Les étrangers qui sont en nous

mercredi 17 septembre 2008.
 

par Serge Portelli, magistrat et président de chambre à la cour d’appel de Versailles

L’étranger est une chance. Il est le meilleur moyen de nous découvrir à nous-mêmes par ces différences qui sont le ferment nécessaire du progrès et de la paix. L’hospitalité est l’une des premières manifestations de l’humanité, la base de toutes les civilisations. L’asile est un devoir sacré. La fraternité est inscrite au fronton de tous nos bâtiments publics. Elle est la devise de notre nation. Le monde ne pourra pas survivre sans une solidarité croissante avec les plus pauvres, infiniment plus forte que les miettes chichement distribuées aujourd’hui. Toutes ces valeurs doivent être le fondement de notre politique d’immigration. On peut y ajouter des arguments économiques ou démographiques, comme le fait Jacques Barrot, actuel vice-président de la Commission européenne, qui prévient que l’Europe ne pourra pas survivre sans un apport massif d’immigrés à l’horizon du milieu de ce siècle. Ou comme on le lit dans le rapport Attali : l’immigration est une source de création de richesse et de développement. Cette justification-là n’est rien, face aux impératifs de la morale et de la démocratie.

Mais comme tant d’autres, je n’en peux plus de ce climat permanent d’exclusion, d’enfermement, d’expulsion, de cette xénophobie organisée, administrative, institutionnelle, qui agresse en permanence la culture de liberté et de fraternité dans laquelle j’ai appris à grandir et qui faisait que j’étais fier de mon pays. J’en ai assez de ces centres de rétention qui fleurissent partout en France et en Europe. J’en ai assez de cette simili-justice à qui l’on demande de cautionner des reconduites à la frontière ignobles. J’en ai assez de cette complicité des parquets qui autorise des arrestations massives dans les quartiers d’immigration. De ce climat de délation qui s’installe ouvertement en France comme aux pires années. De cette suspicion, de cette surveillance qu’on commence à organiser autour de tous ceux qui honorent notre pays en défendant les sans-papiers. De ce ministère de l’identité nationale qui me fait monter la honte au front chaque matin. De cette politique européenne qui veut faire de l’étranger en situation irrégulière un délinquant qu’on enfermera jusqu’à dix-mois pour avoir osé tenté de survivre. J’en ai assez de cet égoïsme monstrueux qu’on veut faire passer pour une politique raisonnée et raisonnable.

Mais vous ne les connaissez pas, vous ne vivez pas avec eux, vous ne les supportez pas, disent-ils. Si, précisément, je suis envahi par eux, et j’en suis fier. Je les porte en moi. Il y a dans mon sang de l’italien, de l’espagnol, du corse, du maltais, de l’allemand, du suisse, de l’alsacien et bien d’autres sûrement encore que je ne connais pas. Il y a dans mon coeur des juifs, des musulmans, des protestants, des catholiques, des athées... Je suis né en Algérie, et en moi, chaque jour vivent ces peuples arabes, européens, juifs, kabyles, qui se déchiraient sous mes yeux dans mon enfance : leurs chants, leurs langues, leurs traditions, leurs littératures... se mélangent, se bousculent en moi et m’habitent en permanence. Je ne suis évidemment pas le seul. Tout un peuple d’étrangers en situation plus ou moins irrégulière vit en chacun de nous.

Combattre le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination ne suffit plus. Il faut porter haut et fort les valeurs qui sont attaquées de toutes parts aujourd’hui. Il ne s’agit plus de les défendre mais de les proclamer. D’en faire le point de départ de nos discours et de nos actes mais surtout le point d’arrivée.


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