Intervention d’Evo Morales, président de la République de Bolivie, à la tribune de l’OMC

jeudi 24 juillet 2008.
 

« Le commerce international peut jouer un rôle important dans la promotion du développement économique et la diminution de la pauvreté. Nous reconnaissons la nécessité que tous nos peuples bénéficient de l’augmentation des opportunités et des progrès du bien-être que génère un système multilatéral du commerce. La majorité des membres de l’OMC sont des pays en développement. Nous prétendons mettre leurs besoins et intérêts au centre du programme de travail adopté dans la présente déclaration. » DÉCLARATION MINISTÉRIELLE DE DOHA DE L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, 14 NOV. 2001.

C’est par ces paroles qu’a débuté le cycle de négociations de l’OMC, il y a sept ans. Le développement économique, la diminution de la pauvreté, les besoins de tous nos peuples, l’augmentation des opportunités pour les pays en développement sont-ils réellement au centre des actuelles négociations de l’OMC ?

La première chose que je dois dire c’est que, si tel était le cas, les 153 pays membres et plus encore la large majorité des pays en développement devraient être les principaux acteurs des négociations de l’OMC. Mais ce à quoi nous assistons est qu’une poignée de 35 pays sont invités par le directeur général à des réunions informelles pour avancer substantiellement dans la négociation et préparer les accords de ce « cycle pour le développement » de l’OMC.

Les négociations de l’OMC se sont converties en une lutte des pays développés pour ouvrir les marchés des pays en développement en faveur de leurs grandes entreprises.

Les subventions agricoles du Nord, qui reviennent principalement aux firmes agroalimentaires étatsuniennes et européennes, non seulement continueront mais augmenteront, comme le démontre la loi agricole américaine Farm Bill 2008 (1) . Les pays en développement baisseront les droits de douanes pour leurs produits agricoles pendant que les subventions réelles (2) des États-Unis et de l’Union européenne à leurs produits agricoles ne diminueront pas. Concernant les produits industriels au sein des négociations de l’OMC, elles cherchent à ce que les pays en développement réalisent des coupes dans leurs droits de douane de 40 % à 60 % tandis que les pays développés diminueront en moyenne leurs droits de douane de 25 % à 33 %.

Pour des pays comme la Bolivie, l’érosion des préférences douanières pour la distribution généralisée des droits de douane aura des effets négatifs sur la compétitivité de nos exportations. La reconnaissance des asymétries, le traitement spécial et différencié réel et effectif en faveur des pays en développement est limité et entravé par les pays développés.

Dans les négociations, on encourage la libéralisation des nouveaux secteurs des services alors que ce qu’il faudrait faire serait d’exclure définitivement du texte de l’accord général sur le commerce des services de l’OMC les services de base que sont l’éducation, la santé, l’eau, l’énergie, et les télécommunications. Ces services sont des droits humains qui ne peuvent être objets de commerce privé et de règles de libéralisation qui conduisent à la privatisation. La dérégulation et la privatisation des services financiers, entre autres, sont la cause de l’actuelle crise financière mondiale. Plus de libéralisation des services ne mènera pas à un plus grand développement, mais à plus de possibilités de crise spéculative sur des sujets vitaux comme l’alimentation.

Le régime de propriété intellectuelle établi par l’OMC a bénéficié surtout aux transnationales qui monopolisent les brevets, renchérissant le prix des médicaments et des autres produits essentiels, encourageant la privatisation et la marchandisation de la vie même, comme le prouvent les divers brevets sur les plantes, animaux et jusqu’aux gènes humains. Les pays les plus pauvres seront les principaux perdants. Les projections économiques d’un potentiel accord de l’OMC, effectuées y compris par la Banque mondiale (3), indiquent que les coûts accumulés en termes de perte d’emplois, restrictions dans la définition des politiques nationales et perte de revenus douaniers seront plus importants que les « bénéfices » du cycle de Doha.

Après sept ans, le cycle de Doha est ancré dans le passé et dépassé par des phénomènes plus importants que nous vivons aujourd’hui : la crise alimentaire, la crise énergétique, le changement climatique et l’élimination de la diversité culturelle. On fait croire au monde que l’on a besoin d’un accord pour résoudre un agenda mondial et cet accord ne représente pas cette réalité. Ses bases ne sont pas adéquates pour faire face à ce nouvel agenda mondial.

Des études de la FAO signalent que les actuelles forces de production agricoles sont capables de nourrir 12 milliards d’êtres humains, c’està- dire quasiment le double de la population mondiale actuelle. Pourtant, on assiste à une crise alimentaire, car on ne produit pas en vue du bien-être de l’humanité mais en fonction du marché, de la spéculation et de la rentabilité des grands producteurs et distributeurs d’aliments. Pour faire face à la crise alimentaire, il est nécessaire de renforcer l’agriculture familiale, paysanne et communautaire. Les pays en développement doivent récupérer le droit de réguler (4) leurs importations et exportations pour garantir l’alimentation de leur population.

Nous devons en finir avec le consumérisme, le gaspillage et le luxe. Dans la partie la plus pauvre de la planète, des millions d’êtres humains meurent de faim tous les ans. Dans la partie la plus riche de la planète, on gâche des millions de dollars pour combattre l’obésité. Nous consommons excessivement, gaspillons les ressources naturelles, et produisons des déchets qui polluent la Terre Mère.

Nous devons mettre en priorité la consommation de ce que nous produisons localement. Un produit qui traverse la moitié de la planète est souvent moins cher que celui qui se produit nationalement, mais, si l’on tient compte des coûts environnementaux du transport de cette marchandise, la consommation d’énergie et la quantité d’émissions de carbone que cela génère, nous arrivons à la conclusion qu’il serait plus sain pour la planète et l’humanité d’encourager la consommation de ce qui se produit localement. Le commerce extérieur doit être un complément de la production locale. Nous ne devons privilégier d’aucune façon le marché externe sur la production nationale. Le capitalisme veut tous nous uniformiser pour nous transformer en de simples consommateurs. Pour le Nord, il y a un seul modèle de développement, le sien. Les modèles uniques au niveau économique sont accompagnés de processus d’acculturation généralisée qui nous impose une seule culture, une seule mode, une seule façon de penser et de voir les choses. Détruire une culture, attenter à l’identité d’un peuple est le dommage le plus grave que l’on peut faire à l’humanité. Le respect et la complémentarité pacifique et harmonique des diverses cultures et économies sont essentiels pour sauver la planète, l’humanité et la vie.

Pour que ce cycle de négociations soit effectivement du développement et ancré dans le présent et le futur de l’humanité et de la planète, il devrait :

* garantir la participation des pays en développement dans toutes les réunions de l’OMC et mettre fin aux réunions exclusives de la « salle verte » (5) ;

* mettre en place de véritables négociations asymétriques en faveur des pays en développement dans lesquelles les pays développés octroient des concessions conséquentes ;

* respecter les intérêts des pays en développement sans limiter leur capacité de définition et de mise en place des politiques nationales au niveau agricole, industriel et des services ;

* réduire effectivement les mesures protectionnistes et les subventions des pays développés (6) ;

* assurer le droit des pays en développement à protéger le temps qu’il faudra leurs industries naissantes comme l’ont fait les pays industrialisés par le passé ;

* garantir le droit des pays en développement de réguler et définir leurs politiques en matière de services, en excluant de manière explicite les services de base de l’accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC ;

* limiter les monopoles des grandes entreprises sur la propriété intellectuelle, promouvoir le transfert de technologie et interdire le brevetage de toute forme de vie ;

* garantir la souveraineté alimentaire des pays en éliminant toute limitation à la capacité des États à réguler les exportations et importations d’aliments ;

* assumer les mesures qui contribuent à l’élimination des gaz à effet de serre et à limiter le consumérisme, le gaspillage des ressources naturelles et la production de déchets qui portent préjudice à la Terre Mère.

Au XXIe siècle, un « cycle pour le développement » ne peut plus être de « libre-échange » mais doit au contraire promouvoir un commerce qui contribue à l’équilibre entre les pays, les régions et la Mère Nature, en établissant des indicateurs qui permettent d’évaluer et de corriger les règles du commerce en fonction du développement durable. Les gouvernements ont une énorme responsabilité envers nos peuples. Des accords comme ceux de l’OMC doivent être largement connus et débattus par tous les citoyens et non seulement par des ministres, des entrepreneurs et des « experts ». Nous, les peuples du monde, devons arrêter d’être des victimes passives de ces négociations et devenir des protagonistes de notre présent et de notre futur.


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