LE PAPE ARRIVE : JOURS DE DEUIL

vendredi 5 septembre 2008.
 

La semaine prochaine vient le pape. Je m’attends à la marée d’amnésie habituelle sur les exploits de cette sorte de chef politico religieux. Sans oublier les numéros de flagorneries à usage médiatique de tous ceux, à gauche, qui voudront prouver leur ouverture d’esprit et refus du « sectarisme » en léchant les mains de l’ancien grand inquisiteur de l’église romaine. Mais peut-être finit-on par s’habituer. Il y a peu nous avons été régalés de la présence très entourée de monsieur Dalaï Lama, « océan de sagesse » comme l’indique son modeste nom. Cet homme prétend être la réincarnation de la même personne depuis 1642 sans que ça fasse rire une seule fois un des extravagants socialistes qui sont aller se jeter à ses pieds. A part ça il souhaite aussi la partition du quart du territoire de la Chine et l’expulsion de 90 millions de chinois de cette zone. On ne va pas se fâcher pour si peu. La procession qui l’entourait a donc été béer d’admiration à Nantes en payant les 150 euros exigés pour être admis auprès de l’océan réincarné. Après quoi il a inauguré diverses pagodes dans une atmosphère d’adulation politique totalement aveuglée. Là non plus on ne s’est pas montré trop regardant sur ces bâtiments. Même quand ils n’ont pas de permis de construire. Mais tout ça reste très exotique. Le Tibet c’est loin. C’est du frisson religieux gratuit : on peut penser que nous n’aurons jamais à payer les pots cassés des théocrates en sari. Donc arrive monsieur pape. Et avec lui l’esprit de croisade. La c’est du sérieux. Le pape est un chef politique, n’en déplaise aux naïfs et aux malins qui voudraient en faire une pure figure de la contemplation métaphysique.

Le pape est un chef politique. En attestent encore récemment par exemple ses prises de positions et interventions publiques dans la campagne électorale espagnole. C’est le cas encore au quotidien en Amérique latine ou les églises catholiques mènent des campagnes acharnées contre le droit à l’avortement et le divorce sans hésiter à entrer très directement dans l’arène électorale. Naturellement je mets de côté les cas extrême où les prélats participent à des coups d’Etat comme au Venezuela ou menacent de mort des ministres comme en Argentine. Mais je crois utile de ne pas les oublier au moment où sont montrés du doigt comme sectaires et passéistes tous ceux qui osent rappeler la face obscure de l’église. Je n’y entre pas davantage dans cette note. Je veux cependant insister sur les aspects plus directement et immédiatement français de la politique papale.

UN VOYAGE POLITIQUE

Le Pape est l’homme de la « laïcité positive ». C’est-à-dire du droit pour la religion d’entrer dans la sphère publique et d’y être reconnue comme partie prenante. C’est donc le contraire de la laïcité définie en France depuis la troisième république notamment par la loi de 1905. A l’occasion de sa visite au Vatican et de son discours au Latran lors de son intronisation comme chanoine de cette paroisse, Nicolas Sarkozy a donné son accord a cette nouvelle définition de la laïcité. C’est à un projet de reconfessionalisation de la société française qu’il a souscrit. Je le montre dans le livre que j’ai publié à ce sujet. Le pape et le président ont une étroite connivence intellectuelle sur le sujet. Et les deux inscrivent leur approche dans les mots et la logique de la théorie du choc des civilisations. J’y reviendrai de manière plus approfondie dans une prochaine note. C’est dans ce contexte que s’effectue la visite du pape. Elle est l’occasion ou le prétexte à un élargissement spectaculaire de la présence visible du chef de l’église et de l’affirmation symbolique d’un statut privilégié pour lui.

LES PETITS PLATS DANS LES GRANDS

Plutôt que d’intervenir dans des édifices du culte, ou même sur leurs parvis, le pape a tenu à occuper en grand l’espace public. Il fera plusieurs déplacements en papamobile dans le cœur de Paris, conduira une procession nocturne, appelée « chemin de lumière » sur les quais de la Seine et célèbrera le lendemain une messe géante sur l’esplanade des Invalides. Non seulement tout cela conduit à privatiser des lieux publics au bénéfice d’un culte particulier, mais cela entraîne une débauche sans précédent de moyens publics. Et sans aucune comparaison avec les visites de chefs d’Etat. Le ministère de l’intérieur a annoncé que 6 000 policiers seraient spécialement mobilisés pour l’occasion, dont 3 500 rien que pour sécuriser les trajets du pape en papamobile dans Paris. Et comme Sarkozy n’est pas à une faveur près, les deux « papamobiles » blindées, pesant quatre tonnes chacune, arriveront à Paris par un avion Hercules C-130 affrété par l’armée de l’air française !. Et ce n’est pas tout : « Le Figaro » rapporte que pour sécuriser la suite de la visite du Pape à Lourdes, un avion radar Awacs survolera l’espace aérien et que des chasseurs et rampes antimissile seront déployés autour de l’aéroport de Tarbes pour créer une bulle virtuelle de vingt kilomètres autour de Lourdes. Rien de moins. La liste des moyens publics civils qui seront aussi mobilisés pour l’occasion semble illimitée. Ainsi la RATP s’est docilement pliée aux exigences de l’évêché et de la nonciature apostolique et augmentera la fréquence et l’amplitude horaire des lignes convergeant vers la procession nocturne du vendredi et la messe en plein air du samedi. La télévision n’est pas en reste : TF1 et France 2 vont rivaliser d’émissions spéciales en retransmettant notamment la messe du samedi matin. France 2 va même plus loin et diffusera une émission spéciale dès le vendredi pour retransmettre l’arrivée du pape à Paris et sa réception à l’Elysée par Sarkozy. Car c’est là une autre faveur que lui a accordé Sarkozy qui lui présentera à cette occasion les principaux membres du gouvernement. Le mépris de la laïcité de l’Etat sera enfin aggravé par la participation annoncée des autorités de l’Etat à la messe du samedi matin.

DES LARMES DE CROCODILE

Tout ce que fait le pape, la débauche de moyens et d’occupations d’espace public à laquelle sa présence donne lieu d’une façon extraordinairement ostentatoire converge pour marquer les esprits et banaliser la présence publique de l’église. La cible du Pape est politique et pas seulement religieuse. D’ailleurs nous avons été prévenus. Le 10 juillet dernier, le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat du Vatican et donc bras-droit du pape a souhaité un infléchissement dans la "rigidité" de la laïcité à la française. Et avec quels mots ! Selon l’Osservatore Romano, Le prélat, dans un discours sur la laïcité italienne a évoqué la situation française où « certains éléments font espérer une évolution de cette laïcité rigide qui fit de la France de la 3e République un modèle de comportements antireligieux ». Vous avez bien lu : un « modèle de comportements antireligieux ». Cette thèse est celle qu’avait reprise à son compte Sarkozy dans le discours de Latran du 20 décembre 2007. Sarkozy n’avait retenu de la grande loi laïque française que « les souffrances provoquées chez les catholiques » et prétendait carrément que « l’interprétation de cette loi comme un texte de liberté et de neutralité » est « une reconstruction rétrospective du passé » et qu’elle n’a été possible qu’une fois « désarmé l’anticléricalisme ». Sarkozy reprend ainsi littéralement le point de vue papal de l’époque, présentant l’église en « victime » d’ « une guerre qu’elle n’a fait que subir » (Pie X, lettre apostolique « Une fois encore » 1907). C’était déjà presque un copier collé des discours du Pape Jean-Paul II : « En 1905, la loi de séparation des Églises et de l’État fut un événement douloureux et traumatisant pour l’Église en France. » (Lettre de Jean-Paul II aux évêques de France 11 février 2005). Le pape arrive donc, précédé par l’esprit de querelle et polémique qui a caractérisé l’église dans le long terme face a la République. Car une fois de plus il faut le rappeler c’est l’église qui sans cesse, comme cette fois encore, harcela la République et non l’inverse.

Je le rappelle à chaque occasion : après le vote de la loi de 1905, c’est le Pape et l’église qui organisèrent pendant près de 20 ans, jusqu’en 1924, un véritable sabotage de son application. Plusieurs encycliques appelèrent les catholiques à désobéir et à empêcher l’application des lois laïques. En particulier l’encyclique Vehementer Nos de 1906. Le Pape y dénonce la loi de 1905 ainsi que le divorce et la laïcisation de l’école et des hôpitaux. Il y écrit : « nous réprouvons et nous condamnons la loi votée en France sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat comme profondément injurieuse vis-à-vis de Dieu » et « nous protestons solennellement de toutes nos forces contre la proposition, contre le vote et contre la promulgation de cette loi, déclarant qu’elle ne pourra jamais être alléguée ». Par opposition à la décision légale de constituer des associations cultuelles qui auraient pu être un cadre où l’on discute et où l’on vote, il y explique que « l’Eglise est par essence une société inégale » et que « la multitude n’a pas d’autre devoir que celui de se laisser conduire et, troupeau docile, de suivre ses pasteurs » Pour lui « la religion est la règle suprême et la souveraine maîtresse quand il s’agit des droits de l’homme et de ses devoirs ». Cela fera dire à Aristide Briand qu’il y avait « une incompatibilité radicale entre l’Eglise traditionaliste et l’Etat démocratique » et qu’il fallait engager « une libération totale et définitive ». L’église était donc loin d’être une victime de la République comme le Pape ou Nicolas Sarkozy se plaisent aujourd’hui à la présenter.

Et nous allons devoir supporter pendant quatre jours l’insupportable revanche que le cléricalisme ultramontain n’a jamais cessé de vouloir prendre sur la patrie de la liberté de conscience.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message