Capitalisme féodal, drogue et mafia : l’exemple du Mexique après la Sicile et la CIA

lundi 21 juillet 2008.
 

Le Courrier International vient de faire sa Une sur le Mexique. Il n’y a pas si longtemps vous y auriez vu la tête du sous-commandant Marcos. La lettre M ayant été changée en N, ce sont les Narcos qui font événement (avec les commentaires du même observateur très pertinent : Carlos Monsivais). Le journal Le Monde vient d’envoyer une journaliste au Mexique pour y étudier, elle aussi, les Narcos. Pourquoi ? Le gouvernement du Mexique a décidé de lancer une offensive contre la mafia qui s’empare du pays. Il a déjà perdu 500 de ses hommes dans cette guerre d’un nouvel âge.

La carte géographique, qui accompagne les traductions d’articles du Courrier International, montre les Etats du Mexique soumis à la « féodalisation ». On y trouve tout le Nord du pays et un seul Etat du Sud : le Chiapas. Le Nord du pays à cause de la frontière avec les USA et le Sud à cause des Zapatistes. Les mafias permettent de livrer bataille sur tous les fronts : celui du droit existant comme celui du droit futur. La drogue n’est pas le seul vecteur de l’illégalité. Les simples cigarettes ou demain les carburants peuvent tomber dans leur escarcelle au même titre que les milliers de contre-façons.

Est-ce que les mafias sont un cancer du système capitaliste ou son aliment ? Les USA prétendent livrer une bataille d’enfer contre le narco-trafic (d’où la guerre de Calderon au Mexique) et tendent à montrer ainsi, que les mafias sont un adversaire du système. C’est croire que le système est d’un seul bloc ! Au sein des USA la lutte est très ancienne entre la CIA prête à toutes les compromissions pour défendre la grandeur des USA, et le Département anti-drogue « soucieux » de défendre la santé des Nord-Américains et intransigeant avec les seigneurs du trafic.

Dans l’Italie fasciste, Mussolini mena une lutte au couteau contre la mafia sicilienne qui se replia aux USA pour revenir plus forte que jamais avec les bateaux US du débarquement de 1943, comme le démontra si bien Sciascia. La mafia est un outil essentiel du capitalisme anti-étatiste car il fait avancer à grand pas les « lois » de la jungle. Il se trouve que dans le monde contemporain, les mafias peuvent également servir des Etats comme en Russie.

Dans le cas Mexicain il s’agit d’en finir avec les vestiges de l’Etat passé (des droits sociaux acquis dans un univers politiquement peu démocratique), comme avec les possibles de l’Etat de demain (ceux de la gauche dans ses diverses variantes). Pour ce faire, l’une des valeurs populaires mise à l’index est celle de « la valeur travail ». Pourquoi se fatiguer une vie durant pour gagner autant en un seul mois ? Et si la mort est au bout qu’importe : il vaut mieux vivre des émotions fortes rapides que pas d’émotions du tout pendant des décennies ! Fernando Vallejo a écrit le chef d’œuvre littéraire représentatif de cette nouvelle génération : La vierge des tueurs. Au Mexique comme en Colombie les sicaires sont très croyants et vont prier la vierge pour qu’elle les aide à accomplir leurs crimes !

Ce phénomène n’a malheureusement rien d’original sur la planète et il nous impose une réflexion politique de la plus haute importance. Chez bien des jeunes Français, la tentation de l’argent facile devient naturelle. Et les discours de Sarkozy sur « la valeur travail » n’y changera rien. Pas plus que son souhait de changer la Caisse des dépôts en « fonds souverain » pour faire comme dans les pays comme la Chine ou l’Inde. Il traite toujours de l’écume des jours sans se pencher sur la profondeur des océans. Les mafias modifient les profondeurs de l’océan avec de grands risques personnels pour ceux qui s’y engagent, mais avec l’assurance que l’œuvre entreprise perdurera après leur disparition.

La démocratie que nous avons à défendre et à proposer n’a pas comme seul adversaire le capitalisme financier (dit parfois néo-libéral), mais tout autant ce capitalisme féodal qui, avec ou sans Etat, fait reculer le principe même du droit. Lutter contre le seul capitalisme financier peut se retourner contre nous si le capitalisme féodal est le seul à en tirer bénéfice. En conséquence l’information sur les mafias du Mexique n’est à lire ni comme l’objet d’un folklore local, ni comme l’effet d’une marginalité contrôlable par le système. Quand on se souvient que, dans un tel pays, la culture populaire passe par les chansons, le fait que les chefs mafieux soient au cœur d’un style, les corridos, ça confirme l’impact global d’un phénomène qui peut symboliser ce nouveau siècle en construction.

mardi 15 juillet 2008, Jean-Paul DAMAGGIO


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