Le poète palestinien Mahmoud Darwich est mort samedi Comme les fleurs d’amandiers ou plus loin

lundi 11 août 2008.
 

Le texte ci-après fut prononcé à Ramallah lors de la cérémonie de dédicace du recueil Comme les fleurs d’amandiers ou plus loin, paru dans Al-Karmel (Ramallah), n° 85, 2005

Je ne suis pas de ceux qui se regardent dans le miroir avec satisfaction. En ce qui me concerne, le miroir reflète un moi tombé dans le domaine public. Autrement dit, les autres ont maintenant le droit d’y rechercher le reflet de leur moi. Si quelqu’un trouve des expressions et des images qui lui ressemblent ou le concernent, il dira : c’est bien moi. S’il n’y trouve aucun point commun avec le texte/image, il s’en détournera en disant : cela n’a rien à voir avec moi !

Par ailleurs, j’appréhende ce débat qui porte sur la relation qu’entretiennent la production poétique moderne et la majorité des lecteurs, débat qui a cours depuis que de nombreux poètes prennent un malin plaisir à creuser le fossé qui sépare le poème et ce second auteur qu’est son récepteur, car sans ce dernier et sans le mouvement qui le porte vers le texte, il n’y a point de projet poétique. Les accusations fusent des deux côtés. Mais la crise de la poésie, si crise il y a, est celle des poètes. C’est à chaque poète de s’efforcer de la résoudre selon sa propre voie créative.

Je sais qu’on va m’accuser, encore une fois, d’être contre la modernité arabe que les névrosés définissent selon les deux critères suivants. Le premier, c’est le mouvement de repli du moi sur sa subjectivité qui ne laisse aucune possibilité à l’intime de s’ouvrir sur l’extérieur. Quant au deuxième, c’est le rejet du poème composé selon la métrique classique hors du "paradis de la modernité" car, à leurs yeux, point de modernité en dehors du poème en prose.

J’ai toujours dit que le poème en prose écrit par des poètes doués était l’une des plus importantes réalisations de la poésie arabe moderne et qu’il avait acquis sa légitimité esthétique de par son ouverture sur le monde et sur tous les genres littéraires. Mais il ne constitue ni l’unique choix poétiques, ni "la solution finale" à toute la problématique poétique, à laquelle on ne peut d’ailleurs apporter aucune réponse définitive. L’espace poétique reste ouvert à tous les choix, connus et inconnus ; que cherchons-nous, en tant que lecteurs, dans les diverses expérimentations poétiques, sinon à réaliser la poéticité dans le poème, qu’il s’agisse d’un poème composé selon la métrique classique ou d’un poème en prose ?

Je sais également que mon nouveau recueil de poèmes, de même que les précédents, fournira à mes nombreux ennemis encore plus d’armes pour commettre ces assassinats symboliques si répandus au sein de la culture de la haine. On dira – comme on l’a déjà fait et comme on le fera encore – que j’ai abandonné "la poésie de la résistance".

Je reconnaîtrai devant ces juges sévères que, si j’ai bien renoncé à écrire la poésie politique et limitée quant à ses significations, je n’ai pas pour autant renoncé à la résistance esthétique au sens large. Ce n’est pas que les conditions ne soient plus les mêmes ou que nous soyons passés de "la résistance au marchandage" comme le prétendent les docteurs ès poésie héroïque, mais c’est parce que le style poétiques doit sans cesse changer. Le poète doit constamment améliorer ses outils poétiques et élargir son horizons humain : il ne doit pas répéter mille fois le même discours, sous peine d’exposer la langue poétique au risque de l’épuisement, du vieillissement et de la standardisation, et de tomber dans le piège qui lui a été tendu, celui de la sclérose et du ressassement. Renonce-t-on pour autant à l’esprit de la résistance ?

En effet, l’esprit de résistance peut-il se limiter à des propos tels que "Inscrit ! Je suis arabe" ou à la répétition du slogan "je résisterai encore et encore" ?

Il n’est nullement nécessaire pour un résistant, tant du point de vue poétique que du point de vue pragmatique de dire qu’il aime. C’est Ghassan Kanafani qui nous a appelés "les poètes de la résistance", sans que nous sachions que nous l’étions.

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