Le rôle de l’artiste n’est plus de représenter le monde, mais de le transformer

jeudi 31 juillet 2008.
 

IMAGINAIRES SUBVERSIFS. Cet été, Mouvements revient sur la soirée-débat organisée à l’Odéon : 40 ans après mai 68, les imaginaires sont-ils toujours subversifs ? Les rêves de changement sont-ils révolutionnaires ? Juillet 2008.

(Cet article est la transcription légèrement retravaillée de l’intervention de John Jordan au théâtre de l’Odéon, le 26 mai dernier, lors de la soirée-débat organisée par Mouvements).

Pendant des années, j’avais dans mon bureau une carte postale, sur laquelle était écrit "la question de l’art n’est plus l’esthétique, mais la survie de la planète". Je trouve que ça résume très bien les choses. La question de fond, c’est de repenser les logiques et la définition de l’art et de la lutte. Dans une société qui pratique le suicide collectif, comment lutter ? comment mettre en œuvre la créativité ?

Changer de logique, ça veut dire passer à "l’éco-logique". On peut pour cela s’inspirer des peuples indigènes : tout est connecté. Il n’y a pas de processus linéaire, mais des cycles. Il n’y a pas de leader, mais des réseaux d’interdépendance. Cette éco-logique, on doit l’appliquer à nos vies, dans toutes leurs dimensions : sociale, économique, artistique, militante, etc. C’est fondamental, comme point de départ. Parce que la plupart des éléments de la politique traditionnelle sont ennuyeux : des réunions, et encore des réunions ; des think-tanks et encore des think-tanks ; des manifs, et encore des manifs, au final, c’est au final, c’est emmerdant. C’est assommant, même. La grande question qui se pose, le défi des imaginaires subversifs, c’est de créer des formes de lutte qui font envie, qui donnent du plaisir : des formes de luttes qui ne soient pas qu’opposition, mais qui donnent à voir de l’utopie, qui s’ouvrent sur d’autres mondes.

Le capitalisme nous a volé tout cela. Il nous a pris le plaisir de la rébellion, et il l’utilise pour nous vendre des trucs merdiques. Du coup, je crois que le rôle de l’artiste ce n’est plus de représenter le monde. Nous n’avons pas besoin d’une pièce de théâtre de plus qui nous parle du désastre à venir, ou d’une chanson sur le thème de l’injustice, d’un poème sur la tristesse du monde. Le rôle de l’artiste, ce n’est plus de représenter le monde, mais de le transformer. Et pour moi, ça veut dire qu’il faut travailler, en tant qu’artiste, dans les luttes. Le matériau, ce n’est plus la vidéo, le théâtre, le métal, des couleurs, etc. Le matériel de l’artiste, désormais, ce sont les luttes elles-mêmes, les luttes et leurs formes d’organisation. La créativité doit être à leur service. Nous savons désormais que la beauté est dans la rue, que la poésie est sous les pavés. Nous savons que les meilleurs spectacles n’ont pas lieu dans les théâtres : ils commencent un peu partout, dès lors qu’on refuse la réalité qui nous est présentée. Les meilleurs spectacles, ce sont les moments où l’on renonce à être raisonnable, où l’on renonce à être spectateur.

C’est primordial, parce qu’aujourd’hui, nous sommes plus capables d’imaginer l’apocalypse que ce qui viendra après. Nous devons donc mettre fin à toutes les formes de créativité qui soutiennent le système capitaliste. Ce qui veut dire que les artistes doivent quitter l’industrie publicitaire, par exemple : ils doivent cesser toute collaboration avec les institutions qui permettent à notre système suicidaire de se maintenir. À la place, nous devons créer des luttes qui soient irrésistibles, des formes de luttes qui soient beaucoup plus belles, beaucoup plus désirables que le dernier Ipod.

Par John Jordan


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