La contre-visite médicale, un marché en développement

mardi 14 octobre 2008.
 

Securex, Medivérif, Synéance… Principale mission des ces cabinets, les contre-visites médicales employeur. Née de la loi dite de mensualisation de 1978, cette pratique permet à toute entreprise de vérifier le bien fondé de l’arrêt maladie d’un salarié. Et, si l’arrêt apparaît injustifié au médecin, de suspendre la part complémentaire du salaire versé en plus des indemnités journalières dues par l’Assurance maladie.

Pour trouver des contrats, la communication de ces cabinets spécialisés est très offensive. Ils surfent sur une tendance forte : la chasse aux abus et aux fraudes. En France, ces arrêts de travail coûtent 5 milliards d’euros à l’Assurance maladie. Mais, notamment en multipliant les contrôles (633 000 en 2006), le nombre de jours d’arrêts de travail a baissé de 3,9% en 2006, et de 15% entre 2003 et 2005 (voir le document ci-contre).

Tous fraudeurs, les salariés en arrêt maladie ? A en croire ces entreprises spécialisées : en grande partie, oui. Ainsi, le site Internet de Synéance explique que « 45% des contrôles médicaux révèlent des arrêts injustifiés ». Mieux, Médivérif, autre acteur important du marché, assure graphique à l’appui que les arrêts injustifiés représentent… 60% !

Si, dans la réalité, les choses sont moins caricaturales -il y aurait seulement 6% de fraudes et d’abus selon l’Assurance maladie- et dépendent de la définition du qualificatif « injustifié », ces chiffres incitent néanmoins de plus en plus d’entreprises à utiliser cet outil pour mener une guerre à l’absentéisme. Au risque de se fourvoyer.

Des contrôles à grande échelle : une méthode à risques

Cas pratique : La Poste. En juin 2007, la direction du courrier de la zone Paris-Sud déclare dans une lettre interne que « la DOTC Paris-Sud va mettre en place 100% de contrôles Securex pour ces agents fonctionnaires et contractuels ». Pour les non initiés, cela signifie que tous les arrêts maladies, sans exception, seront vérifiés via l’entreprise Securex et son réseau de médecins agréés.

A l’époque, la direction est confrontée à un absentéisme important : 12,24 jours d’arrêt par an et par agent (salariés et fonctionnaires). A Paris, la moyenne pour les salariés est de 1,77 jours pour les arrêts de moins de trois mois et de 2,69 jours pour ceux de plus de trois mois selon l’Assurance maladie. La Poste affirme aujourd’hui que seuls 16% des arrêts ont finalement été contrôlés (soit 1374 visites), sans expliquer le décalage entre l’annonce et la réalité.

Selon Bernard Poisson de la CFTC Poste, 168 jours de salaires ont ainsi été retirés par l’employeur des feuilles de paie en 2007 pour 32 jours de reprises anticipées (retours au travail des salariés contrôlés et déclarés aptes avant le terme de leur arrêt) sur 55 000 jours d’absences, selon la Poste. On est loin des chiffres fournis par les prestataires. D’autant que, témoignages à l’appui, ces contrôles font régulièrement l’objet de litiges.

Obligée de faire témoigner son facteur

Exemples : Madame A. est sanctionnée parce que son domicile n’est pas identifiable (faute d’étiquette sur l’interphone) par le médecin, qui ne peut donc pas lui rendre visite. Son salaire est suspendu pour arrêt injustifié. Comble de l’ironie, elle doit produire le témoignage de son… facteur pour rétablir ses droits.

Monsieur M. se voit reprocher de ne pas avoir permis la localisation de son domicile. La Poste lui enlève donc cent euros de salaire. Pour prouver sa bonne foi, il devra présenter lui-même des photos de sa boite aux lettres. De fait, les médecins Securex font parfois peu de cas de la déontologie : pas besoin de voir le patient, il suffit juste de dire qu’il n’a pu être rencontré ou qu’il était absent aux heures de présence obligatoire.

Sauf que, cela est à la limite de la loi. Ainsi la Poste a été condamnée par le tribunal des prud’hommes de Paris en mars 2008 à indemniser un facteur qui, bien qu’étant chez lui au moment de la visite, n’avait pu répondre. Près d’un an de procédure pour 92,13 euros et deux jours d’arrêt maladie… Au total, sur Paris-Sud, Sébastien Baroux de Sud-PTT dit être intervenu sur au moins 80 dossiers litigieux.

Pas de médicament, donc pas de maladie !

L’histoire de Jessica, factrice de 24 ans qui vient de quitter son employeur, se révèle édifiante. En CDI à partir d’avril 2004, elle reconnaît avoir été souvent arrêtée, pour des « graves soucis personnels », façon pudique de parler d’une forte dépression. Systématiquement contrôlée, elle raconte :

« Une fois, mon médecin traitant m’avait arrêtée une semaine. Le médecin Securex se présente chez moi. Il n’a pas voulu m’écouter, encore moins m’ausculter. Il m’a juste dit qu’aller travailler me ferait aller mieux. »

Bilan : salaire suspendu. Autre visite : « Je n’avais pas de médicaments à prendre, j’allais voir un psychiatre pour me soigner. Le médecin Securex, toujours le même, m’a dit : “Pas de médicament, donc pas de maladie !” » Il lui intime donc de reprendre le travail.

Elle se remémore également la première visite de ce médecin qui avait sonné chez elle alors qu’elle dormait. Il constate l’absence, la Poste suspend le salaire Jessica pour la durée de l’arrêt maladie. Conséquence : un interdit bancaire. La jeune factrice en veut à ce médecin et à son employeur : « Ça m’a mise encore plus dans la merde, j’allais déjà très mal à cette période là. »

Bien qu’alertée, sa hiérarchie n’a pas bougé. Au départ, la contre-visite médicale a été négociée comme une contrepartie du maintien du complément de salaire. Devant la hausse des arrêts de travail, certaines structures s’en sont emparées à grande échelle de moyen de contrôle. Au risque d’en faire un outil de management dur et mal ressenti. Dans le cas de la Poste, cela se fait dans le cadre global d’une politique de prévention et de sensibilisation à l’absentéisme, affirme la direction. « Ça sert surtout à fliquer les salariés », répond Bernard Poisson, de la CFTC.

Par Manuel Jardinaud | Journaliste


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