20 décembre 2007 Les Charlots (Sarko, Bigard, Gallo) au Vatican

samedi 23 décembre 2023.
 

Le Saint Siège n’est pas en joie. Dans la galerie qui mène aux appartements privés, les secrétaires, mezzo voce, ronchonnent : ces Français commencent à nous courir sur la calotte ! Coups de fil, mails, et coups de fil et mails : comment faudra-t-il l’obtenir, leur liste d’invités, en envoyant des pigeons voyageurs ?

Paris n’a pas la cote. Imprécisions, longueurs, silences... Le 20 décembre, Il déboule et nul ne sait avec qui, ni à combien. Au palais Farnese, même l’ambassadeur de France en Italie l’ignore... On a l’air, comme ça, de n’être au courant de rien, mais au Vatican où le vol d’un bourdon sur une pivoine bruisse comme un ventilateur, on les entend venir de loin, les casseroles des grands de ce monde. Le refrain « Nous ne nous cachons pas, nous ne nous affichons pas », entre Sarkozisconi et sa bella ragazza, merci bien. Carla Bruni, et pourquoi pas Catwoman ? Benoît XVI, des photos, il en a déjà plein. Les Francese s’imaginent que Sa Sainteté va leur ouvrir les bras, se précipiter au balcon, tapoter le micro pour proclamer que ceux qui n’ont jamais péché leur jettent la première Rolex. C’est fini tout ça, ils n’ont qu’à aller voir Mel Gibson !

Très vite, Carla a été débarquée de la visite. A vrai dire, le Saint Siège ne l’a même jamais envisagé. Par de pourpres et secrets canaux, il a fait savoir que ce n’était pas une très bonne idée, non, même avec la guitare, non merci, nous avons ce qu’il nous faut pour la musique. Mlle Bruni, vous savez, ici aussi on la connaît, elle est encore italienne, elle a porté le drapeau aux derniers Jeux olympiques. La concubine de France a giclé du cortège comme une crêpe. Reste la belle-mère. Selon un site très informé sur la vie pontificale, une fois la liste enfin parvenue dans les Saints Lieux, le service de la Préfecture aurait immédiatement louché sur un nom avant de la déposer entre les saintes mains. Et Sa Sainteté, avec un tst, tst, de sa plus belle plume l’aurait barré. Ce nom, c’est non. Vade retro, Mamina. Le sujet, mère et fille, est clos. Hors mille polissonneries - et on en a vu, on a quand même reçu Madonna ! -, la pécheresse a déclaré qu’elle ne croyait « pas en Dieu, seulement en la réalité ». Ainsi le matérialisme divise-t-il les hommes. Ces artistes, en croyant décrocher la lune, ils vous pondent toujours un poncif.

Après avoir sacrifié la fille, les Français vont donc devoir lâcher la mère. Carla s’enfonce dans une obscurité boudeuse. Marisa, elle, y croit encore et s’accroche à la délégation comme Mary Poppins à son parapluie.

Il est 11 h 10. De mémoire de cardinal, on n’a pas souvenir d’un tel affront. Les gardes suisses, le plumet garance au vent, la hallebarde de biais, le nonce, toute l’ambassade (enfin presque : l’ambassadeur de France près le Saint Siège vient de décéder ; quand Chirac disait que Sarkozy était anxiogène, ce n’était pas un aphorisme), le pape est planté dans ses pantoufles... et on L’attend.

Benoît XVI, très fashionvictim, n’a pourtant pas lésiné sur le vestiaire : le tout-en-blanc, c’était bien pour l’Autre, le Jean-Paul, qui avait une carrure d’athlète. Lui, plus menu, son délice, c’est les broderies, surplis, passepoils d’or et marabouts d’hermine, quoique l’embarrassant de la mozette fourrée, c’est son effet sauna. Ensuqué, Il lève une paupière des Evangiles.

- Allora, il n’est pas encore là ?

- Non, Très Saint Père.

L’entêté, faudrait pas qu’il débarque avec elle, qui se mettrait à psalmodier comme une damnée le Cantique des cantiques en agitant sa guitare pour retourner la Curie. 11 heures 25.

- Il vient d’entrer, Saint Père.

Dans la cour Saint-Damase, avec près d’une demi-heure de retard, effectivement, il sort de sa limousine. Sans Carla Bruni, mais avec une brochette de potes que le Vatican n’identifie pas très bien - sauf M. Max Gallo, de l’Académie française.

- Est-il vraiment votre Victor Hugo contemporain ? murmure une mitre.

- Oui, oui, répond un diplomate ; enfin, il écrit énormément.

Monsieur le Président de la République française a la foulée leste, on ne sent pas l’homme encombré par la continence - ça, on ne peut pas dire. Après lui s’avancent M. Jean-Claude Gaudin, un méridional, M. Jean-Marie Bigard, « artiste » selon les fiches (apologiste des moules-boules et autres poils de cul, prétendent d’abominables et calomnieuses langues de folles), le père Guy Gilbert, « prêtre éducateur » qui a lâché le perfecto pour la veste et dont le bout des santiags tâte le marbre baroque. Et d’autres gaillards à l’avenant, des Perben, Guaino, Buisson, Martinon, pas un ministre, d’illustres inconnus, une chorale pétomane peut-être ? Et M. d’Ormesson, il est mort ? C’est plus coloré, disons, que de recevoir la reine Fabiola.

- Par ici.

Sur le dallage, on n’entend que Lui, ses pompes à boucle, cerné par les gentilshommes du pape, le sourire aux lèvres. Au fur et à mesure de son sprint vers la salle du Petit Trône, les gardes suisses lui font le grand salut, ahuris par sa cadence. N’importe quel stagiaire du protocole sait qu’ici on favorise les semelles souples, avec empiècements de gomme, comme chez Aubercy, fournisseur des prélats de Gaule, rue Vivienne, à Paris. Le chef de l’Etat français vient se faire « installer » chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran, charge oubliée qui remonte à Henri IV. La « messe pour la France » aura lieu dans l’après-midi.

- Monsieur le Président, soyez le bienvenu.

- Très Saint Père, merci de me recevoir, je suis très ému de rencontrer le pape.

Voilà, c’est original. Et ne t’incline pas, surtout. Vingt-cinq minutes d’entretien dans la bibliothèque privée. Sans anicroche. Si lui-même ne maîtrise aucune langue étrangère, son hôte manie un français parfait.

Il prie dis fois par jour et remplit le stade de France

Plus périlleux, maintenant : échange de cadeaux et présentation de la suite. Gaffe. Il est venu avec un de ses propres livres, le goujat (La République, les religions, l’espérance. Quel programme.) Sa Sainteté n’a pas fait celle qui l’avait déjà lu - ce n’est pas Guillaume Durand -, elle a dit qu’elle le lirait. Il y a aussi deux ouvrages de Bernanos - la difficulté à s’élever, c’est tout lui. Du coup, le pape ne s’est pas foulé non plus, sa petite main désigne une médaille commémorative de son pontificat. Le plus casse-gueule, c’est la délégation. Heureusement les papes sont exercés à sourire avec une telle onction qu’on leur présenterait Belphégor qu’ils souriraient encore. Et c’est un peu le cas. Au tour de l’artiste, le Président marque le coup, posant sa main sur l’avant-bras de Benoît, façon de dire même à Rome : laisse filer, papa, je gère le tempo.

- Il prie dix fois par jour, c’est un homme très bien, et il remplit le stade de France.

Benoît XVI hoche la tête devant M. Bigard, sans le retenir. Ah, remplir un stade, en voilà une vertu, lui qui prône une Eglise de puristes.

Une fois entamé, fatalement, le quart d’heure rupture continue. Emu, moulinant, l’œil en bouton de bottine, dans la foulée, allez, du goupillon pour tout le monde ! Il tient à présenter les journalistes qui l’accompagnent, du jamais vu, et d’un long !

Les agenciers n’en perdent pas une goutte.

- Même pour eux, c’est pas n’importe quel voyage, ils sont impressionnés, hein ? Vous savez, ils ne sont pas toujours gentils avec moi.

Certains serrent la main du pontife comme on féliciterait le taulier de la salle des fêtes. Lui, profitant de sa diversion, opère un insidieux retrait pour... pianoter son portable.

Voilà. C’est fini. Fini.

Revenez quand vous serez mariés. On lâchera des tourterelles.

Quant à Marisa, finalement, on l’a collée dans un jardin sous la basilique ; en attendant la messe, elle trouvera bien un sachet de grains à donner aux pigeons.

Entretien avec Son Eminence le cardinal Tarcisio Bertone, Premier ministre du Vatican, notamment sur Ingrid Betancourt, sujet pressant. Après les infirmières bulgares, le Sarko-Tour enverrait bien Carla Bruni en mission d’exfiltration dans la jungle colombienne. Ensuite, une minute pour la Pietà, une autre de recueillement palpable sur la tombe de Jean-Paul II. Une dernière dans la crypte de saint Pierre. Et quartier libre, interviews... S.S part faire s.s (Sa Sainteté part faire sa sieste), et Lui se dirige vers l’ambassade pour relire son discours du Latran. A moins qu’il n’aille combler ce trou d’agenda avec quelqu’un ou quelqu’une.

Tout Rome cherche Carla Bruni : on prétend qu’elle était bel et bien dans l’Airbus présidentiel.

16 heures. En la basilique Saint-Jean-de-Latran, cérémonie devant la stalle de premier et unique chanoine d’honneur. Toute une Curie le fixe, isolé sur sa chaise, d’un œil componctueux. S’il ose sortir son mobile, c’est simple, on lui rend son livre. Il le palpe, le pince, le tapote à travers sa poche, mais n’ose pas.

Au deuxième rang, le protocole a quand même casé Marisa. Elle fait une petite tête, en attendant la sortie pour aller discuter avec journalistes et photographes comme avec de vieux copains de bridge.

Au palais du Latran, la parole présidentielle a jeté des sucres plein les soutanes, enlaçant le catholicisme comme « source majeure de la civilisation française », rappelant « le besoin de religion face à l’effacement des repères », avant de conclure : « La laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. » Un pape n’aurait pas osé. Enfin, en guise d’apothéose, Lui qui rechigne tant à la repentance, a évoqué la souffrance provoquée par la loi de 1905. Un homme mal élevé mais si bien intentionné doit être pardonné. Quoique les Français de gauche affirment qu’à chaque fois qu’il ouvre la bouche c’est pour flatter son assistance du moment et en révulser une autre, ailleurs - un as de l’effet papillon.

Dehors, on préfère nettement la gaudriole à la chanoinerie. Et Carla ? Et Carla ? On les aurait aperçus manger une pizza dans une arrière-salle, piazza del Populo. Impossible : Carla est à Paris, au bois de Boulogne, en train de jogger comme une démente.

Le soir venu, après un dîner au Quirinal, la délégation française est repartie comme elle était venue, jetant outre-Alpes les confetti d’une polémique qui allait durer des semaines.

Le Monde indique : « De mémoire de vaticaniste, un chef d’Etat en visite officielle n’a jamais affiché aussi peu de solennité. »

Dans son bloc-notes du Point, Bernard-Henry Lévy affirme que devant Benoît XVI, Jean-Claude Gaudin n’a pas cessé de mâcher un chewing-gum.

Une Saison chez Mickey, de Jean-François Kervéan, paru le 16 avril aux éditions Fayard.


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