“Révolution de pensée” ? Je lance un défi à Bertrand Delanoë.

vendredi 30 mai 2008.
 

J’étais jeudi à Colomiers dans la Haute Garonne où je participais à un débat sur l’école. Ce week end, mon fil rouge, c’était les contacts téléphoniques avec François Delapierre qui représentait PRS au congrès du Linke dans un coin perdu d’Allemagne. Mais dès jeudi, alors même qu’il n’était pas encore en vente et que personne n’avait donc pu le lire, le livre de Bertrand Delanoë était le sujet imposé. Bon. C’est allé bien vite. Moins de quarante huit heures après la sortie du livre, les commentateurs constatent que le maire de Paris se situe dans le même espace politique et stratégique que celui incarné par Ségolène Royale pendant et après la présidentielle.

Je vais dire mon mot. Avant cela voyons le tableau. Dans la pure logique de marketing qui domine cette scène, Ségolène s’est aussitôt décalée à gauche. Vu le centre de gravité ça mène pas bien loin. Mais c’est fait. Donc ce sera une valse. Le mouvement tournant de l’un par rapport à l’autre les placera à tour de rôle l’un à droite et l’autre à gauche du congressiste hésitant. Tchac, tchac, poum, tchac tchac poum. Et ainsi de suite. Ca risque d’être vite saoulant. Réduits à faire tapisserie, les candidats porte serviettes délirent : Dray dit qu’il est marxiste et Moscovici qu’il se voit bien premier ministre dans la future majorité. On se pince. Non, ils l’ont vraiment dit.

Au secours ! Et partout à la base, dans les fiefs et chatellenies divaguent des seigneurs petits et moyens, angoissés de ne pas savoir d’avance qui va gagner et donc à qui se rallier. Sans parler de tous ceux qui pensaient pouvoir s’offrir un confortable « tout sauf Ségolène » qui les auraient dispensé de toute réflexion et justifié tous leurs reniements. Pendant ce temps, le plus grand nombre est saisi d’effroi. Il se tait et rentre la tête dans les épaules. Sarkozy c’est dur. Très dur. Et dire qu’il faut subir en plus ce vibrionage démoralisant !

A Toulouse où je me trouvais jeudi, en manifestant entre le nouveau maire de Toulouse Pierre Cohen et le président du conseil général Pierre Izard, on évitait le sujet, bruyamment, si je peux dire. On ne vote pas pareil au PS mais ce sont avec moi des copains à l’ancienne. Ils ne se la jouent pas. Ils savent bien que ça sent le roussi cette bagarre indéchiffrable au sommet du Parti. Les gens passaient beaucoup pour nous toucher la main. « Comment vous le sentez maintenant ? Qu’est ce qu’on va faire ? » demandaient-ils. Visages tendus. A ce moment là, en plus, on venait d’apprendre que 17 députés socialistes se prononçaient en faveur de la réforme constitutionnelle de Sarkozy.

Ensuite, quand je suis allé me poster vers l’avant de la manifestation, juste perché sur le trottoir, un nombre incroyable de gens sont venus m’apostropher pêle-mêle : « on en a assez des conneries du PS, dites le à vos copains la haut ! » Ou bien, à l’opposé : « et qu’est-ce que tu fais encore au PS ? ». Et d’autres : « pourquoi tu n’as pas signé l’appel de Politis ? ». Tout ça, c’est du non stop pour moi depuis huit jours. Car j’ai participé à quatre manifestations depuis la semaine passée. Je peux dire que quand on passe plusieurs heures au milieu de défilés de cette sorte on a vite compris l’essentiel : la gauche de base se sent politiquement abandonnée. Elle l’est. Elle pourrait bien l’être davantage encore bientôt. Entre le vote de la réforme constitutionnelle, la Convention du PS et les congrès de gauche de juin à décembre, un tremblement de terre pourrait bien avoir lieu.

Le livre de Delanoë : ça se laisse lire

D’abord le positif. Le livre de Delanoë est agréable à lire et intéressant. L’homme qui se montre dans le récit est attachant par sa simplicité et ses contradictions assumées. Ses ancrages dans la culture politique de gauche, fusse pour la tailler en pièce, en font un interlocuteur stimulant et cela change de la foule des ignorants prétentieux et des sophistes qui pullulent dorénavant dans les milieux dirigeants socialistes. La présence vipérine du passeur de plat, Laurent Joffrin, dont le venin haineux contre François Mitterrand et la gauche des ruptures suinte à tous propos et bien souvent hors de propos au fil des pages, fait de chaque réponse, par contraste, un moment de pensée apaisée.

Ensuite le moins positif. Comme Joffrin est de la même sensibilité que Delanoë, qu’il doit cependant trouver encore un peu trop à gauche, le maire de Paris n’est pas du tout poussé dans ses retranchements intellectuels quand il se contente de réciter la vulgate social libérale traditionnelle. Qu’il s’agisse du bilan des pays scandinaves ou d’autres poncifs du même acabit sur l’esprit d’entreprise, les managers et ainsi de suite, il peut dire ce qu’il veut : Joffrin ne le reprend que par la droite pour vérifier s’il ne reste pas des traces de « première gauche » dans le potage. Du coup Delanoë dérape dans quelques excès de zèle : « La méconnaissance des réalités du privé, positives et négatives est un grave handicap. Combien de socialistes savent, vraiment, ce qu’est un chiffre d’affaires ou une marge brute ? » (p 49) Joffrin ne souffle mot. Il doit être en extase. Pourtant c’est une phrase ridicule. Enfin le méli mélo entre les problématiques de politique nationale et le municipalisme parisien sont parfois pesants et des fois franchement risibles. Exemple cette question inspirée posée par Joffrin « cette culture du compromis s’applique-t-elle au plan de circulation à paris » ? (p 160)

MON DEFI A BERTRAND DELANOE

Et maintenant sur le fond. Le positionnement de Delanoë est sans surprise si l’on veut bien faire l’effort de le situer par rapport à ce qui se passe dans toute la sociale démocratie européenne. Depuis que j’ai présenté mon analyse à ce sujet dans mon livre « Enquête de gauche » les faits et notamment le désastre italien ont confirmé ma thèse sur les conséquence du glissement "démocrate" des socialistes. Croit-on que Delanoë serait trop éloigné des débats et réalités de la scène internationale de la gauche pour être influencé par ceux-ci ? Ce n’est pas du tout mon avis. Delanoë est non seulement un connaisseur mais un praticien de la politique internationale.

L’italien Veltroni, par exemple, est un de ses amis personnels. Pour le reste il ne cache pas son tropisme : « Nous avons avec nous l’immense force de la social démocratie mondiale qui œuvre aussi pour le développement humain, la justice sociale, la croissance durable. Nous pouvons agir de concert. J’ai travaillé avec Bill Clinton » (p57). Joffrin se garde bien de lui apporter la moindre contradiction sur l’action réelle très discutable sur bien des plans de la sociale démocratie mondiale. Ce qui compte c’est la référence à Clinton. C’est le mot de passe du courant démocrate. Delanoë lui adresse un clin d’œil calculé. Et cela complète cette sortie sur le libéralisme, moins rustique que ce que j’en ai lu dans les commentaires, mais tout a fait décisive en tant que signal politique. Surtout si on n’oublie pas de le lier à la conclusion que Bertrand Delanoë tire séance tenante pour le PS.

Il faut donc lire attentivement ce passage. « (..) si les socialistes du XXI siècle acceptent enfin pleinement le libéralisme, s’ils ne tiennent plus les termes de concurrence ou de compétition pour des gros mots, c’est tout l’humanisme libéral qui entrera de plein droit dans leur corpus idéologique. Certains, à l’intérieur même du PS d’aujourd’hui n’accepteront peut être pas cette révolution de pensée. Qu’a cela ne tienne, qu’ils proposent leurs solutions et l’on choisira, car il faut choisir : la synthèse est morte. La synthèse se sont les différences effacées. Voici venu le temps des différences assumées. Et c’est le meilleur chemin, le plus courageux et le plus efficace pour se rassembler. » (p48)

Si on lit bien il s’agit de faire entrer le libéralisme en tant que doctrine dans le corpus socialiste. Et il n’est pas question seulement du libéralisme en tant que courant d’idées anti conservateur comme on nous le serine à l’envie. Il s’agit bien de la doctrine économique puisque les exemples donnés (compétition et concurrence) concernent l’économie. C’est donc au niveau des principes que cette « révolution » devrait être accomplie. Alors je dis chiche : puisque personne de ses proches n’en a parlé à la commission chargée de rédiger la nouvelle déclaration de principes, et puisque au contraire celle-ci a ramené sur les positions traditionnelles le texte finalement arrêté, pourquoi ne pas soumettre au vote de la prochaine Convention en juin cette idée ?

Est-ce que ce ne serait pas le bon moment ? Celui prévu précisément à cet effet ? N’est-ce pas justement une bonne occasion de passer à la culture des « différences assumées » ? Si je propose cette confrontation c’est que l’adoption d’une « révolution » de cette nature n’est pas de l’ordre des motions de congrès. Celles-ci s’appliquent à l’orientation générale du parti pour une période déterminée et limitée. Dorénavant ce sera encore plus vrai puisque le rythme des congrès va correspondre au cycle de l’élection présidentielle. Donc quand Delanoë, bon connaisseur des rites et usages du Parti, parle de la synthèse qui est « morte » il n’évoque pas l’exercice nocturne de la séance de la commission des résolutions du congrès. Il parle de la synthèse qui fait l’identité actuelle du parti entre ces diverses « cultures socialistes » que la nouvelle déclaration de principe affirme vouloir réunir au sein du même parti. Si les mots ont un sens si la « révolution de la pensée » dont parle Bertrand Delanoë n’est pas un simple gadget provocateur pour assurer la promotion de son livre, alors son auteur doit l’assumer. En sachant ceci : il est peu probable qu’un parti socialiste qui adopterait une telle posture soit un lieu de rassemblement.


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