Sivens : les policiers protégeaient un chantier illégal. Le combat des zadistes était légitime

mardi 26 juillet 2016.
 

En juillet 2016, le tribunal administratif de Toulouse a adressé ses conclusions à Ben Lefetey, porte-parole du collectif du Testet : il annule la déclaration d’utilité publique ; il annule l’arrêté sur les espèces protégées ; il annule l’arrêté sur le défrichement.

Pour quiconque a suivi les évènements de Sivens :

- > cela signifie que les raisons invoquées sur l’utilité publique de la retenue sont mises à la poubelle

- > cela signifie que le défrichement de la zone sans attendre la décision de justice était illégal

- > cela signifie surtout que Rémi Fraisse avait raison le jour où il a été tué par une grenade lancée par un policier alors que les forces de l’ordre défendaient un chantier illégal.

Ben Lefetey considère qu’ « on a envoyé des gendarmes protéger un chantier illégal » avec les conséquences dramatiques que l’on sait pour le jeune Rémi. Selon lui, cela montre que l’occupation des zadistes était aussi « légitime ».

Pour Roland Foissac, ex-conseiller général Front de gauche, la décision du tribunal « est une cruelle leçon infligée aux autorités qui, contre toute évidence, se sont drapées derrière une prétendue « légalité », un prétendu « état de droit » et fait usage de la force dans des proportions inouïes pour réduire les opposants ».

B) Les principales conclusions du tribunal

- > Les mesures compensatoires à la destruction de la zone humide du Testet présentaient un caractère hypothétique

Le Tribunal considère « qu’il ressort des pièces du dossier et notamment des avis du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) du 11 janvier 2013, du conseil national de la protection de la nature (CNPN) du 16 avril 2013 et de l’autorité environnementale du 8 août 2013 que les mesures compensatoires présentent un caractère hypothétique, ne compensent pas réellement la disparition de la seule zone humide majeure de la vallée et qu’il existe une incertitude sur la faisabilité technique de créer des zones humides sur des terrains qui n’en étaient pas auparavant et la localisation de certains sites choisis en dehors de la vallée du Tescou »

- > Les compensations n’étaient pas compatibles avec le schéma de gestion des eaux (SDAGE) mis en place en application du code de l’environnement

"La mesure de compensation prévue « consistant en l’acquisition de 19,5 hectares de terrains en vue de recréer des zones humides pour compenser la destruction de 12,7 hectares et la perte de fonctionnalité de 5,4 hectares de zones humides n’est pas compatible avec l’orientation C 46 du SDAGE Adour- Garonne »

- > il y avait surdimensionnement et surcoût du projet

« Qu’il ressort des pièces du dossier et notamment des rapports du conseil général de l’environnement et du développement durable d’octobre 2014 et de janvier 2015, postérieurs à la décision attaquée mais révélant une situation existant à la date de cette décision, que le nombre de bénéficiaires estimés est de l’ordre de 30 et de 10 préleveurs nouveaux et que le volume préconisé pour cet ouvrage représente 448 000 m3 de volumes contractualisables de substitution des prélèvements constatés au lieu de 726 000 m3, soit un volume d’irrigation dans la retenue de Sivens de 560 000 m3, 180 000 m3 de volume d’étiage et 10 000 m3 pour les retenues des culots, de fonds de retenues ; qu’ainsi, la dimension de la retenue d’eau doit être regardée comme ayant été surestimée »

- > Les atteintes graves à la zone humide, le surdimentionnement et le surcoût retirent le caractère d’utilité publique au projet

"Il ressort de l’ensemble de ces éléments que les atteintes graves portées par le projet à la zone humide de la vallée du Tescou, le surdimensionnement du projet et son coût élevé, excèdent l’intérêt de l’opération et sont de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique"

C) Notre rubrique sur la lutte de Sivens comprenant 21 articles

http://www.gauchemip.org/spip.php?r...

D) Sivens : la justice annule le projet initial de barrage (par Grégoire Souchay, Reporterre)

https://reporterre.net/Sivens-la-ju...

Juillet 2016, le tribunal administratif de Toulouse a annulé trois arrêtés fondateurs du premier projet de barrage de Sivens. Une victoire juridique de taille qui remet en cause sur le fond l’utilité du projet de retenue d’eau de Sivens.

La décision était attendue dans quinze jours. C’est finalement vendredi 1er juillet que les juges du tribunal administratif de Toulouse ont rendu cinq décisions concernant le projet de Sivens. Bilan : les trois arrêtés fondateurs du projet sont annulés. Ils avaient été attaqués en octobre 2013 par plusieurs associations environnementales opposées au barrage de Sivens, dont le collectif Testet. La justice suit ainsi les conclusions du rapporteur public présentées lors de l’audience du 24 juin dernier

Première et plus notable de ces annulations : la déclaration d’utilité publique, (DUP) du 2 octobre 2013. Elle avait donné le feu vert pour l’ensemble des travaux du barrage. Cette décision outrepassait déjà la loi puisqu’elle ne respectait pas les réserves des commissaires enquêteurs qui donnèrent un avis favorable au projet. Dans leurs conclusions sur cette DUP, les juges administratifs présentent une démonstration implacable contre le projet et donnent raison sur tous les points soulevés depuis le début par les opposants : un projet inutile, destructeur et surdimensionné.

D’abord, cet arrêté viole les préconisations régionales du Sdage (schéma directeur de l’aménagement et de gestion de l’eau) du bassin Adour-Garonne qui précisait « qu’aucun financement public n’est accordé pour des opérations qui entraîneraient, directement ou indirectement, une atteinte ou une destruction des zones humides, notamment le drainage ».

Les juges fondent leur décision sur les avis défavorables rendus à la fois par les instances régionales (CSRPN et nationales (Conseil national de protection de la nature) du ministère de l’Écologie qui estimaient dès 2013 que « les mesures compensatoires présentent un caractère hypothétique, ne compensent pas réellement la disparition de la seule zone humide majeure de la vallée ». Autre élément essentiel : les juges reconnaissent le caractère surdimensionné du projet, (1,5 million de mètres cubes), aspect longtemps nié par ses promoteurs.

Le second arrêté concerne la destruction des espèces protégées, daté du 16 octobre 2013. La conduite des études sur la faune avait été entachée d’irrégularités. Un point soulevé, là encore, par le Conseil national de protection de la nature qui précisait dans son avis défavorable d’août 2013 que « les inventaires faunistiques sont très insuffisants et ne couvrent pas un cycle biologique annuel ».

Le troisième arrêté concerne l’autorisation de défrichement, datée du 12 septembre 2014. Pour qui était sur place, la date peut surprendre puisque le défrichement de la zone avait en fait commencé dès le 1er septembre, sans respecter les affichages obligatoires et les procédures légales. Saisi en urgence, le tribunal de grande instance d’Albi se déclarait incompétent le 16 septembre, et ce alors que les deux tiers de la zone humide étaient déjà détruits. Il condamnait même l’association FNE Midi Pyrénées à 4.000 euros d’amende ! Le tribunal administratif de Toulouse rend finalement raison à l’association en annulant cet arrêté et en demandant qu’il lui soit versé (seulement) 150 euros.

Le tribunal a également examiné deux autres recours : l’un concernait la déclaration d’intérêt général, en lien avec la loi sur l’eau, pris le 2 octobre 2013. Cet arrêté fondateur avait été déjà abrogé au mois de janvier dernier par les préfets du Tarn et du Tarn-et-Garonne. Les juges de Toulouse ont donc conclu qu’il n’y avait plus lieu de statuer. L’État est néanmoins condamné à versé 1.200 euros aux associations au titre des frais engagés. Enfin, dernier recours en date, concernant le protocole d’accord entre l’État et le département du Tarn, protocole qui soldait les dépenses déjà engagées dans le chantier (2 millions d’euros). La justice a débouté FNE Midi Pyrénées et le Collectif Testet et suivi les conclusions du rapporteur public qui estimait que l’association n’avait pas d’intérêt à agir.

« Les zadistes avaient toute légitimité pour protéger la zone humide »

Si ces décisions ne changent rien à un chantier stoppé, soldé et abandonné, elles mettent un terme définitif au projet initial de barrage. Selon Alice Terrasse, avocate des associations requérantes, les trois décisions d’annulation sont « pleinement satisfaisantes ». Et pour cause, « les juges sont rentrés dans le détail des points abordés par les associations. Ils reconnaissent pleinement l’absence d’utilité du publique du projet ». Les travaux entrepris sont donc juridiquement illégaux, ce qui montre pour l’avocate que « les zadistes et les occupants avaient toute la légitimité pour protéger la zone humide et le site de Sivens ». Rappelons que c’est seulement après la signature des arrêtés autorisant les travaux que des opposants locaux avaient débuté l’occupation au mois de novembre 2013, dernier recours devant le démarrage imminent des travaux.

Pour l’heure, les associations se concertent pour savoir si elles entreprennent ou non une action en responsabilité contre l’État pour la destruction de la zone humide et pour exiger la remise en état des parcelles. Élément juridique de poids : les juges ont choisi l’annulation pure et simple et non l’abrogation des trois arrêtés. Une simple abrogation aurait juste mis un coup d’arrêt à partir du rendu de la décision. Mais une annulation remet en cause la légalité de toutes les opérations conduites depuis la signature de l’arrêté, donc des travaux.

Les opérations de maintien de l’ordre ont protégé un chantier illégal

En est-il de même pour les opérations de maintien de l’ordre entreprises pour protéger ce chantier « illégal » ? Pour Me Terrasse, les deux ne s’inscrivent pas nécessairement dans le même cadre, même si selon son analyse, « on peut considérer qu’il n’y avait pas lieu de déployer la forces publique ».

Grande perdante de ce jugement, la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne. Elle avait produit les études justifiant le barrage et avait été chargée ensuite de le construire. Me Terrasse estime que « cela remet en cause la légitimité et le sérieux de cette entreprise ». La CACG a été condamnée deux fois depuis le début de l’année, pour mauvaise gestion du barrage de la Gimone, dans le Tarn-et-Garonne, et pour des débits insuffisants sur le Midour, un cours d’eau dans le Gers.

Les décisions concernant le barrage de Sivens résonnent en écho avec celles d’une autre retenue du Tarn, le barrage de Fourgogues, construit par la CACG et déclaré illégal un an après son achèvement.

Autre perdant : le Conseil général du Tarn qui n’a désormais plus aucune base légale pour planifier un projet à Sivens. Il faudra pour un nouveau barrage redimensionné et déplacé une nouvelle déclaration d’utilité publique et une nouvelle enquête publique. « Sans la DUP, tout s’effondre », résume Ben Lefetey, porte parole du collectif Testet. Le collectif mène désormais la bataille pour restaurer la zone humide là où elle a été détruite. Un comité de suivi a été mis en place le 17 juin dernier, une visite du site est prévue la semaine prochaine.

« Si le dialogue environnemental avait été respecté, cette tragédie ne serait pas arrivée »

Mais pour M. Lefetey, la victoire reste amère : « Il est dommage que la justice ne nous ait pas entendu plus tôt, en 2013 et 2014 quand nous demandions à stopper le projet, le drame aurait pu être évité », souligne-t-il, référence à la fois à la destruction de la zone humide mais aussi au deuil de Rémi Fraisse, que portent toujours les opposants au barrage.

Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, Rémi Fraisse, a été tué par une grenade offensive lancée par les gendarmes mobiles. Le jeune homme de 21 ans était tout simplement venu participer à un rassemblement festif et militant organisé ce week-end là sur la ZAD de Sivens. La famille de Rémi Fraisse s’est exprimée vendredi 1 juillet en saluant ces décisions d’annulation. Elle « constate avec douleur que si les recours administratifs et le dialogue environnemental avaient été respectés, les travaux n’auraient pas démarré et cette tragédie ne serait jamais arrivée ». Et de rappeler le président de la République « à sa promesse de vérité formulée lors de son allocution du 6 novembre 2014, alors que l’enquête judiciaire peine toujours à avancer et ne s’intéresse pas aux décisionnaires publics aujourd’hui mis en cause par cette décision administrative ».


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