Pour réduire la pauvreté, va-t-on faire payer… les pauvres ?

samedi 23 août 2008.
 

J’ai dans mon texte précédent montré comment Martin Hirsch essayait de faire reculer la pauvreté dans les chiffres plus que dans les faits par une manipulation de l’indicateur de la pauvreté monétaire.

Mais il existe une deuxième modalité tout aussi discutable de réduction des chiffres de la pauvreté, et c’est sur elle que va jouer le RSA (Revenu de Solidarité Active, voir mon blog du 6 décembre 2007). On peut l’illustrer par un exemple fictif. Vous avez 10 pauvres, au sens usuel de personnes dont le revenu est inférieur à un seuil de pauvreté quelconque, et vous voulez en « sortir » trois de la pauvreté. Pour cela, vous choisissez trois personnes jugées « méritantes » (par vous), puis vous ponctionnez sur les sept autres les sommes qui permettent aux trois élues de franchir le seuil. Si cela ne suffit pas, vous ponctionnez aussi les revenus de personnes situées un peu au-dessus du seuil, sans toutefois les faire descendre sous ce seuil. Vous obtenez alors une réduction de 30 % du nombre de pauvres, au prix d’un appauvrissement des très pauvres (les sept non élus), mais aussi des quasi pauvres (personnes à revenus très modestes, bien qu’au dessus du seuil).

Nous allons voir comment le financement du RSA, si on le situe dans l’ensemble des dispositifs publics de lutte contre la pauvreté, joue sur une pure redistribution entre personnes à bas revenus, amplifiant les écarts entre eux.

L’APPAUVRISSEMENT DES PLUS PAUVRES

Ce gouvernement et le précédent ont réalisé depuis 2002 des économies substantielles sur les minima sociaux et les plus petits revenus. Cela avait commencé avant, mais moins nettement.

Pour une personne seule par exemple, le RMI représentait 34,9 % du revenu médian (RM) en 1990, 32,1 % en 2002 et 30,1 % en 2007. Chute plus forte encore pour le minimum vieillesse, qui est passé de 48,7 % du RM en 1990 à 45,1 % en 2002 et 42,5 % en 2007. De même pour les allocations familiales, dont la « base mensuelle » représentait 31,1 % du RM en 1990, 26,9 % en 2002 et 25,4 % en 2007. Si l’on raisonne non plus en termes relatifs (en pourcentage du RM) mais en termes « absolus », on trouve que le pouvoir d’achat de ces revenus a diminué de plus de 1 % depuis 2002, alors qu’il avait un peu progressé entre 1990 et 2002. Ces chiffres figurent dans une note de l’OFCE du 16 janvier 2008 dont les calculs utilisent, faute de mieux, l’indice général des prix pour calculer les évolutions du pouvoir d’achat. Mais comme l’inflation qui affecte les budgets modestes est supérieure à la moyenne, la réduction de leur pouvoir d’achat est plus forte encore que ce qu’indiquent ces chiffres.

Or, laisser stagner ou diminuer le pouvoir d’achat des minima sociaux pendant cinq ans (2002-2007) alors que la richesse nationale par habitant, le revenu médian et les recettes publiques ont progressé, CE N’EST RIEN D’AUTRE QUE REALISER DES ECONOMIES SUR LE DOS DES PAUVRES. Toute politique qui n’assure pas une indexation des minima sociaux et des plus petites retraites sur le revenu médian appauvrit les pauvres, si l’on admet que la pauvreté (monétaire) est une situation qui s’évalue de façon relative, question déjà évoquée sur ce blog.

En n’indexant pas depuis 2002 le RMI (un budget de 6 milliards d’euros) sur le revenu médian, l’État a réalisé en 2007 une économie d’environ 400 millions d’euros. Il faut y ajouter tous les autres minima, mais aussi les très petites retraites qui ont décroché, notamment le « minimum contributif » (un complément touché par 4 millions de retraités pour qu’ils atteignent 580 euros par mois, pour un budget de 4,4 milliards d’euros), ainsi que les prestations familiales (en se limitant à celles qui vont aux ménages à bas revenus). Sans même tenir compte des économies liées aux franchises médicales et autres ponctions qui affectent les pauvres plus que les autres, on obtient alors plus que les 1,5 milliard d’euros annuels que Martin Hirsch récupérera (au mieux) pour le RSA. Cette dernière somme, effectivement destinée à une minorité de pauvres, sera donc inférieure aux « prélèvements » (ou économies réalisées) sur le dos de la majorité d’entre eux depuis 2002.

Or, il n’y a aucune chance pour que cette tendance s’inverse d’ici 2012 dans un contexte où le Président de la République a annoncé, le 8 avril 2008, que les dépenses sociales seront freinées au nom d’une rigueur budgétaire créée de toutes pièces par les cadeaux fiscaux et par le refus de taxer plus fortement les profits distribués, les stock options, etc. On apprenait presque en même temps que les seules entreprises du CAC 40 avaient distribué 41 milliards d’euros de dividendes en 2007 et prévoyaient une progression de 5 % de ce chiffre en 2008. Mais personne ou presque n’a fait le rapport.

Il est certain que ce RSA au rabais (le projet du rapport Hirsch 2005 aurait exigé 8 à 10 milliards d’euros par an) va permettre à quelques centaines de milliers de personnes trouvant des emplois à temps très partiel d’améliorer leurs revenus, et, pour une fraction d’entre elles, de franchir le seuil de pauvreté. Combien ? Si l’on ne change pas la définition actuelle de la pauvreté monétaire (voir mon texte précédent), peut-être 400 000 à 500 000 d’ici 2012 sur les 7 millions de pauvres. Encore cela dépendra-t-il de l’évolution générale de l’emploi, car ce ne sont pas, sauf exception, les érémistes qui créent leurs emplois.

Mais cette amélioration effective pour une petite minorité va se faire au prix de l’appauvrissement relatif de millions de personnes.

1) D’abord un appauvrissement des « autres pauvres », ceux qui ne bénéficieront pas du RSA. On peut parier que d’ici 2012 leur revenu continuera à décrocher par rapport au revenu médian. Le RMI, l’ASS (allocation de solidarité spécifique) et l’API (allocation de parent isolé) semblent voués à la croissance zéro voire négative de leur pouvoir d’achat, tout comme les prestations familiales. Le minimum vieillesse et l’allocation adulte handicapé, enjeux électoraux symboliques, seraient revalorisés de 25 % entre 2007 et 2012. Cette promesse, faite juste avant les municipales, sera-t-elle tenue vu le tour de vis annoncé ensuite ? Même si elle l’était, cela correspondrait à 4,5 % de progression par an. Avec une inflation qui pourrait être de 3 à 3,5 % par an, le pouvoir d’achat augmenterait de 1 à 1,5 % par an, vraisemblablement moins que le revenu médian.

2) Ensuite, le RSA va constituer un encouragement à la multiplication de petits boulots précaires mal payés, ceux-là même qui sont à l’origine de la pauvreté salariale que le RSA prétend combattre.

3) Enfin, le pouvoir d’achat de certains des bénéficiaires de la prime pour l’emploi (ceux qui sont un peu au-dessus du SMIC à temps plein) va être réduit pour pouvoir financer le maigre RSA. Je n’ai jamais défendu la PPE, ce « crédit d’impôt » inventé aux États-Unis comme aide sociale aux bas salaires. La PPE a les défauts politiques du RSA (d’une part, elle avantage uniquement ceux qui travaillent et donc elle est inégalitaire par construction, d’autre part elle entérine et encourage les politiques de bas salaires). Elle a en plus l’inconvénient d’être assez mal ciblée et de concerner, dans une minorité de cas, des gens qui n’en ont pas besoin, en tout cas pas au titre de l’aide publique.

Mais la PPE existe, plus de 8 millions de personnes en bénéficient pour un montant total de plus de 4 milliards d’euros, et ce qu’on nous propose est bel et bien d’en réduire le montant pour financer le RSA, c’est-à-dire en gros de déshabiller des salariés peu payés mais à temps plein pour aider des smicards à mi-temps ou à tiers-temps.

Au total, dans ce scénario, qui pourrait sérieusement dire en 2012 que la pauvreté a reculé ? N’est-on pas proche de l‘exemple fictif des 10 personnes à faible revenu auxquelles on applique une redistribution entre elles pour améliorer les chiffres ? Si c’est cela la solidarité active, il serait bon d’en refermer la parenthèse.


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