Que vit la population palestinienne et libanaise aujourd’hui (2 témoignages) ?

mercredi 2 août 2006.
 

1) Gaza dans l’obscurité est quasiment à court d’eau.

C’est d’une ironie presque incroyable. Depuis la capture d’un soldat israélien, la Bande de Gaza est victime d’une opération israélienne à grande échelle, qu’Israël appelle « pluie d’été ». Comme Israël a bombardé la centrale électrique et qu’il faut de l’électricité pour pomper l’eau dans la région la plus grande partie de Gaza n’a plus accès à l’eau potable.

Dans la chaleur de l’été, la pluie serait un bienfait, tellement mieux accueilli que les bombardements en cours.

Déjà je commence à perdre le fil des jours et des nuits, du nombre de bombes qui sont tombées. Depuis le bombardement de la centrale, nous avons du vivre sans électricité. Celle que nous avons, de tant en temps, est à peine suffisante pour rechercher les téléphones mobiles et ordinateurs portables qui nous permettent de n’être pas complètement coupés des autres et du reste du monde.

Je suis médecin et je crains pour nos malades.

22 hôpitaux n’ont plus d’électricité, ils doivent utiliser des générateurs, mais pour les générateurs il faut du fuel. Nous avons assez de combustible pour quelques jours au mieux puisque les frontières sont hermétiques, aucun combustible ne peut entrer.

Le manque d’électricité menace la vie de nos patients qui pour survivre sont branchés à des machines et celle de nos enfants en soins intensifs, de même que les malades en dialyse et bien d’autres.

Des centaines d’opérations ont été repoussées. Les pharmacies sont quasiment vides à cause de la fermeture des frontières imposée par Israël et l’arrêt de l’aide internationale. Les rares médicaments que nous avons se détériorent par manque de réfrigération.

La nourriture aussi se détériore sans réfrigération, et les réserves sont au plus bas. Les fermiers de Cisjordanie jettent des camions entiers de fruits pourris pour avoir attendu pendant des jours la permission d’entrer à Gaza, finalement refusée par Israël.

Les enfants ont faim alors que nous voyons jeter les aliments qui auraient pu les nourrir. Plus de 30 000 enfants souffrent de malnutrition, et ce nombre va augmenter car la diarrhée se répand à cause du manque d’eau potable et de la contamination des aliments.

Je suis mère et j’ai peur pour les enfants.

Je constate les effets des bangs supersoniques continus et des bombardements d’artillerie sur ma fille de 13 ans. Elle est agitée, elle panique, elle a peur de sortir, et en même temps elle est frustrée car elle ne peut pas voir ses amies.

Quand les avions de chasse israéliens nous survolent, jour et nuit, le bruit est terrifiant. Ma fille se précipite en général dans mon lit, tremblant de peur, et on finit toutes les deux accroupies sur le sol. J’ai le coeur qui s’affole mais il faut que je calme ma fille, que j’essaie de la rassurer. Mais quand les bombes sifflent je sursaute et je crie. Ma fille sent ma peur et sait que nous devons nous rassurer toutes les deux. Je suis médecin, je suis une femme mûre mais les bangs supersoniques me rendent hystérique.

Cette agression laissera des traces psychologiques sur les enfants pour des années. Instiller en eux la peur, la colère et le sentiment de perte n’amènera pas la sécurité et la paix aux Israéliens. Le prétexte de cette campagne de bombardements est la capture d’un soldat. Pour le monde extérieur la décision peut paraître facile pour les Palestiniens : laissez partir le soldat et les bombardements s’arrêteront. Mais pour les gens de Gaza, même soumis à cette violence brutale, il est une autre décision qui ne vient pas facilement mais résolument. C’est un soldat qui a été capturé lors d’une opération militaire.

Aujourd’hui des centaines de femmes et d’enfants palestiniens sont enfermés dans les prisons israéliennes. Ils ont droit à la liberté tout autant que lui. Leurs familles pleurent leur absence tout autant que la sienne. Aussi, tant que les gens de Gaza subissent l’orage israélien, la plupart d’entre eux veulent que le soldat soit détenu -sans qu’il lui soit fait le moindre mal- jusqu’à la libération des femmes et des enfants.

La plupart des Gazaouis croient aussi que l’attaque israélienne était déjà planifiée et que la capture du soldat n’en a été que le détonateur. Israël a lancé des milliers de bombes sur Gaza, tué des femmes, des enfants et des personnes âgées bien avant que le soldat ait été capturé.

Cette fois -ci Israël a attaqué quelques heures après un accord national a été signé entre le Fatah et le Hamas qui aurait pu mener à des négociations entre Palestiniens et Israéliens. Cela aurait amené Israël à renoncer au contrôle des terres et ressources palestiniennes.

Les Gazaouis pensent que le but de la campagne militaire israélienne est la destruction de notre gouvernement élu et de nos infrastructures, et avec eux de notre volonté d’obtenir nos droits nationaux.

Bien que nous vivions avec difficulté, nous vivons avec résolution. Tant que le monde n’imposera pas à Israël de reconnaître nos droits sur notre terre et de rechercher une paix qui amène la liberté et la sécurité aux Israéliens et aux Palestiniens, nous continueront tous à en payer le prix.

Mona El-Farra (militante des droits humains dans la Bande de Gaza)

2) Tyr n’est plus qu’un champ de ruines ( Pierre Barbancey )

Liban . L’armée israélienne intensifie ses attaques. Les Libanais vivent dans l’angoisse permanente. La catastrophe humanitaire est partout. Le pire est peut-être encore à venir. La conférence de Rome a donné des ailes - militaires - à Israël pour poursuivre son offensive contre le Liban.

« Hier à Rome, nous avons eu de fait la permission du monde - la moitié en grinçant des dents, l’autre moitié en donnant sa bénédiction - à poursuivre notre opération, cette guerre, jusqu’à ce que le Hezbollah disparaisse du Liban et qu’il soit désarmé », n’a pas craint de dire Haïm Ramon, considéré comme un proche d’Ehud Olmert.

De fait, l’aviation israélienne a redoublé ses attaques sur le sud du Liban, en particulier sur la ville de Tyr, considérée par Tel-Aviv comme l’une des bases de départ des roquettes du Hezbollah qui s’abattent sur le nord d’Israël.

Hier, c’est une usine chimique d’Haïfa qui a été touchée, prouvant implicitement que les capacités militaires du Hezbollah sont toujours intactes.

Le cabinet de sécurité a finalement opté pour une intensification des frappes plutôt qu’une offensive terrestre, comme envisagée par l’état-major. Ce qui montre que la résistance opposée par les Libanais occasionne d’importantes pertes à l’armée israélienne.

Mercredi, neuf soldats ont ainsi trouvé la mort. Mais cela signifie que les civils libanais vont vivre encore des jours terribles et que le bilan en victimes humaines - qui dépasse déjà les 430 - va s’aggraver.

Organisation des secours difficile

Frappés chaque jour un peu plus, les habitants de la ville de Tyr vivent dans l’angoisse. Tous les magasins sont fermés, les voitures ne circulent pratiquement plus. Dans les rues, les détritus s’accumulent, en pleine chaleur, faisant craindre le pire si la situation ne se modifie pas dans les prochains jours.

Une dizaine de camions transportant 90 tonnes de nourriture et de fournitures médicales ont emprunté, à partir de Beyrouth, un corridor humanitaire, défini en accord avec Israël, pour que les véhicules ne soient pas pilonnés.

« Nous espérons que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, affirme avec un optimisme forcé Khaled Mansour, porte-parole de l’ONU au Liban. Nous sommes arrivés ici, cela veut donc dire que le système marche, le corridor humanitaire fonctionne. »

L’ONU prévoit d’envoyer un nouveau convoi humanitaire de Beyrouth à Tyr jeudi, deux autres vendredi, et encore de nouveau samedi, pour établir ce couloir comme un « processus régulier ». Cette première livraison devrait permettre de couvrir les besoins en nourriture de 22 000 personnes pendant une semaine, et de fournir des kits médicaux à 50 000 personnes pendant trois mois.

Pour l’heure, la municipalité, qui a dû faire face à l’arrivée de plusieurs milliers de déplacés, tente d’organiser les secours. Ce n’est pas chose facile, comme l’explique Mohammad Husseini, un volontaire : « Nous avons reçu de la farine, mais, comme il n’y a pas d’électricité, il est difficile de s’en servir pour faire du pain en grande quantité. Il y a bien des groupes électrogènes, mais sans carburant ils ne tiendront pas longtemps. »

Selon lui, un bateau plein d’aide humanitaire est prêt à venir à Tyr, mais attend toujours le bon vouloir des autorités israéliennes. "Pourquoi Israël empêche-t-il l’arrivée de cette aide dont nous avons tant besoin ? demande-t-il. Nous sommes des êtres humains. Israël ne respecte rien, même pas l’ONU".

Les populations vivent dans l’angoisse. Les plus riches ont fui la ville dès le début. Les autres se réfugient là où ils le peuvent, dans des écoles, des caves ou des garages, dans la plus grande précarité. C’est dans l’un de ces abris, au centre de Tyr, que se trouvent Hussein et sa famille. L’endroit est insalubre. Des matelas ont été posés à même le sol. « On est là parce qu’on veut être sûr de ne pas être attaqués, pour que les enfants soient en sécurité, veut croire Hussein. À côté de chez nous, deux immeubles ont été détruits. » Sept autres familles se trouvaient là, mais, hier matin, au lendemain du bombardement, elles ont préféré partir vers le Chouf, moins attaqué par les Israéliens. « Nous mangeons grâce à la municipalité, qui nous aide avec des céréales, de l’eau, de l’huile, du sucre, des pâtes », souligne-t-il.

Une situation sanitaire dégradée

Des dizaines de milliers d’autres sont dans le même cas, ce qui inquiète les quelques organisations humanitaires présentes.

Soha Boustani, de l’UNICEF, se dit « inquiète par la situation. Il y a maintenant 700 000 déplacés dans le pays. 120 000 sont dans des écoles ou des jardins, dont 40 000 à Beyrouth ». Des endroits pas ou peu équipés : il n’y a pas de douches, pas de cuisines... « La situation sanitaire ne cesse de se dégrader, alerte Soha Boustani. Il y a de plus en plus de cas de diarrhées chez les enfants et nous craignons des infections. Ce que nous voulons, c’est que cette guerre s’arrête. Les enfants ont quitté leurs villages dans des conditions difficiles, ils sont traumatisés. »

Si l’UNICEF espère organiser de nouveaux convois vers le sud, l’acheminement est problématique vers les villages isolés et coupés du reste du monde à cause des combats qui font rage vers la frontière israélienne. Hier soir, la ville de Tyr s’est enfermée dans le silence.

Tyr (Sud Liban),


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