REPUBLIQUE ET DEMOCRATIE (Par Marc Mangenot, Gauche cactus)

samedi 14 juin 2008.
 

D’aucuns voudraient que l’on choisisse entre République et Démocratie. Etrange injonction, au motif que la République serait coupable des crimes ordinaires commis contre l’humain. La République serait la source de discriminations en tout genre, d’inégalités croissantes, d’impunité renforcée de ceux qui s’en réclameraient ou parleraient en son nom. D’emblée on voit bien la première contradiction, la contradiction principielle d’une telle position : ou bien c’est la République qui est coupable par nature ou par déviance, ou bien ce sont les individus impunis, voire impunissables, qui en occupent les fonctions et les places.

Liberté, égalité, fraternité

C’est confondre les principes et les objectifs républicains avec ceux et celles qui s’en couvrent à longueur de discours et de représentation, tel l’actuel président de la République française, ou ses émules de par le monde. La trilogie républicaine -Liberté, Egalité, Fraternité, à quoi il faut ajouter laïcité et solidarité- devrait être remisée au rayon des inutilités dangereuses. Il faudrait donc préférer la Démocratie à la République, comme si l’une pouvait aller sans l’autre. Comme si, au nom de la Démocratie autant qu’à celui de la République, des politiques inégalitaires et discriminatoires n’avaient pas été et n’étaient pas commises. L’actuel président de la République, avec la constance du Guignol insatiable et dangereux, n’impose-t-il pas des contre-réformes, ô combien antisociales et discriminatoires, au prétexte que c’est ce qu’aurait voulu la majorité des électeurs en votant pour lui en 2007 ? N’est-ce pas au nom de la démocratie qu’un certain Bush s’est installé en Irak dans les conditions que l’on sait ?

Madame Roland, en son temps, s’était exclamée : « ô Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » Elle fut, comme chacun sait, guillotinée. Fallait-il alors cesser le combat pour la liberté, pour les libertés ? Les sophismes semblent (re)devenir une manière, non pas d’argumenter, mais d’imposer des vues dont la dangerosité le dispute l’inanité et au confusionnisme.

Qu’il y ait des obstacles et des tensions dans le vouloir viser et atteindre simultanément les trois objectifs de la trilogie républicaine n’est pas niable. Que la trilogie réduite à des slogans ou transformée en masque pour mieux assurer la domination est trop souvent une réalité. Que parfois, au moins en apparence, puissent s’opposer l’égalité et la fraternité à la liberté n’est guère contestable. Que ne retenir que deux, voire un seul, des trois termes de la devise conduise à dénaturer le projet même de République est évident.

Aujourd’hui, nombre de rhéteurs énoncent que la liberté s’oppose à l’égalité. Plus : l’inégalité serait la conséquence nécessaire de la liberté. Inévitable, l’inégalité ne pourrait qu’être réduite, éventuellement. La liberté serait celle de la prise de risques et l’inégalité la résultante de la prise de risque couronnée ou non de succès ! Que le risque soit, de façon constante, reporté sur l’autre (l’exploité, le dominé) n’intéresse pas ces rhéteurs.

Par des dictatures ou des pouvoirs totalitaires, une certaine forme d’égalité a pu être imposée aux peuples sans la liberté, la fraternité étant quasi-automatiquement hors-jeu, sauf sous la forme de grandes messes dont raffolent les dictateurs, les prédicateurs et les patrons paternalistes. Sans l’égalité, ni la liberté ni la fraternité ne sont possibles. L’égalité doit être entendue sur le plan des droits, mais aussi sur le plan social et sur celui des moyens. Le temps, l’instruction, l’information, les libertés de circuler, de se réunir, de s’exprimer, des conditions de vie et de travail décentes, sont vitaux pour l’exercice des droits politiques. Toute inégalité dans l’un des domaines énoncés entraîne l’impossibilité de fait de l’exercice réel des libertés. Ces inégalités valent entre les personnes, entre les classes et groupes sociaux, entre les zones « riches » et les zones « pauvres ».

Marché et liberté

Un aspect contemporain retient l’attention : la relation marché-liberté. L’emploi du singulier est lui-même abusif. Il existe plusieurs types de marché. De plus tous les échanges ne sont pas des marchés, tous les marchés n’ont pas été ou ne sont pas capitalistes bien que le capital soit aujourd’hui le mode de production et d’échange dominant. La liberté supposée des marchés organisés ou dominés par le capital (marchés financiers, des biens, des services, de l’information, du travail) n’est en rien un gage de liberté. Cette liberté sur les marchés organisés par et pour le capital confère des pouvoirs exorbitants aux firmes mondialisées, ainsi qu’aux Etats et aux organismes internationaux qui échappent au contrôle démocratique. Les « marchés » expulsent, marginalisent, privatisent même, le politique. La démocratie, pour l’essentiel, est hors-jeu, rangée au magasin des accessoires, tend à devenir une entreprise de spectacle manipulatoire. Des sociétés entières sont dépossédées de leur histoire. Le consumérisme supplante le lien social.

En d’autres termes, le champ politique est de moins en moins régi par des règles démocratiques, mais par celles du marché et du spectacle. La République, les organisations internationales, interétatiques, sont ainsi accaparées, dominées, contrôlées, par les puissances du capital et leurs alliés dans la haute fonction publique, dans les medias, dans l’université, dans nombre de partis et organisations idéologiques à références religieuses ou non. Ce qu’il convient de mettre en cause, de combattre, ce n’est pas la République, mais ceux-là même qui en occupent ou contrôlent les charges, ou les détournent à leur profit. Car ce n’est pas la République qui, dans on essence, discrimine, mais les classes dominantes et les groupements spécialisés dans la manipulation. C’est une entreprise paresseuse, perverse, dangereuse, que de confondre les dominants et les manipulateurs avec l’idée même d’une République démocratique et sociale. Que de confondre causes et conséquences.

La souveraineté populaire, à tous les échelons, sous différentes formes, n’est évidemment possible que si les droits individuels, indivisibles et universels, sont garantis. C’est cela qui fonde la République et la Démocratie d’un seul mouvement. Cette République ne peut-être ni celle de la démocratie croupion, ni celle du capital, ni impérialiste, ni xénophobe, ni machiste, ni cléricale, ni mandarinale. Cette République ne se réfère qu’à ses principes. Elle n’est le support, le lieu ou le véhicule, d’aucune idéologie particulière. Elle doit être, c’est son horizon, celle de tous, par tous, pour tous.


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