«  Que les bouches s’ouvrent  » Maurice Thorez le 21 août 1931

dimanche 24 août 2008.
 

Le vendredi 21 août 1931,l’Humanité publie un texte de Maurice Thorez intitulé « Les bouches s’ouvrent ». Cette injonction participe d’une reprise en main du Parti communiste qui a commencé en juillet 1931. Alors que la jeune direction du PCF a mené de manière mécanique et sans doute avec un zèle certain la ligne sectaire « classe contre classe », décidée en 1928 au VIe congrès de l’Internationale communiste, le Parti est exsangue et compte à peine 30 000 adhérents.

Face à ce recul important, les dirigeants de l’Internationale communiste dénoncent une fuite en avant. Bientôt on dénonce le « groupe Barbé-Celor-Lozeray », tout comme ailleurs en Europe où différents groupes dirigeants, qualifiés d’« ultra-gauchistes », sont écartés. Thorez n’hésite pas à publier des lettres ou des messages dans lesquels il est mis en cause, comme dans cet article du 21 août 1931. Il s’agit de dénoncer des méthodes appliquées avec zèle qui isolent le Parti des masses. Les dirigeants sont alors pris à partie et Maurice Thorez présente même sa démission à l’Internationale communiste (IC) le 27 juillet 1931  : « Le peu de résultat obtenu me fait un devoir de renoncer à un poste pour lequel je suis imparfaitement préparé, théoriquement et politiquement. En outre, plusieurs faits m’autorisent à croire que les camarades de l’IC doutent désormais, à tort selon moi, de ma volonté sincère de réaliser intégralement toutes les directives justes du comité exécutif de l’IC. » Le 1er août 1931, l’Internationale communiste apporte sa vision des choses

C’est à la réunion du bureau politique du 1er août 1931 que l’Internationale communiste apporte sa vision des choses. Manouïlski, qui est venu à Paris dès juillet pour reprendre en main le Parti, annonce l’existence d’un « groupe fractionnel » au cours de ce bureau politique. L’émissaire de l’IC, Eugen Fried, qui est présent en France depuis juin, charge alors Maurice Thorez de publier une série d’articles afin de créer un choc au sein du Parti. La mise en scène, exagérée, qui participe d’un véritable psychodrame, s’écrit en un mois où plusieurs articles sont publiés dans l’Humanité au cours de l’été, tous aux titres évocateurs  : « Pas de mannequin » (14 août)  ; « Que les bouches s’ouvrent » (21 août)  ; « Enfin, on va discuter » (1er septembre)  ; « Jetons la pagaille » (23 septembre). Cette campagne publique dans le journal communiste durant plusieurs semaines permet d’insuffler dans tout le Parti une vitalité et un élan nouveaux. Thorez dénonce les méthodes de la direction précédente et ouvre de nouvelles perspectives. C’est une véritable « révolution culturelle » avant l’heure et surtout un coup de tonnerre qui éclate au sein du Parti  : à la suite du comité central de juillet, on dénonce avec force le « groupe Barbé-Celor-Lozeray », qui est mis à l’écart. Henri Barbé est accusé de travail fractionnel – Celor est même accusé d’être un « flic » – et quelques mois plus tard leur « opportunisme de droite » est dénoncé. Thorez est confirmé au poste de secrétaire général du PCF, il est appuyé par Jacques Duclos et Benoît Frachon.

En revanche, ce texte ne remet pas en question la ligne « classe contre classe », on peut même lire le 18 décembre 1931, dans l’Humanité, sous la plume d’André Ferrat « Ouvrir la bouche, oui, mais pas pour réviser la ligne de l’IC. » Cette ligne est confirmée au VIIe congrès du Parti en 1932, mais cela permet d’écarter l’ancienne direction et de conforter la place de Maurice Thorez au sein du Parti  : le « cadre thorézien » se met en place sous l’aide bienveillante d’Eugen Fried. Le « tournant » a eu lieu et permet de justifier la lutte contre les deux fronts, « l’opportunisme et le sectarisme ».

Cette formule « Que les bouches s’ouvrent » de Thorez a marqué durablement la culture et le référentiel du PCF. Elle est reprise par Waldeck Rochet en 1968, lors de l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie qui mit fin à l’expérience du socialisme à visage humain. Alors que le PCF est sur la voie de l’aggiornamento, son nouveau secrétaire général, qui condamne cette intervention, insiste pour que « tous les comités fédéraux, les comités de section et les cellules se réunissent pour en discuter ». Afin d’asseoir son autorité et sans doute sa légitimité, il accomplit un acte qui rompt avec toute la tradition du PCF  : il fait approuver sa prise de position par les militants communistes. Ainsi, chaque fédération se prononce pour ou contre la désapprobation.

Dans l’Humanité du 21 août 1931 par Maurice Thorez

« Les derniers articles, dans lesquels j’ai marqué la volonté de notre comité central d’obtenir un changement dansle travail du Parti, (...) ont, semble-t-il, trouvé un assez large écho dans le Parti et même autour du Parti, chez les ouvriers sympathisants. De nombreux camarades m’ont écrit pour dire leur satisfaction. (...) Il reste précisément à montrer maintenant (...) que l’“on n’a pas fait le tournant” et que nous n’avions pas jusqu’alors pratiqué effectivement la lutte sur les deux fronts, contre les déviations franchement opportunistes et contre les déviations “sectaires” qui sont un autre aspect de l’opportunisme. Ce sera notre tâche à tous dans les jours prochains parce que nous ne sommes encore qu’au commencement et qu’il faudra nécessairement approfondir tous les problèmes, dans une discussion fraternelle avec tous les camarades, pour réaliser enfin le pas en avant du Parti. »


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