Sécurité sociale : le temps des inégalités

lundi 4 août 2008.
 

Nouvelle cure d’austérité en vue pour la Sécurité sociale : lundi 28 juillet, les ministres de la santé et du budget, Roselyne Bachelot et Eric Woerth, ont annoncé comment ils comptent réduire le déficit du régime général de l’assurance-maladie, qui s’élève à 4,1 milliards d’euros en 2008 (pour 150 milliards de recettes). Le directeur de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), Frédéric Van Roekeghem, a présenté, le 3 juillet, un plan d’économies de 3,15 milliards d’euros, dont les grandes lignes seront reprises par les deux ministres. Mais le gouvernement veut aller plus loin et n’exclut pas de trouver entre 1 à 2 milliards d’euros supplémentaires.

Le sujet est sensible. Emise par la CNAM, l’idée d’un moindre remboursement des patients en affection longue durée (ALD) a provoqué un tollé début juillet. Le gouvernement pourrait donc se rabattre sur une augmentation du ticket modérateur, c’est-à-dire une hausse de la part restant à la charge de l’assuré après remboursement de la Sécurité sociale. Indolore pour la plupart des assurés sociaux - la hausse du ticket modérateur étant prise en charge par les mutuelles -, cette mesure acterait un nouveau recul de la solidarité nationale. Année après année, les plans de redressement démontrent qu’ils n’agissent pas uniquement sur le montant des déficits : ils rendent aussi plus difficile l’accès aux soins des plus démunis, fragilisant toujours plus les fondements de la « Sécu ».

A sa naissance, à la Libération, la Sécurité sociale a constitué une véritable révolution qu’on peine aujourd’hui à percevoir, tant elle s’inscrit au coeur du paysage social français. Tournant le dos aux assurances privées, l’Etat faisait le choix de couvrir « l’ensemble de la population » des risques de maladie et de vieillesse pour garantir la « cohésion nationale ». L’assurance-maladie est obligatoire (salariés et employeurs doivent y adhérer) et redistributive (« Chacun cotise selon ses revenus et reçoit selon ses besoins »). L’égalité de tous dans l’accès aux soins est assurée par le jeu d’une redistribution du revenu national entre riches et pauvres.

En quelques décennies, la « Sécu » a bouleversé la vie quotidienne des Français : la santé est devenue un bien de consommation de masse, la mortalité précoce a baissé et l’espérance de vie a augmenté. Les tensions sur le système de financement apparaissent toutefois rapidement, avec la hausse du chômage, qui entraîne une baisse des cotisations. La problématique du trou de la « Sécu » s’impose à la fin des années 1970, l’Etat multipliant les plans de redressement pour revenir à l’équilibre des comptes. Les pouvoirs publics cherchent alors de nouvelles recettes en recourant à l’impôt (création de la CSG en 1990 et de la CRDS en 1996). Mais l’effort principal a constitué à ralentir la croissance des dépenses.

Sur le thème de la « responsabilisation des patients », l’Etat se désengage en multipliant les coups de canif dans le périmètre de la prise en charge obligatoire. En 1986, le plan Séguin supprime le remboursement à 100 % des soins non directement liés aux ALD. A partir des années 1990, la « maîtrise médicalisée » des dépenses de santé induit des vagues de déremboursement de médicaments. En 2004, la réforme de Philippe Douste-Blazy instaure un forfait de 1 euro par consultation et de 18 euros pour les soins hospitaliers les plus lourds. Elle établit également une pénalisation financière des patients (hausse du ticket modérateur) en cas de non-passage par le médecin traitant.

« RATIONNER LES PLUS PAUVRES »

Jusqu’à présent, les Français semblaient prendre leur parti de l’augmentation continue du reste-à-charge. Décidée par Nicolas Sarkozy, l’entrée en vigueur des franchises médicales, au 1er janvier, a relancé le débat sur l’assurance-maladie. La pétition contre les franchises a recueilli 130 000 signatures, tandis que 57 % des personnes interrogées les qualifient de « mauvaise chose », selon un sondage TNS-Sofres-La Tribune publié en juin. Le public prend conscience des effets des restrictions successives de la protection sociale. « Tous les travaux en économie de la santé ont montré que les tickets modérateurs et autres forfaits hospitaliers n’ont eu pour effet que de rationner les plus pauvres sans parvenir à maîtriser la dépense globale », explique Frédéric Pierru, sociologue et chercheur au CNRS, dans son livre Hippocrate malade de ses réformes (Editions du Croquant).

L’impact des mesures d’économie pour l’assurance-maladie grandit en effet en proportion de la baisse des revenus des ménages : plus ceux-ci sont faibles, plus il est difficile aux assurés sociaux de payer la part restant à leur charge ou de souscrire une assurance complémentaire facultative. Selon l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), 7 % des Français déclarent ne pas avoir de couverture maladie complémentaire, soit 5 millions de personnes.

« Malgré la couverture maladie universelle (CMU, créée pour les plus démunis) et malgré la mise en place de l’aide à l’acquisition d’une mutuelle, l’accès à la couverture complémentaire reste encore fortement inégal en France, note l’Irdes. Les individus faisant face à des taux d’effort trop élevés au regard de ce qu’ils sont prêts à assumer décident de ne pas se couvrir. » Au cours des douze derniers mois, 14 % des Français ont renoncé à des soins, le plus souvent parce qu’ils n’ont pas de mutuelle. Ces personnes se privent prioritairement de soins dentaires, de lunettes ou de consultations chez les spécialistes.

Bien que technique, le débat cache donc bien un enjeu politique : annoncé par le gouvernement, le transfert, toujours plus important, vers les mutuelles, d’une partie des soins remboursés ne pourra, à terme, que renforcer les inégalités d’accès aux soins. « La protection sociale opère des transferts autant financiers que symboliques entre les groupes sociaux, observe Julien Duval, chercheur au CNRS, dans Le Mythe du »trou de la Sécu« (éditions Raisons d’agir). Toute réforme la concernant constitue un arbitrage entre des groupes, même lorsqu’elle n’est pas ouvertement affichée comme telle. »

Pour certains observateurs, à force de rogner le périmètre de l’assurance-maladie obligatoire, la France bascule peu à peu d’un système mutualisé à un système assurantiel à l’américaine, où chacun se couvre selon ses moyens. « Du coup, les riches assument, les pauvres... renoncent, s’indigne Philippe Pignarre, auteur de Comment sauver (vraiment) la Sécu (La Découverte). On ne parlera plus du déficit, qui aura disparu, mais de millions de personnes mal protégées. »

PRIEUR Cécile

* Cécile Prieur (Service Europe/France).


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