à plat le système financier et monétaire mondial. » Comme si l’on pouvait parcourir le chemin en sens inverse ! Comme si le capitalisme pouvait produire le contraire de ce pourquoi il est conçu : la concentration du capital ! Comme si les politiciens pouvaient dicter leur loi à ceux qui leur braquent le pistolet sur la tempe ! Comme si l’État, qui continue à se saborder en tant que puissance publique, pouvait être assez fort pour réguler des marchés qui ignorent les frontières ! Faudrait-il succomber aux charmes d’une autre mondialisation où coexisteraient des structures autogérées et des entreprises capitalistes ?

S’il faut faire converger les luttes, ce n’est pas pour réduire les nuisances mais pour les supprimer, pas pour aménager le système mais pour rompre avec le modèle dominant, pas pour peaufiner un capitalisme à visage humain mais pour éliminer le capitalisme. Il faut le marteler : Il n’y a aucune solution à l’intérieur du système ! D’agences de notation pour entreprises en déclaration d’intention, de chartes éthiques en labels incontrôlables, de prétextes humanitaires en opérations de façade, beaucoup d’énergie militante se trouve en définitive récupérée par un système, certes affaibli, mais pas encore moribond. La fin du capitalisme n’impliquerait nullement que soit garantie une société meilleure : il faudra du courage, de la patience, et de la maturité politique. La double perspective d’émancipation de l’homme et de sauvetage de la planète passe d’abord par une vision globale de la société, par un projet lucide, ensuite par une détermination farouche pour les mettre en œuvre.

Jean-Pierre Tertrais Le Monde libertaire – N° 1530 – du 23 au 29 octobre 2008


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