La révolution victorieuse des esclaves de Sicile( Première guerre servile)

mercredi 20 janvier 2021.
 

B) Document extraite de « Vie et mort des esclaves dans la Rome antique »

Les historiens romains semblent encore tremblants lorsqu’ils évoquent les sursauts de milliers d’esclaves terrorisant les villes et les campagnes. (...) Marmite prête à exploser au moindre incident, la Sicile sombrait dans l’anarchie ; Il suffisait désormais qu’un esclave résolu prît la tête de ses frères excédés pour qu’une révolte éclatât. Les milliers de bêtes humaines de Sicile trouvèrent un chef en la personne d’Eunous, esclave syrien, originaire d’Apanée et appartenant à Antigène, domicilié à Enna. (...) C’est alors que Damophile, ayant une fois de plus brimé ses esclaves, voit éclater une révolte sur ses terres. Eunous, cette fois, se décide à entrer ouvertement dans la lutte. Sous sa conduite, quatre cents esclaves s’attroupent, s’arment en hâte et pénètrent dans la ville d’Enna. (...) Une véritable armée de six mille hommes est ainsi constituée. Elle est pauvrement armée de serpes, de haches, de frondes, de faux, de bâtons, de broches de cuisine, mais elle est prête à en découdre avec les forces légales que Rome ne manquera pas de lui opposer. Le nombre de rebelles ne fait que grossir au cours des semaines. D’abord émeute, puis révolte, le mouvement insurrectionnel des esclaves devient révolution.

Dans le même temps, Cléon, Sicilien d’origine, des environs du mont Taurus, se place à la tête d’une autre révolte d’esclaves qui vient d’éclater. Il ravage Agrigente et ses environs. Les propriétaires de l’ensemble de l’île, tremblant de peur, espèrent qu’un conflit de personne et d’autorité opposera Cléon et Eunous, que les deux bandes armées se feront la guerre et se massacreront l’une l’autre. C’est méconnaître la maturité politique des deux chefs qui font alliance et rassemblent leurs troupes en un seul corps. Cléon pousse même l’abnégation jusqu’à reconnaître l’autorité suprême d’Eunous et il se place sous ses ordres en qualité de lieutenant : 15000 rebelles attendent la réaction de Rome. Trente jours ont suffi pour que la Sicile soit presque entièrement à la discrétion des esclaves.

« Rome, toujours lente à réagir, avait espéré dans un premier temps que l’insurrection serait mâtée par les Siciliens eux-mêmes. Mais elle doit bientôt constater qu’elle s’était trompée. (...) Un général romain, obscur et sans ordre de mission défini, débarque dans l’île et y recrute quelque 8000 soldats. Il compte vaincre facilement les 15.000 esclaves mal armés que lui opposent Eunous et Cléon : optimisme irraisonné qui ignore la détermination des rebelles. La défaite surprend le général trop confiant. C’est une première victoire suivie de beaucoup d’autres. Pendant quatre années Rome va dépêcher ses meilleurs gouverneurs, Manilius, Lentulus, Pison, qui avec leur troupe mordront la poussière devant l’immense horde des esclaves, aidée par la complicité de la majeure partie des Siciliens pauvres. (...) Comme les nouvelles se répandent vite dans l’Antiquité où tout le monde voyage et où la Méditerranéen sert de moyen de communication finalement rapide, les esclaves d’autres pays apprennent que là-bas, en Sicile, des frères privés comme eux de leur dignité et de leur liberté leur montrent l’exemple et refusent de plier le genou devant le despotisme de maîtres ignobles. Des foyers de révolte s’allument à Rome même. Mille esclaves s’insurgent en Attique. Et le port de Délos, sinistre lieu où transitent les esclaves, est le théâtre d’émeutes sanglantes. Le Latium, la Campanie ne sont pas épargnés par la contagion et celle-ci est jugulée après une répression impitoyable. En 134, Rome prend la décision d’envoyer un de ses meilleurs généraux, Rupilius, qui fait le siège de Tauromerium. (...) Lentement Rome reprend l’initiative dans cette véritable guerre. L’ordre règne en Sicile. (...) Cette répression, si elle noyait la révolte dans un bain de sang et sous des monceaux de cadavres, ne mettait pas fin au problème. Elle permettait simplement de la différer. Aucune réforme de la propriété ne fut entreprise. L’économie de la Sicile basée sur les latifundia, les grandes exploitations destinées à la pâture, ne fut pas modifiée. (...) Rome n’avait pas tiré de leçons de sept années de guerre servile ou n’était pas arrivée à imposer des réformes. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on pouvait s’attendre à une reprise de l’insurrection. L’Italie, de son côté, regorgeant d’esclaves, donnait déjà les signes précurseurs d’un mouvement insurrectionnel de grande envergure. (...) Les esclaves se rassemblent à Syracuse dans le temple de Paliques (...) La conflagration générale (a lieu) dans toute l’île en l’année 104 av J.-C. En différents points de ce territoire des esclaves manifestent leur solidarité avec le mouvement du temple de Paliques. Au pays des Halyciens, trente esclaves égorgent leurs maîtres. (...) La révolte fait tâche d’huile en Italie. Dans le territoire d’Egeste, de Libybée et des lieux voisins, les esclaves furent aussi atteints par la contagion de la révolte. (...) La guerre des esclaves avait duré près de quatre ans. (...) »

Source : Joël Schmidt dans « Vie et mort des esclaves dans la Rome antique »


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