QU’EST-CE QUE L’ALTERMONDIALISME ? (site des Alternatifs)

mercredi 25 juillet 2018.
 

I - CONDITIONS D’EMERGENCE DU MOUVEMENT ALTERMONDIALISTE

II - UN MOUVEMENT AUX FRONTIERES IMPRECISES

III - DE NOUVELLES FORMES POLITIQUES

IV - Y A T-IL UN PROJET ALTERMONDIALISTE ?

V - VERS UN NOUVEAU MOUVEMENT D’EMANCIPATION ?

I - CONDITIONS D’EMERGENCE DU MOUVEMENT ALTERMONDIALISTE

Notre hypothèse de départ est que ces conditions d’émergence nous renseignent sur ce qu’est le mouvement et sur ce dont il est porteur, au moins potentiellement.

Trois concomitances doivent être relevées, selon moi.

- Le mouvement surgit dans une phase d’internationalisation-globalisation du capital aussi importante que la première grande internationalisation du début du siècle. La première appellation de MOUVEMENT ANTI-MONDIALISATION reflète bien ce lien. Le mouvement se construit d’abord en s’opposant.

- Le mouvement se structure dans une phase de profonde transformation des sociétés capitalistes. Au centre, le capitalisme libéral se réfère de plus en plus à l’autonomie et fait appel à l’initiative des salariés ( voir le bouquin de Boltansky-Chiapello sur le nouvel esprit du capitalisme ).Les multinationales se structurent en réseau planétaire. Le pouvoir politique de l’État-nation s’essouffle et s’effrite. Les vieilles structures de lien et de contrôle social résistent difficilement au désir d’individuation. ( voir par exemple Philippe Corcuff et la question individualiste ). Le sentiment d’appartenance passe de l’unicité ( la classe ) à la multiplicité ( la classe mais très différente, le genre, l’orientation sexuelle, l’origine culturelle .... ). A la périphérie, des puissances régionales émergent, l’accumulation primitive et les guerres impériales entraînent paupérisation, bidonvillisation, migrations de masse ET nouvel élan des contestations populaires.

- Enfin, le mouvement prend son envol dans une phase de crise de la représentation politique et de décomposition avancée des forces politiques anti-système, tout au moins au centre de ce système. Le mouvement communiste est laminé par le repoussoir qu’a constitué l’URSS puis par son effondrement et celui des sociétés bureaucratiques de l’Est de l’Europe. La vieille social-démocratie est engluée dans la notabilisation et la carriérisation croissante. Elle s’est transformée en une sorte de marché imparfait où les différentes entreprises concurrentes cherchent à accumuler le maximum de ressources pour virer en tête. Quant au modèle partidaire traditionnel qui est aussi celui de l’extrême-gauche, il s’accommode mal des aspirations égalitaires et « autogestionnaires » des nouvelles couches salariées.

II - UN MOUVEMENT AUX FRONTIERES IMPRECISES

Le mouvement altermondialiste est multiforme et d’une très grande diversité. Il traduit l’émergence d’une sorte de conscience politique mondialisé. Il embrasse l’essentiel des questions qui sont aujourd’hui posées à l’échelle planétaire par le capitalisme globalisé. Parfois même, il est actif et pas seulement réactif quand il devance et dévoile la mise en œuvre de projets élaborés dans la plus grande discrétion. Il joue alors un rôle de veille citoyenne grâce à sa capacité d’expertise et la rapidité de sa mise en mouvement. C’est ce qui s’est passé avec l’AMI ( Accord multilatéral sur l’investissement ), première tentative de libéralisation internationale des services, morte-née suite à une intense mobilisation.

Afin d’avoir une représentation relativement claire du mouvement alter, je m’inspire ici, de façon critique, de la catégorisation proposée par Eddy FOUGIER ( « Altermondialisme, le nouveau mouvement d’émancipation ? ). Par ailleurs, je ne partage l’ensemble des considérations et des analyses développées dans ce bouquin, notamment dans ses conclusions

Il est difficile de déterminer avec précision les contours du mouvement altermondialiste. Doit-on s’appuyer sur des critères objectifs ? C’est ce que propose Fougier ( p. 50 ). Seraient altermondialistes les organisations membres du Conseil International du Forum Social Mondial, celles qui font partie du comité d’organisation d’un contre-sommet ou encore celles qui participent à des Forums sociaux ou à une campagne internationale.

Mais lui-même relativise cette proposition. En effet, Amnesty International, par exemple, a participé à plusieurs forums sociaux et a fait partie du comité d’organisation du contre-G8 d’Evian. La CISL ( Confédération internationale des syndicats libres), la CES ( Confédération européenne des syndicats ou la FIDH ( Fédération internationale des droits de l’homme ) sont membres du Conseil International du FSM. Se vivent-elles véritablement comme altermondialistes ?

Cet objectivisme dans le choix des critères de classification aboutit à faire de l’altermondialisme un vaste fourre-tout œcuménique et à relativiser sa portée émancipatrice. A contrario, il nous permet de mieux réaliser que certaines mobilisations altermondialistes sont des succès parce qu’elles sont appuyées par de grandes centrales syndicales institutionnalisées qui souhaitent et/ou ont intérêt à s’inscrire dans cet espace.

Sans doute est-il plus juste de retenir un critère plus subjectif et sa traduction pratique. Dans ce cas, sont altermondialistes les organisations qui se considèrent comme telles, qui font explicitement référence à l’altermondialisme comme possibilité d’un autre monde ( le fameux slogan ) et qui intègrent régulièrement l’agenda altermondialiste à leur propre agenda.

Tout n’est pas réglé pour autant. Cette difficulté à tracer des frontières traduit sans doute une organisation diffuse du mouvement, plus souple que celle des vieux mouvements de contestation du capitalisme. Une organisation en réseau, sur laquelle nous reviendrons, difficile à appréhender.

Il faut quand même différencier, compartimenter, au moins pour tenter de mieux comprendre la configuration du mouvement et ses domaines d’intervention. On peut alors esquisser trois grands types de structures :

- les mouvements sociaux du type mouvements paysans, syndicats de salariés les plus radicaux, mouvements pour les droits des femmes, organisations de lutte contre le chômage, la précarité et l’exclusion ( les sans droits et les no vox ) ou encore organisations de défense des consommateurs et/ou d’alter-consommation

- les ONG ( mais pas toutes les ONG ) et associations dont le domaine d’intervention se situe d’emblée fréquemment à l’échelle internationale : défense de l’environnement, droits de l’homme et lutte contre la xénophobie, solidarité internationale, commerce équitable ...

- les organisations de vigilance citoyenne que j’ai évoqué il y a quelques minutes à propos de l’AMI et qui interviennent notamment sur la dette, les institutions financières internationales, l’OMC, , les compagnies pétrolières, les producteurs d’OGM, de jouets, d’habillement et aussi sur les médias de masse, cibles majeures de l’altermondialisme.

III - DE NOUVELLES FORMES POLITIQUES

Comme nous l’avons déjà esquissé, nous avons affaire à un réseau de réseaux , un mouvement des mouvements (Eric Agrikoliansky et le GERMM - Groupe d’étude et de recherche sur les mutations du militantisme) ou encore une mobilisation de mobilisations dont le fonctionnement rompt avec celui de la démocratie représentative. On voit d’ailleurs mal comment le Conseil international du FSM par exemple, pourrait fonctionner sur ce mode quand la CES représente des dizaines de millions d’adhérents, Via Campesina environ 60 millions et Les Amis de la Terre quelques milliers tout au plus.

Le fonctionnement adopté est celui du consensus, c’est à dire une démocratie de palabre avec l’implication de toutes et tous, petits et grands, à égalité, qui s’apparente à la démocratie directe.

Même si selon Christophe Aguiton, acteur important du mouvement, ce consensus est d’abord celui des composantes les plus importantes du réseau.

Ce fonctionnement, impliquant et exigeant pour les individus, rompt également et partiellement avec la démocratie délégative des porte-paroles. En cela, il est porteur d’auto-émancipation pour les participant-e-s qui renouvellent en permanence des éléments de leur qualité de sujet politique.

Le mouvement altermondialiste remet en cause en pratique le primat des partis et les relations autoritaires entretenues par le mouvement communiste et la social-démocratie avec le mouvement syndical et associatif. On notera d’ailleurs que les dites formations politiques ne sont pas associées aux structures décisionnaires du mouvement. Plus que de la défiance, c’est l’expression d’une volonté d’autonomie et de reconstruction par le bas des oppositions à la domination du capitalisme.

Une volonté d’initiative autonome et immédiate comme force en mouvement qui est particulièrement présente dans les franges les plus radicales du mouvement. Ces dernières pratiquent parfois le « do it yourself » : villages alternatifs d’Annemasse lors du contre sommet du G8 d’Evian, zones autonomes temporaires durant les contre-sommets en général et surtout zones libérées permanentes au Chiapas, contrôlées par l’EZLN, une « armée différente des autres car elle se propose de cesser d’être une armée » dit Marcos.

En proposant d’autres formes d’organisation sociale, ici et maintenant, la frange radicale du mouvement altermondialiste reproduit en partie ce qui avait déjà existé au sein du mouvement alternatif allemand dans les années 80. Mais elle donne un caractère plus dynamique à ces expériences, plus susceptibles de s’incruster dans la mémoire collective car elles s’inscrivent dans des moments de lutte et d’effervescence sociale.

Enfin, le mouvement s’inscrit en rupture avec la figure imposée du « nous contraint », du collectif envers et contre tout propres aux organisations du vieux mouvement ouvrier. Il s’embarque vers le nous choisi, moins mécanique mais qui sollicite plus fortement l’implication personnelle et qui, donc, est susceptible d’entraîner une certaine fragilité collective.

Je suis obligé de laisser de côté le rôle d’un réseau particulier dans le fonctionnement du réseau des réseaux : celui d’Internet dont on sait qu’il pèse sur les modes d’action comme sur les modes de décision.

Pour finir, je ne peux que mentionner certaines critiques qui viennent d’ailleurs plus souvent de l’intérieur que de l’extérieur du mouvement : celle d’une certaine opacité dans les processus qui conduisent à la prise de décision car les groupes impliqués ne sont pas toujours clairement identifiés. Ou encore celle qui tient à la faible lisibilité des choix du réseau car, dans le sens inverse, celui qu’on peut qualifier de descendant, le même type de problème se pose.

IV - Y A T-IL UN PROJET ALTERMONDIALISTE ?

La remise en cause de toutes les oppressions et de toutes les dominations irriguent les différentes composantes du mouvement qui s’enrichissent mutuellement et disposent ainsi des moyens d’accéder à une vision plus universelle de la lutte contre le capitalisme.

Mais au delà, y a t-il une ébauche de projet alternatif ?

Si on assimile projet et programme, on s’en approche. Ainsi les récentes propositions d’Attac couvrent tout le champ politique et s’apparentent à un programme.

« L’élaboration progressive, au niveau mondial, d’un corpus d’analyses et de propositions de plus en plus largement partagé par les acteurs sociaux » disait B. Cassen en 2003. Ou encore « 30 propositions pour un modèle global alternatif » la même année, selon le Centre pour l’innovation sociale en Catalogne.

Mais s’il s’agit de perspective globalisante, de projet pour l’humanité, à l’image de ce qu’était la socialisation des moyens de production, le dépassement des classes et le dépérissement de l’état pour le mouvement communisme et révolutionnaire, la réponse est non. Il n’y a pas de projet altermondialiste.

La grande majorité du mouvement se méfie de l’idée de projet global, s’y oppose ou se contente d’envisager un avenir post-capitaliste. La grande majorité du mouvement ne souhaite pas construire une nouvelle internationale sur le modèle des précédentes.

De nombreux réseaux et intellectuels en leur sein, modérés ou radicaux, se montrent sensibles à l’idée qu’il est possible de « changer le monde sans prendre le pouvoir » selon le titre du bouquin de John Holloway.

En l’état actuel et en forçant le trait, deux conceptions extrêmes traversent le mouvement altermondialiste, la grande majorité se situant donc quelque part entre les deux.

D’une part, une conception horizontaliste, porteuse d’une logique de contre-pouvoirs qui s’auto-limite en refusant de poser le problème du pouvoir ( Chico Whitaker, Candido Grzybowski, initiateurs du FSM et, dans une certaine mesure, le zapatisme ). « Ces espaces libres » dit Naomi Klein, deviendront « un contrepoids efficace à l’Etat du simple fait de leur existence ».

D’autre part, une conception visant à reconstituer une opposition partidaire radicale en s’appuyant sur les expériences gouvernemantales sud-américaines menées notamment au Vénézuéla et en Bolivie. Les intellectuels Bernard Cassen et Walden Bello en sont les figures les plus connues. Ils militent « pour un socialisme du XXI° siècle » en faisant référence au renouveau anti-impérialiste et à la nécessité d’une réappropriation de la souveraineté politique des Etats . Ils sont rejoints par une partie des écolos radicaux qui font un lien entre modèle productiviste et développement des échanges. L’IFG ( International Forum on Globalization ) un des réseaux les plus importants, s’inscrit dans cette perspective.

V - VERS UN NOUVEAU MOUVEMENT D’EMANCIPATION ?

C’est l’ambition, plus ou moins affichée, d’un bon nombre de ses composantes.

On peut penser que le mouvement altermondialiste pose en pratique, en actes, une critique des formes d’organisation traditionnelles du mouvement ouvrier qui est parvenue, en gros, à se transformer en forme positive mais partielle de construction d’un nouveau modèle. La conception verticale du parti où domine une élite souvent venue de l’extérieur de la classe - le parti-guide - est frappée d’ obsolescence ( théorisé par Kautsky et repris par Lénine au début du XX° siècle ). Le mouvement altermondialiste indique une voie nouvelle : celle du parti-mouvement, déhiérarchisé, égalitaire. Mais cette forme n’est pas encore devenue réalité.

On peut aussi penser, cette fois en négatif, que le mouvement n’est pas parvenu à dépasser certaines limites sociologiques et politiques :

- l’altermondialisme est principalement porté par de jeunes blancs, éduqués en Europe et aux Etats-Unis. Cela ne facilite pas l’intégration des membres des groupes opprimés issus de la colonisation et de l’immigration dans les pays riches.

- Il est dominé par les groupes sociaux médians à dominante intellectuelle de la société. Cela ne facilite pas l’intégration des milieux les plus populaires au Nord comme au Sud.

Mais on voit mal pourquoi ces limites, qui reculent avec l’extension géographique des forums sociaux et leur enracinement, seraient indépassables.

L’altermondialisme a déjà marqué l’histoire de son empreinte. C’est sûrement le mouvement d’émancipation le plus important depuis les années 60 et 70 du XX° siècle et les grandes contestations politiques, sociales et culturelles qui leur sont associées.

Reste à savoir s’il pourra se constituer en alternative globale au capitalisme du XXI° siècle.

La réponse à cette interrogation est à rechercher certainement plus dans les évolutions futures du capitalisme que dans les débats au sein du mouvement altermondialiste.

En effet, on peut se demander si la question du renversement du capitalisme peut apparaître aujourd’hui dans notre champ de vision. Seuls de grands optimistes pourraient répondre par l’affirmative.

Mais il n’en sera pas toujours nécessairement ainsi. Ce sont les transformations du capitalisme qui peuvent à nouveau rendre cette perspective possible. Et c’est seulement dans ce futur hypothétique que la question du pouvoir pourra ré-émerger dans la conscience collective des peuples .


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