Afghanistan - Une guerre contre les femmes

jeudi 27 décembre 2007.
 

Extraits d’un rapport sur la mise en application de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies

On a beaucoup parlé de la violence du régime des Talibans contre les femmes. Le régime des Talibans a indéniablement institutionnalisé - fait presque sans précédent - la violence de genre fondée sur le terrorisme. Toutefois, cette violence et spécialement la violence sexuelle étaient déjà un moyen d’oppression de la population féminine sous le régime communiste (d’après d’autres témoignages, ce fut plutôt une période avantageuse pour les femmes - ER) ainsi que sous les Moudjaheddines. Les conflits armés des derniers 27 ans ont masqué une autre guerre qu’il faut nommer ouvertement - il s’agit de la guerre qui se poursuit encore aujourd’hui contre les femmes afghanes. Se voyant déjà imposer des restrictions multiples, humiliées et intimidées avant, pendant et après ces conflits armés, les femmes doivent en plus se défendre contre des types particuliers de violence basée sur le sexe, ce qui aggrave dramatiquement leurs conditions misérables et dangereuses dans l’Afghanistan d’après-guerre.

La violence domestique est fréquente. Le viol est un crime commis fréquemment à toutes les étapes du conflit et il est l’oeuvre de toutes les factions combattantes. Les mariages d’enfants, les mariages forcés, la méthode traditionnelle de résolution de conflits par le Baad, le refus de l’accès aux soins de santé, à l’éducation, à la justice, à l’emploi et à la libre circulation, la nécessité d’avoir beaucoup d’enfants - masculins de préférence - et de servir la famille du mari, ce sont là des exemples des plus importantes formes de violence structurelle, politique et personnelle ancrées profondément dans le système socio-politique afghan.

Peu importe les groupes ethniques, la vie de la grande majorité des femmes et des filles afghanes sous le contrôle du clan se trouve affectée par la violence patriarcale, dans une société profondément traumatisée et dominée par les hommes.

Le suicide de femmes et de filles, par auto-immolation souvent, qui constitue une réponse à la violence inéluctable fondée sur le genre, est un phénomène croissant en Afghanistan. Cette tendance notable chez de jeunes femmes afghanes peut être perçue par elles comme un dernier recours ainsi qu’un acte de protestation contre une vie de violence dépendante de la famille et du mari, contre l’impossibilité d’avoir une existence autonome et paisible. La vie des femmes afghanes est, au mieux, insécurisante et dangereuse - non seulement pour celles qui vivent dans une zone de conflit, mais aussi pour les femmes aux prises avec un système social violent et inéluctable.

Insécurité et conflit en Afghanistan

Ceux qu’on devrait avant tout poursuivre pour leurs crimes contre notre nation font les lois du peuple afghan ! La loi des armées privées des seigneurs de guerre, dans différentes parties du pays, ainsi que les querelles intestines entre différents factions ont provoqué la mort de nombreux innocents.

L’Afghanistan offre un environnement instable pour les civils, les soldats, les fonctionnaires, les militantes et d’autres Afghan-es de la société civile ainsi que pour les groupes humanitaires internationaux qui travaillent dans le pays. L’année 2006 a été témoin d’hostilités croissantes en Afghanistan et du plus grand nombre de morts dans un conflit depuis 2001.

La diversité géographique de l’Afghanistan et le terrain difficile font paraître le pays plus grand qu’il ne l’est en réalité, et la situation de la sécurité peut varier radicalement d’une région à l’autre. [...] Malgré la présence des troupes ISAF (ISAF=International Security Assistance Force) dirigées par l’OTAN à Kandahar, Helmand et d’autres parties du Sud, cette situation, qui se détériore depuis les cinq dernières années, a contraint la population à vivre dans une peur constante et à limiter davantage la mobilité des femmes. [...]

La présence de l’OTAN n’offre que peu de protection aux femmes, qu’il s’agisse des civiles ou des femmes exerçant des fonctions publiques. Ces dernières, par exemple les représentantes du Ministère des Affaires des femmes (MOWA), des Départements régionaux des Affaires des femmes (DOWAS), des femmes parlementaires, des enseignantes ou des infirmières sont la cible de plus en plus fréquemment de menaces et d’attaques armées, souvent par des moyens insidieux, comme le montre le meurtre de la représentante DOWA de Kandahar, ou les "lettres de nuit" promettant la mort imminente à une enseignante ou une infirmière en fonction si elle ne quitte pas son emploi. Ces attaques directes ne retiennent pas l’attention des autorités locales ou internationales. Les médias n’ont pas rapporté le meurtre récent de la fille d’une parlementaire (qui portait les vêtements de sa mère) et le gouvernement ne l’a pas considéré d’intérêt politique. Les politiciens et les représentants des institutions publiques n’ont pas condamné ces attaques, ni montré une quelconque forme de solidarité avec les femmes. Il n’existe pas non plus de plans pour sensibiliser aux moyens d’assurer la sécurité ni de mesures pour garantir aux femmes la possibilité de travailler. Un climat de silence et d’impunité nourrit une culture de violence contre les femmes qui promet de se perpétuer et de se répandre. Un tel climat aura, au bout du compte, des conséquences négatives pour l’instauration de la paix et de la stabilité. [...]

Éducation

En Afghanistan, le secteur de l’éducation a subi des attaques continuelles dirigées principalement contre l’éducation des filles. Le droit à l’éducation en général, mais en particulier pour les filles et les femmes, est davantage un souhait qu’une réalité. Par exemple, depuis 2005, des institutions d’enseignement et des enseignant-es ont connu plus de 200 attaques, la plupart dans la première moitié de 2006, tandis qu’on empêchait 200 000 étudiant-es d’aller à l’école. L’incendie d’écoles, les meurtres d’enseignant-es et la distribution des fameuses "lettres de nuit" (des feuilles contenant des messages de menaces laissées dans des écoles et d’autres places publiques par les Talibans) ont contribué à la fermeture de centaines d’écoles dans tout le pays. La plupart des écoles sont visées simplement parce qu’elles enseignent aux filles. Ces actes, combinés avec un nombre déjà faible d’écoles pour filles, entravent grandement l’éducation de ces dernières. L’inquiétude perpétuelle pour leur sécurité contribue à ce que beaucoup de parents retirent à leurs filles la permission d’aller à l’école. [...]

La Résolution 1325* du Conseil de sécurité de l’ONU n’est pas mise en application

La nouvelle Constitution de l’Afghanistan offre un autre exemple de principes dignes d’éloges mais qui ne sont pas mis en application. La Constitution est ambiguë quant au rôle précis et à l’interprétation de la loi de la Charia au sein du gouvernement, une loi qui, sans clarification, peut avoir des effets néfastes pour les femmes. Pourtant, l’Article 22 de la Constitution met l’accent sur le principe d’égalité et des droits égaux pour les hommes et pour les femmes. L’inclusion de cette clause avait représenté une victoire majeure pour les organisations de femmes, les déléguées au Loya Jirga constitutionnel et la Commission indépendante afghane des droits humains, qui avaient lutté vigoureusement pour que les normes internationales sur l’égalité des femmes se retrouvent dans le texte de la Constitution. Mais on est bien loin de mettre en application les règles destinées à protéger les droits des femmes. En fait, les dirigeants de la société civile croient surtout que la grande majorité des femmes et des hommes ne sont pas même au courant des droits que la Constitution reconnaît aux femmes.

Justice et réforme légale : une violence institutionnelle

La violence contre les femmes constitue en Afghanistan un énorme problème que la société et le gouvernement afghan ne reconnaissent pas comme tel (...). Le système de justice dans l’Afghanistan post-2001 ne se montre pas disposé à protéger les droits les plus élémentaires des femmes.

Le système judiciaire, dans la plupart des cas, a tendance à considérer les femmes comme les responsables de crimes dont elles sont victimes, et ces crimes sont jugés en se basant non pas sur la loi codifiée mais sur le droit tribal ou les traditions. En particulier, les accusations de zina, ou relations sexuelles en dehors du mariage, font souvent l’objet de poursuite, et les femmes sont condamnées à la prison même quand elles ont été victimes d’un viol. Il en résulte que la majorité des femmes agressées évitent les tribunaux pour ne pas s’exposer elles-mêmes, ainsi que leur famille, à l’humiliation et au déshonneur. De manière générale, un réel professionnalisme est absent à tous les niveaux du système judiciaire, la corruption y est très répandue et on ne fait pas respecter la loi de manière équitable pour toutes et tous, en particulier en ce qui concerne les situations qui relevent du droit familial.

Violences et droit

En Afghanistan, le droit coutumier est un mélange complexe de droit tribal (selon les appartenances ethniques, comme le Pashtunwali), de traditions et de règles auxquelles on attribue des origines religieuses. Son interprétation et son application varient d’une région à l’autre. Il a été grandement légitimé par les longues années de guerre et l’instabilité actuelle, étant donné que c’est le droit vers lequel les gens se tournent quand ils ne peuvent pas compter sur la protection du gouvernement central.

Malheureusement, toute reconnaissance des droits des femmes, que ce soit les droits garantis aux femmes dans l’Islam ou les normes internationales sur les droits fondamentaux des femmes, est absente des systèmes locaux de gouvernance qui fonctionnent dans le cadre du droit coutumier. La justice continue à être dispensée dans le cadre d’un système légal transitionnel encore très dépendant de la base traditionnelle, qui ne protège pas les droits des femmes mais au contraire victimise couramment les femmes et les filles.

La pratique du Baad, ou échanges de filles ou de femmes entre familles à titre de réparation pour un crime, une dette ou une dispute entre ménages, communautés ou tribus, est un exemple inquiétant des conséquences néfastes du droit coutumier pour les femmes. Le Baad reste très largement répandu, en particulier dans le Sud et l’Est de l’Afghanistan. On manque de statistiques sur cette pratique et l’impunité générale demeure la norme pour ceux qui sont complices de tels échanges. Le Badal - un autre type d’échanges - implique qu’une fille est échangée dans une famille qui compte un fils. La pratique consiste, pour deux familles, à échanger un garçon pour une fille ou même une fille et un fils avec une famille qui peut leur offrir la pareille. Les autorités des villages et des districts considèrent ces pratiques comme des moyens légitimes pour marier un fils ou une fille. Le gouvernement central n’a pas fait grand-chose pour les éliminer (...).

Les crimes d’honneur sont en croissance en Afghanistan. Ils se perpétuent parce l’idée que les hommes ont le droit de tuer des femmes ou de leur nuire pour préserver leur honneur est largement acceptée au sein de al population. Une culture d’impunité règne donc dans le domaine des crimes d’honneur, et même les meurtres sont rarement rapportés. Dans les cas, rares, où ces crimes parviennent à être jugés par un tribunal, l’auteur masculin bénéficie souvent de clémence et est rarement poursuivi.

Les autorités n’ont pas l’habitude d’enquêter quand des femmes se plaignent d’attaques violentes, de viols de meurtres ou de présumés suicides de femmes, alors, les attaquants jouissent de l’impunité totale.

Dans le système carcéral, la plupart des femmes sont détenues pour des délits contre le droit coutumier, par exemple fuir un mariage forcé et mauvais, fuir ou échapper à la violence domestique. Les juges, les policiers ou les autorités des prisons ignorent dans une large mesure l’engagement de l’Afghanistan en ce qui a trait aux normes du droit international en matière de crime, au droit à un procès équitable, aux conditions d’arrestation et aux normes minimales concernant l’emprisonnement. Souvent, ils ne connaissent même pas l’existence de ces normes. Des cas isolés d’emprisonnement injustifié ou de déni de justice sont rapportés à la Commission indépendante afghane des droits humains, occasionnellement au Ministère des Affaires des femmes et parfois aux organisations locales de femmes. Pourtant, la grande majorité des femmes en prison ou celles qui risquent un emprisonnement illégal n’ont pas recours à la justice ou à des services qui pourraient les aider. L’état psychologique de ces femmes peut les empêcher de chercher de l’aide. [...] Dans certains cas, la police elle-même a abusé sexuellement, violé et battu des femmes en captivité.

L’OTAN n’a pas le mandat de porter assistance à des femmes exposées aux abus ou aux injustices, il ne dispose pas d’une liste de services vers lesquels il pourrait diriger les femmes en danger.

par Medica Mondiale

Note

* « Qu’est-ce que la Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU ? », par Kristin Valasek

Source : Femmes, Paix et Sécurité en Afghanistan. Application de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Six ans après : Gains et Manques Post-Bonn, Rapport de Medica Mondiale, Octobre 2007, transmis au Réseau Femmes en noir par Selmin Caliskan, de Medica Mondiale.

Traduction : Édith Rubinstein, Réseau Femmes en noir, Fenwib Digest, Vol. 40, Issue 4, 3 décembre 2007. Avec la collaboration de Sisyphe. Pour s’abonner à la liste de diffusion FEN, voir ce lien.

À suivre. Dans le but de faire connaître la situation des femmes en Afghanistan, nous publierons plus tard d’autres extraits de ce rapport de Medica mondiale. Consultez régulièrement la rubrique Femmes d’Afghanistan.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1er décembre 2007


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