Mugabe : il y a des indignations vertueuses qui ne manquent pas d’air

samedi 5 juillet 2008.
 

Un nouveau monstre politique est né : Robert Mugabe.

L’inamovible président du Zimbabwe, en place depuis l’indépendance (1980), est désormais le nouveau Saddam de la décennie. Dirigeant sénile, dictateur malade du pouvoir dans la lignée d’Amin Dada et de Bokassa, massacreur de son propre peuple, responsable du dramatique appauvrissement d’un pays naguère prospère : tout y est. Le très respectable The Economist titre en couverture How to get him out (Comment s’en débarrasser). Georges Bush annonce que les Etats-Unis « vont faire pression en vue d’une action forte de la part des Nations unies, notamment un embargo sur les armes et une interdiction de voyager pour les responsables du régime ». Avant, pourquoi pas, d’intervenir militairement pour rétablir la démocratie.

Du Zimbabwe, je ne connais pas grand chose. Confronté à une soudaine surexposition de ce pays dont, jusqu’à tout récemment, tout le monde se foutait, comment pourrais-je échapper au conditionnement massif qui me procure un prêt-à-penser clé sur porte ? Le mauvais est désigné à la détestation universelle par cette fameuse « opinion internationale » qui s’enflamme épisodiquement comme un seul homme pour l’une ou l’autre cause exotique avant de l’oublier aussi sec. Difficile, sous un tel bombardement médiatique, de garder le sens de la nuance vis-à-vis du personnage.

Il n’y a pas de doute que Robert Mugabe, en cette fin de règne, s’est enfermé dans un autoritarisme destructeur pour son propre peuple. Mais ce n’est ni d’hier ni d’avant-hier que l’Occident a pris le vieux leader nationaliste en grippe. Dans Bataille pour la terre au Zimbabwe (Le Monde diplomatique, mai 2002), Colette Braeckman rappelait comment, dans la première période de sa présidence, les velléités progressistes de Mugabe, qui donnaient pourtant des résultats, furent systématiquement sabotées par Londres (sous Thatcher et Blair) et Washington. En 2002, Mugabe pose l’acte ultime qui en fera un paria universel : il exproprie les fermiers blancs qui monopolisaient les terres fertiles et les distribue aux vétérans de guerre. Cette réforme agraire fut un dramatique échec, mais ce n’est pas ce qui lui fut principalement reproché. Toujours selon Colette Braeckman, « bon nombre d’Africains estiment que le véritable “crime” imputé à M. Mugabe est d’avoir décrété l’occupation des fermes commerciales appartenant à 4 000 fermiers blancs, dont les terres avaient été conquises un siècle plus tôt par les colons, ainsi que l’“indigénisation” de l’économie, c’est-à-dire sa réappropriation par des nationaux. » C’est ce geste-là qui passera à l’histoire africaine et qui explique la sympathie dont jouit encore le vieux dirigeant sur son continent.

Sans doute le maintien au pouvoir de Robert Mugabe n’est pas ce qui puisse arriver de mieux aux 13 millions de Zimbabwéens. Mais il y a des indignations vertueuses qui ne manquent pas d’air.

par Henri Goldman


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