LE MARXISME ET LA NATION (par l’Union rationaliste)

jeudi 22 août 2019.
 

Introduction à la conférence du 16 décembre 1997 Cette conférence était prévue sur le marxisme et non pas sur la nation en général ; par contre, dérive courante, la question était également centrée sur le marxisme et la nation et non sur le thème souvent débattu du marxisme et de l’Etat.

Ceci dit, cette restriction qui peut sembler forte de prime abord laissait néanmoins un espace considérable hors de portée d’un exposé d’une heure et d’un débat de même durée ; il importait donc de poser des limites supplémentaires. Elles ont été choisies en se centrant dans une première partie, sur la doctrine de Marx et d’Engels, celle que l’on peut caractériser de " marxienne ", puis sur celle des bolcheviks, et principalement Lénine et Staline.

Les thèmes périphériques ( et néanmoins passionnants et colossaux ) que sont ceux des débats des marxistes austro-hongrois autour de "l’autonomie nationale culturelle" ( Kautsky, Otto Bauer, etc. ; débats qui peuvent paraître resurgir à travers le "multiculturalisme" d’aujourd’hui ) ou ceux relatifs à la "question juive" à travers les combats menés par le Bund ( qui à lui seul mériterait un exposé ) n’ont été abordés, en marge du fil directeur, qu’en fonction du strict nécessaire. De même, Trotsky, qui n’a pas apporté d’élément décisif sur cette question par rapport à Lénine, n’a pas non plus été abordé spécifiquement (quoique la question relative au "parti noir" aux Etats Unis est toujours d’actualité mais aurait nécessité pour l’aborder un exposé beaucoup plus long).

Pour se prémunir d’un autre piège courant de telles problématiques, il convient également de préciser que l’objet de cet exposé-débat n’était pas de donner des " bons " ou " mauvais " points de " marxisme ", comme si les textes de Marx ou de quiconque étaient la " vérité révélée " dont la moindre déviance constatée, et voire même supposée, engendrerait un procès en " hérésie " mais d’essayer de comprendre ce que disent ces textes, où peuvent être situées les différences entre les uns et les autres et interpeller sur les raisons qui ont pu amener à concevoir pour ceux qui les ont développées la nécessité de ce développement.

Après avoir posé les limites à notre exploration du "marxisme" il restait, pour coller au "standard" de nos exposés, à définir ce que nous entendons par "nation", la méthode usuelle que nous empruntons étant celle des références de dictionnaires. Pour la forme, j’y ai sacrifié en donnant la définition du Dictionnaire de l’Académie de 1694 : "Une nation est constituée par tous les habitants d’un même pays, qui vivent sous les mêmes lois et usent d’un même langage". Néanmoins, une caractéristique que nous allons aborder en pénétrant notre sujet c’est que, justement, ni Marx ni Engels n’ont jamais ressenti la nécessité de sacrifier à un effort de définition du concept de "nation" et l’un des enjeux de notre réflexion sera de comprendre "pourquoi"

La doctrine de MARX et ENGELS

Il n’y a aucun texte consacré explicitement à la "question nationale" dans les œuvres de Marx et Engels ; par contre, sur près de cinquante ans, la question nationale est abordée régulièrement dans les écrits politiques, principalement à travers les articles publiés dans les journaux, et ce avec une remarquable constance dans la façon de l’aborder, mais, il convient tout d’abord de distinguer l’usage du mot "nation" de celui du mot "nationalité". Tant chez Marx que chez Engels, autant il y a une "question nationale", autant il n’y a pas de "question des nationalités" :

" La nationalité du travailleur n’est pas française, anglaise, allemande, elle est le travail, le libre esclavage, le trafic de soi-même. Son gouvernement n’est pas français, anglais, allemand, c’est le capital. L’air qu’il respire chez lui n’est pas l’air français, anglais, allemand, c’est l’air des usines. Le sol qui lui appartient n’est pas le sol français, anglais, allemand, c’est quelques pieds sous la terre "[1]

" Les prolétaires ont en face d’eux dans tous les pays les mêmes intérêts, un seul et même ennemi, un seul et même combat ; les prolétaires sont déjà, dans leur grande masse, exempts par nature de préjugés nationaux ; toute leur culture et tout leur mouvement sont essentiellement humanitaires, antinationaux." [2]

" On a reproché aux communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les travailleurs n’ont pas de patrie. On ne peut leur prendre ce qu’ils n’ont pas. Le prolétariat doit tout d’abord s’emparer du pouvoir politique, s’ériger en classe nationale, se constituer lui-même comme nation.(...). Les particularités et antagonismes nationaux des peuples s’effacent de plus en plus en même temps que se développent la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et les conditions de vie qui en résultent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus radicalement encore " [3]

Néanmoins, ce serait commettre un grossier contresens d’en déduire que Marx et Engels seraient, sur le plan politique, partisans d’un quelconque "mondialisme". Le concept de "nation" a un sens pour Marx et Engels : c’est une catégorie historique et Maxime RODINSON avait bien raison de dire que, pour eux, la nation est " une formation historique contingente qui aurait très bien pu être différente de ce qu’elle est ". Peu importe en l’occurrence les chemins "sociologiques" ou "politiques" que la "nation" a emprunté pour se forger, ce qui importe c’est la fonction qu’elle remplit et pour laquelle il était nécessaire qu’elle se développe.

" La bourgeoisie supprime de plus en plus l’éparpillement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La concentration politique en a été la conséquence fatale. Des provinces indépendantes ou à peine fédérées, ayant des intérêts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été rassemblées, pêle-mêle, et fondues en une seule nation, avec un seul intérêt national de classe, derrière un seul cordon douanier. " [4]

" Dans toutes les langues modernes complètement formées, plusieurs raisons ont fait perdre au langage son caractère naturel : (...) la fusion des dialectes au sein d’une nation aboutissant à une langue nationale, par suite de la concentration économique et politique. " [5]

" Dans aucun pays le règne de la bourgeoisie n’est possible sans l’indépendance nationale. La révolution de 1848 devait donc entraîner l’unité et l’autonomie des nations, qui jusqu’alors en étaient privées : l’Italie, l’Allemagne, la Hongrie. La Pologne verra venir son tour." [6]

La constitution de la "nation" est donc une dimension politique nécessaire de l’érection de la bourgeoisie en classe dominante, une conquête révolutionnaire, délimitant l’espace de l’indépendance politique, des libertés démocratiques, de la liberté d’entreprendre et de commercer : le processus d’émergence de la nation, est, pour paraphraser Le Manifeste, le processus de constitution de la bourgeoisie en "classe nationale", véritable responsabilité historique, progressiste au sens du progrès de la civilisation toute entière, de la bourgeoisie dans la phase ascendante du capitalisme :

" Par suite du perfectionnement rapide de tous les instruments de production et grâce à l’amélioration incessante des communications, la bourgeoisie précipite dans la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares.(...). Elle contraint toutes les nations, sous peine de courir à leur perte, à adopter le mode de production bourgeois ; elle les contraint d’importer chez elles ce qui s’appelle la civilisation, autrement dit : elle en fait des nations de bourgeois. En un mot elle crée un monde à son image. " [7]

Ainsi, une analyse du processus constitutif des nations comme un stade plus avancé de constitution des "nationalités" n’est qu’un reflet, qu’une apparence sous laquelle apparaît l’idéologie de la classe s’érigeant en classe dominante :

" Pris individuellement, le bourgeois lutte contre les autres, mais en tant que classe, les bourgeois ont un intérêt commun, et cette solidarité, que l’on voit se tourner au dedans contre le prolétariat, se tourne au dehors contre les bourgeois des autres nations. C’est ce que le bourgeois appelle sa nationalité. " [8]

Mais il n’est question là que de la phase constitutive et, ainsi qu’on l’apercevait déjà dans le dernier passage, le processus se développe à une échelle mondiale :

" Poussée par le besoin de débouchés plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface du globe.(...). Au grand regret des réactionnaires, elle a dérobé le sol national sous les pieds de l’industrie." [9]

" L’histoire n’est rien que la succession des générations qui viennent l’une après l’autre et dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives légués par toutes les générations précédentes ; par conséquent, chacune d’elle continue, d’une part, l’activité traditionnelle dans des circonstances entièrement modifiées et, d’autre part, elle modifie les conditions par une activité totalement différente.(...). Plus les différentes sphères qui agissent les unes sur les autres s’étendent au cours de cette évolution, plus l’isolement primitif des diverses nations est détruit par le mode développé de production et de commerce, et par la division du travail qui en résulte spontanément entre les diverses nations : et plus l’histoire se transforme en histoire mondiale. " [10]

La chimère "nationalitaire" prend ainsi, aux yeux de Marx et d’Engels, un nouveau visage dans ce capitalisme qui mûrit : le visage "mondialiste". Cette approche ne cesse d’être dénoncée par ces auteurs militants en commentant en temps réel l’ensemble de l’actualité internationale de l’époque, et en intervenant dans l’ensemble des débats qui traversent le mouvement ouvrier européen, et particulièrement ceux relatifs au "pangermanisme" ou au "panslavisme" :

" Les chimères d’une république européenne, d’une paix perpétuelle sous l’organisation politique sont devenues tout aussi ridicules que la phraséologie d’une union des peuples sous l’égide du libre commerce universel" [11]

" L’entente et la fraternité des nations est une phrase que tous les partis ont à la bouche aujourd’hui, notamment les libre-échangistes bourgeois. Il existe en effet une sorte de fraternité entre les classes bourgeoises de toutes les nations : c’est la fraternité des oppresseurs contre les opprimés, des exploiteurs contre les exploités. De même que la classe bourgeoise d’un pays est fraternellement unie contre le prolétariat du même pays, malgré la concurrence et la lutte des membres de la bourgeoisie entre eux, de même les bourgeois de tous les pays sont fraternellement unis contre les prolétaires de tous les pays malgré leur rivalité et leur concurrence sur le marché mondial" [12] " "Justice", "humanité", "liberté", "fraternité", "indépendance", jusque là nous n’avons rien trouvé d’autre dans le manifeste panslaviste que ces catégories plus ou moins morales, qui, certes sonnent très bien, mais ne prouvent absolument rien dans des questions politiques et historiques. La "justice", l’"humanitarisme", la "liberté", etc., auront beau mille fois réclamer ceci ou cela ; si la chose est impossible, elle ne se fera pas et restera malgré tout "une pure chimère." [13]

La polémique engagée avec Michel Bakounine à propos du panslavisme, dont la citation précédente est issue, illustre parfaitement la compréhension que développaient Marx et Engels. La façon dont cette polémique se développe, en prenant l’exemple de la guerre qui a opposé les Etats Unis et le Mexique, montre de façon si besoin est encore plus limpide à quel point la vision " marxienne " de la question nationale est loin de ces " catégories morales " fustigées :

"Juste un mot sur l’union fraternelle des peuples et le tracé de "frontières établies par la volonté souveraine des peuples sur la base de leurs particularités nationales". Les Etats Unis et le Mexique sont deux républiques ; dans les deux le peuple est souverain.

Comment se fait-il qu’entre ces deux républiques qui - d’après la théorie morale - auraient dû être "fraternellement unies" et "fédérées", une guerre ait éclaté au sujet du Texas et que la "volonté souveraine" du peuple américain, soutenue par la bravoure des volontaires américains, ait déplace de quelques centaines de lieues plus au sud les frontières tracées par la nature, en raison de "nécessités géographiques, commerciales et stratégiques" ? Et Bakounine reprochera-t-il aux Américains une "guerre de conquête" qui porte sans doute un rude coup à sa théorie fondée sur la "justice et l’humanitarisme", mais qui fut néanmoins menée dans le seul et unique intérêt de la civilisation ? Ou bien faut-il déplorer que la splendide Californie soit arrachée aux fainéants Mexicains qui ne savaient qu’en faire ? Que les Yankees énergiques augmentent, par la rapide exploitation des mines d’or californiennes, les moyens de circulation monétaire, concentrent en peu d’années une population dense et un commerce étendu sur la côte la plus propice de l’océan Pacifique, fondent de grandes cités, créent des communications à la navigation à vapeur, établissent une voie ferrée de New York à San Francisco, ouvrent, en fait, pour la première fois, l’océan Pacifique à la civilisation et donnent, pour la troisième fois dans l’Histoire, au commerce mondial une nouvelle direction ? L’ "indépendance" de quelques Californiens et Texans espagnols peut en souffrir, la "justice" et, ça et là, d’autres principes moraux peuvent être violés ; mais qu’est-ce en regard de pareils faits historiques de portée mondiale ? " [14]

C’est la conscience d’une Histoire tout à la fois " lutte des classes " et " lutte pour la civilisation " qui rend Marx et Engels aussi enthousiastes devant la bourgeoisie ascendante et, dans le même temps et par les mêmes raisons, aussi sévères pour elle et exigeants pour le prolétariat quand le jeune fruit est mûr ; la bourgeoisie a une tâche historique a remplir pour laquelle elle est irremplaçable ; à mesure qu’elle remplit cette tâche, qu’elle liquide le monde ancien et bâtit le sien à son image, elle crée les conditions du monde qui lui succédera, elle creuse sa propre tombe. En ce qui concerne la question nationale, ce mouvement se reflète donc ainsi :

" Tandis que la bourgeoisie de chaque nation conserve encore des intérêts nationaux à part, la grande industrie crée une classe dont les intérêts sont identiques dans toutes les nations et pour laquelle la nationalité est déjà abolie, une classe qui s’est vraiment débarrassée du monde ancien et qui, en même temps, lui fait face. " [15]

" Les particularités et antagonismes nationaux des peuples s’effacent de plus en plus en même temps que se développent la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et les conditions de vie qui en résultent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus radicalement encore " [16]

Quelle tâche alors pour le prolétariat ? Le message de Marx et Engels est clair : les socialistes qui dissertent sur la nationalité sont d’ores et déjà passés de l’autre côté et il convient de les combattre ( et de façon d’autant plus virulente qu’un " traître " ou un " renégat " est bien plus dangereux qu’un simple ennemi ) ; l’internationalisme est une arme du prolétariat qu’il convient de construire ( et non une profession de foi ) ; cette construction ne peut s’envisager que sur les fondations que représentent une organisation solide dans son propre pays, " théâtre immédiat de sa lutte " :

" Ne nous faisons pas d’illusion. Chez tous les panslavistes, la nationalité, c’est à dire la nationalité imaginaire commune à tous les slaves, passe avant la révolution... Si le panslavisme révolutionnaire prend ces propos au sérieux [ ceux de Bakounine ] et, s’agissant de l’imaginaire nationalité slave, ne tient nul compte de la révolution, alors nous savons, nous aussi, ce qu’il nous reste à faire. Alors ce sera le combat, un "inexorable combat à mort" avec les Slaves traîtres à la révolution" [17]

"Et à quoi le Parti ouvrier allemand réduit-il son internationalisme ? A la conscience que le résultat de ces efforts sera "la fraternité internationale des peuples" que l’on voudrait faire passer pour un équivalent de la fraternité internationale des classes ouvrières dans leur lutte commune contre les classes dominantes et leurs gouvernements.... En fait, la profession d’internationalisme du programme est encore infiniment au-dessous de celle du parti libre-échangiste. Celui-ci assure, lui aussi, que le résultat de ses efforts sera la "fraternité internationale des peuples". Mais, lui, il fait quelque chose pour internationaliser le commerce, et il ne se contente pas d’avoir conscience que tous les peuples font du commerce chez eux. "[18] " Il est tout à fait évident que, pour être en mesure de lutter, la classe ouvrière doit avant tout s’organiser dans sa propre maison en tant que classe, et que son propre pays est le théâtre immédiat de sa lutte. C’est dans cette mesure que sa lutte de classe est nationale, non pas dans son contenu mais dans sa forme, comme le dit le Manifeste communiste. "[18]

Que faut-il peut-être retenir de cette présentation avant d’aborder la suite ?

Nous avons vu que le concept de " nation " est abordé régulièrement sans que pour autant ni Marx ni Engels n’aient jamais jugé nécessaire ou utile de réaliser un effort spécifique de définition, contrairement à ce dont ils ont constamment témoigné dans les champs philosophiques ou économiques. Nous pouvons avancer que c’est tout simplement parce que la " nation ", se concrétisant sous la forme de la construction de " l’Etat-nation " dans les pays où la bourgeoisie a pu hisser à son niveau le plus développé l’oeuvre de sa mission civilisatrice, n’est pas une catégorie philosophique ou sociologique mais une catégorie historique caractérisant un processus.

Nous avons vu, et cette question sera largement abordée par la suite, que la question de la " langue " est néanmoins soulevée par Marx et Engels, une langue commune étant nécessaire en tant que vecteur de communication pour l’établissement des relations, notamment commerciales mais également politiques ou culturelles, nécessaires à l’épanouissement du monde nouveau ; de même le " territoire " est l’espace géographique nécessaire à la réglementation des échanges tant économiques ( espace du libre échange et de la politique douanière ) que de toute autre nature et à l’établissement des droits politiques. La République une et indivisible issue du processus qui a amené la Révolution Française est, à juste titre, considérée par Marx et Engels comme étant la forme la plus achevée du projet de la bourgeoisie révolutionnaire.

Mais peu importe l’existence préalable d’une communauté territoriale ou linguistique comme " base " de la construction de la nation ; la " nationalité " n’est que scories du monde ancien : la nation française n’a pas vocation par " essence " à regrouper l’ensemble des communautés francophones habitant sur des territoires connexes ( et a fortiori quand ils ne le sont pas ) à ce qui est devenu le territoire national français, de même que peu importe si les bretons parlaient ou non français, ce qui importe c’est qu’ils le parlent à l’issue du processus de construction de la nation moderne. Notre collectivité nationale aurait pu être bretonnante plutôt que francophone, inclure la Wallonie et exclure l’Alsace : ce débat n’a strictement aucun intérêt dans la problématique de Marx et Engels, même si quelques " principes moraux " ont pu ici ou là en souffrir.

Analysant la constitution de la bourgeoisie en classe dominante, et l’émergence du prolétariat comme classe ascendante, Marx et Engels se focalisent ( c’est également la situation qu’ils sont le plus en mesure d’observer concrètement ) sur les nations les plus achevées à l’issue des processus révolutionnaires engagés de la fin du XVIIIe jusqu’au milieu du XIXe en Europe et aux Etats Unis. Ceux qui ont repris le flambeau de leur pensée, notamment au sein de l’empire austro-hongrois ou de la Russie tsariste ont été confrontés à des réalités différentes.

Faut-il voir dans l’expression de leurs différences le simple reflet d’autres situations concrètes ? Y a-t-il, sous couvert de ces différences, des ruptures qualitatives dans la doctrine ? C’est un des axes des interrogations que nous pourrons nous poser au fil de la seconde partie.

Sources des citations :

[1] " FRIEDRICH LIST " , MARX 1845 -

[2],[11] Rheinische Jahrbücher zur gesselschaftlicheter Reform, ENGELS 1846

[3] , [4] , [7] , [8] , [9], [16] " LE MANIFESTE DU PARTI COMMUNISTE ", MARX-ENGELS 1848

[5] ,[10] ,[15] " SAINT MAX ", MARX-ENGELS " Saint Max " ( Stirner ) - travaux sur l’Idéologie Allemande 1875

[6] " PREFACE ITALIENNE AU MANIFESTE COMMUNISTE ", ENGELS 1893

[18] " CRITIQUE DU PROGRAMME DU PARTI OUVRIER ALLEMAND ", MARX 1875

[12] " DISCOURS SUR LA POLOGNE ", MARX 1847

[13] , [14] ,[17]" LE PANSLAVISME DEMOCRATIQUE ", ENGELS 1849


Complément de Michel Peyret

LES NATIONS DANS LE MOUVEMENT DE L’HISTOIRE .

Effectivement , ces citations sont intéressantes .( 1 ) Cependant , à mon avis , le plus important de Marx , en relation avec notre sujet , n’est pas là . Pour aborder ce sujet , comme d’autres d’ailleurs , il me semble qu’il faut repartir du fond de la démarche de Marx , l’étude du mode de production et ce qui le met en mouvement , les rapports de production qui déterminent les rapports sociaux...et finalement la vie d’une société , d’un peuple d’une nation , avec au centre le travail...

C’est cela le fond , et ce fond est toujours en mouvement , voir la dialectique , et comment elle disait dès l’Antiquité , avec Héraclite , que l’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve . L’ensemble de ce que l’on appelait les infrastructures et les superstructures , et leurs relations , non point mécaniques mais dialectiques aussi , est toujours en mouvement , et dans ce mouvement il y a le rôle des hommes , dont les rapports se nouent autour du travail , des hommes donc qui sont entre-eux dans certains rapports , entre autres des rapports de classes , rapports et confrontations qui en découlent qui prennent la forme d’idées , d’affrontement d’idées , idées qui évidemment jouent aussi leur rôle .

C’est une société donnée , à un moment déterminé de son évolution , qui élabore ainsi à la fois sa conscience et ses idéologies , qui sont donc multiples .

C’est pourquoi d’ailleurs , la conscience réelle des problèmes qui se posent à cette société et leur mode de résolution ne peuvent être apportés de l’extérieur de cette société , ni venir d’une autre époque , nécessairement différente . Ceux qui , tout en se voulant révolutionnaires , vont chercher dans le passé leurs références , ne peuvent être que des idéalistes philosophiques , et des réactionnaires politiques !

Ces considérations déterminent le rôle de la formation/organisation révolutionnaire ( les partis n’ont pas toujours existé et n’existeront pas toujours) qui doit émaner des masses , aujourd’hui disons le peuple et en son sein notamment les salariés qui en sont la composante principale et peuvent tisser des rapports de rassemblement contre la politique des grands groupes tels qu’ils sont tels qu’ils sont aujourd’hui et tels qu’ils ont modelé les institutions dans le cadre de la mondialisation : Etats , groupes d’Etats , OMC , Banque mondiale , FMI , ONU...

Les nations , les systèmes économiques et d’échanges , les marchés financiers , les systèmes politiques (il n’y a pas partout de partis ) , institutionnels , constitutionnels...sont toujours en mouvement , et c’est pourquoi , en chaque pays , à chaque moment , il convient de procéder à l’étude concrète des situations concrètes , selon la formule de Lénine . Dans le mouvement du capital , le rôle et l’importance des nations se modifient également . L’essentiel des grands groupes ont toujours leurs bases principales dans un pays , une nation . Mais le lieu de leur action , c’est depuis longtemps le monde , la mondialisation que nous connaissons n’est pas la première (voir Suzanne Berger à ce propos ) . Il y a eu celle de la caravane , puis celle de la caravelle...les colonisations ( l’Algérie , c’est la France , la nation avait drôlement changé et la France impérialiste , qui n’était plus celle de la révolution , ni celle du droit napoléonien , ni encore celle d’aujourd’hui , bref une nation en mouvement dans un monde en mouvement . Personne ne peut ignorer ces évolutions , évolutions qui résultent de celles du mode de production .

Certains en profitent pour dire que les nations sont dépassées et pensent que l’avenir est dans la construction de nouveaux Etats , Etats régionaux notamment , peut-être début de nations .

Mais il apparaît qu’ils vont trop vite en besogne et prennent leurs désirs pour des réalités .

Dans une nation , i n’y a pas seulement , comme je l’ai dit plus haut , seulement des moyens de production qui évoluent , aujourd’hui informatique et automatisation qui révolutionnent le travail comme l’a fait autrefois la révolution industrielle , le travail étant toutefois toujours le seul à produire de la valeur , même si la forme du travail se modifie singulièrement , il y a aussi les consciences , les idéologies , donc les cultures et les identités qui évoluent aussi , mais à un tout autre rythme , davantage dans le temps long cher à Braudel qu’il vaut mieux avoir lu , en complément de Marx .

Dans ce contexte les peuples ont leur mot à dire , eux qui font l’histoire , et les peuples sont contre cette construction d’un Etat européen , dont ils voient bien qu’il serait avant tout un nouvel instrument du capital qui les déposséderait davantage encore de leur souveraineté que ne le fait l’Etat national plus proche et beaucoup plus sensible aux rapports de forces .

Aussi , c’est quasiment à l’unanimité qu’ils ont dit NON à ces évolutions , donc pas seulement les trois peuples qui ont eu à se prononcer par référendum . Notons quand même que ceux-là se sont prononcés contre l’ensemble des traités constitutifs de la construction d’un Etat européen auxquels faisait référence le TCE qui venait couronner la démarche étatique , qu’il convient en conséquence de rappeler ce verdict à ceux qui ont tendance à l’oublier et qui se comportent comme voulant continuer à violer le peuple français . Difficile en tout cas de ne pas parler de crise de cette construction et d’en faire prendre conscience ceux qui veulent en apparaître à tout prix comme les sauveteurs !

En fait , la condamnation quasi-unanime a été prononcée lors des élections du Parlement européen en 2004 : dans la quasi-totalité des pays européens l’abstention a été majoritaire , de 57% en France ou en Allemagne , à plus de 80% dans certains pays de l’Est de l’Europe . Comme l’on dit , les peuples ont voté avec les pieds !

Mais cette crise-là , qui affecte les nations , en conséquence la nation française également n’est qu’un aspect de la crise générale du capitalisme qui s’affirme aujourd’hui .

Et cette crise n’est pas seulement économique et financière , elle englobe la totalité des composantes diverses de la vie de nos sociétés , c’est aussi une crise énergétique résultant du "productivisme capitaliste" , une crise environnementale qui en résulte également , une crise alimentaire , des crises de la politique et des partis politiques , des crises institutionnelles et constitutionnelles , des crises de la "démocratie représentative" , et leurs manifestations dans tous les aspects de la vie , le logement , l’école , la santé , les transports , l’aménagement du territoire...

Cette crise du capitalisme appelle un changement de société , sinon de civilisation , l’enclenchement de processus qui y conduisent . Bien évidemment , chaque peuple ira à son pas , sera chez lui souverain . Et sans doute chaque peuple trouvera les formes qui lui conviendront . Les peuples cependant se heurtent partout aux mêmes ennemis principaux qui conjuguent leurs dominations , les Etats pour l’essentiel au service de la classe dominante , et la propriété privée des moyens de production d’échanges , établissements financiers...

Marx a été clair pour dire ce à quoi il convenait de procéder pour changer de société , donner le pouvoir aux travailleurs : d’une part , briser l’Etat , engager un processus de dépérissement de cet Etat vers des formes d’auto-administration de la société , et d’autre part exproprier les expropriateurs , procéder à l’appropriation sociale des grands moyens de production , d’échanges... , considérant que cela devait se faire , non pas globalement , à l’échelle de toute l’humanité , mais selon les décisions de chaque peuple . Je le dis avec force : cela n’a jamais été fait nulle part !

A mon avis encore , comme ce sont les peuples qui doivent écrire ces nouvelles pages, je pense que c’est à eux de déterminer les formes et les étapes de ces changements dont le processus est le processus révolutionnaire , le parti ou l’organisation révolutionnaire devant les aider à trouver ce qui existe déjà dans la société et qu’il convient de généraliser

Toute autre ambition de l’organisation révolutionnaire pourrait avoir à nouveau des conséquences dramatiques .

Union Rationaliste


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