La pire crise depuis 1929 ( Par Denis Collin)

lundi 6 octobre 2008.
 

C’est ainsi que s’expriment la plupart des dirigeants, Nicolas Sarkozy en tête. Partout sont convoquée des réunions d’urgence pour tenter d’enrayer la crise et éviter la perspective d’un effondrement total du système. Pendant les premiers jours, les économistes officiels, les doctes professeurs qui bourrent le crâne des étudiants depuis des décennies, tentaient de sauver la face. Ce n’était pas comparable à 1929, on avait les moyens d’enrayer l’effondrement, ça ne remettait pas en cause la confiance dans l’omniscience du marché. Vint le plan Paulson et ce fut un court instant d’euphorie. À ceux qui s’inquiétaient du montant astronomique de ce plan (près de 1000 milliards de dollars), un économiste médiatique, spécialiste de la chasse à la gabegie causée par les fonctionnaires, Jacques Marseille, encore plus stupide que de coutume (c’est dire !) déclarait que 700 milliards d’euros, ce n’est rien ("C dans l’air", sur la 5, jeudi 25 septembre). Et puis d’autres institutions financières s’effondrent. Partie des États-Unis, l’onde de choc atteint l’Europe. Fortis, le principal établissement belge est placé ce week-end sous assistance respiratoire et le pronostic des médecins est réservé...

"Il n’y a plus que les États qui tiennent debout" constate lucidement le présentateur du journal de France-Culture. De fait, tout le verbiage idéologique abondamment répandu, à droite comme à gauche, depuis les années 80, vient de révéler sa vanité. Tous les libéraux oubliant leurs dogmes crient en choeur : "État, sauve-nous !". Tous les pourfendeurs de dépenses publiques exigent que les contribuables mettent la main à la poche pour sauver les ploutocrates. Le Canard Enchaîné (mercredi 24/9) nous apprend que les jeunes traders français installés à Londres, qui n’ont d’ordinaire que du mépris pour le "système français" qui les a pourtant éduqués aux frais de la nation, se replient sur la France pour y toucher les ASSEDIC, souvent au plafond, à plus de 6000 € mensuels : si Hirsch cherche de l’argent, il pourrait s’intéresser à ces "golden boys" qui, après avoir monté de gigantesques escroqueries financières, viennent maintenant escroquer les ASSEDIC auxquelles ils n’ont pas côtisé. On devrait leur appliquer le principe sarkozyste : ils n’aiment pas la France, qu’ils aillent chercher pitance chez leurs amis anglo-saxons.

"Il n’y a plus que les États qui tiennent debout." Mme Merkel, le président français et même George Bush, tous veulent maintenant réguler le capitalisme alors qu’il y a encore quelques mois ils n’avaient à la bouche que le marché libre et la dérégulation. Il paraît même qu’il faut "moraliser". Comme si le capitalisme pouvait être moral. L’essence du capitalisme est la production de la plus-value ou plus simplement le taux de profit. Pour le capitalisme, est moral ce qui augmente le profit, est immoral ce qui le diminue. C’est la loi suprême. Les augmentations de salaire, les droits sociaux sont immoraux parce qu’ils diminuent le profit. Hier, la réglementation et l’intervention de l’État étaient immorales. Aujourd’hui, c’est la "régulation" qui devient morale puisqu’elle permet de sauver la mise des profiteurs.

Nicolas Sarkozy promet des sanctions contre les responsables de la crise. Mais il n’y a pas un responsable, pas une poignée de malfaisants. Les malfaisants sont les possesseurs de capitaux, tous autant qu’ils sont, et qui agissent selon la logique même du capitalisme. Le capitaliste est le fonctionnaire du capital, disait Marx Technorati. Rien de plus exact. Les malfaisants croient agir au mieux. Le dirigeant d’entreprise qui place sa trésorerie dans un fonds hautement spéculatif agit au mieux pour son entreprise – nombre bilan de grandes entreprises ne sont florissants que par les résultats de ces placements spéculatifs quand la production elle-même est nettement moins flamboyante. Le petit épargnant qui écoute les conseils de son banquier agit au mieux de ses intérêts et l’employé de banque lui-même agit au mieux des intérêts de sa banque et du montant de son propre intéressement. Les "hedge fonds" dénoncés par le président français ne marchent que parce que les autres maillons de la chaîne cherchent à "maximiser leur utilité" pour parler le jargon de l’économie. Autrement chacun agissant au mieux, obéissant aux lois du calcul rationnel enseigné par les toutes universités et les écoles de commerce, met sa petite pierre à l’édifice qui va s’écrouler et s’écrouler sur la tête de ceux qui ont trois euros six centimes de côté, s’écrouler sur la tête des salariés qui vont perdre leur travail, et comme d’habitude vont payer ceux qui ne sont ni responsables ni coupables. Les magnats de la finance ne risquent rien. Le multimilliardaire qui perd 90% de sa fortune reste encore immensément riche. de toutes façons, dix ou cent vies n’aurait pas suffi pour dépenser ces fortunes. Même le trader a un petit bas de laine de côté, il ne changera pas de voiture de sport pendant un an ou deux et il attendra patiemment que les affaires reprennent, c’est-à-dire que les gouvernements en régulant aient fait payer les pauvres.

Beaucoup de gens de gauche se réjouissent que dans la crise on en revienne à l’intervention de l’État et que la régulation soit réhabilitée. Mais c’est encore une fois tomber dans le panneau de l’idéologie dominante. Car la régulation vue par Sarkozy, Merkel ou Strauss-Kahn, c’est seulement l’entreprise de sauvetage de la domination capitaliste pour lui permette de continuer comme avant. Le plus cynique, le pire à bien des égards, c’est évidemment le "socialiste" Strauss-Kahn qui a fait la théorie de la "nationalisation provisoire". Voilà la régulation "social-démocrate" sauce 2008 : quand les capitalistes sont menacés, on nationalise leurs pertes et ensuite, quand les affaires reprennent, on privatise. Ce "socialisme"-là ,c’est "l’hyper-capitalisme", le capitalisme sans risque, le capitalisme qui ne peut plus que rapporter des profits. Mais un tel régime, n’importe quel économiste "bourgeois" du XIXe y aurait vu la pire des tyrannies.

Il y a une autre solution : la nationalisation sans indemnisation pour les spéculateurs (que les patrons des grandes banques en faillite aillent pointer à la soupe populaire, ça leur ferait les pieds !) et la nationalisation définitive. Dominique Plihon, président du conseil scientifique d’ATTAC, interrogé sur France-Culture, avance avec beaucoup de précautions cette idée d’une nationalisation durable et d’une transformation du système économique. À quoi son interviewer rétorque : "mais c’est le socialisme !" et Plihon de bafouiller... Tout le problème du moment est là.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message