La réforme et le réformisme par Jean-Paul Beauquier sur le site Gauche républicaine

mercredi 28 mai 2008.
 

La réforme et le réformisme (1ère partie)

Réformisme : système politique selon lequel la transformation de la société, en vue d’une plus grande justice sociale, peut s’effectuer dans le cadre des institutions existantes, au moyen de réformes législatives successives, et sans recours à la révolution. (Dictionnaire Larousse)

La messe est dite : à en croire les commentateurs de l’actualité politique, les acteurs de la majorité et malheureusement aussi la plupart des rhéteurs de l’opposition, en élisant Sarkozy, les Français auraient non seulement élu un président mais validé ad libitum un programme.

Cette coquecigrue politique est, évidemment, complaisamment reprise par les media du monde audio-visuel et par les experts, brevetés conformistes, qui ont envahi les plateaux des spectacles auxquels se résument les émissions de débat. Il est certes regrettable, pour le respect de l’esprit humain, que certains d’entre eux, universitaires par ailleurs, éditorialistes et idéologues de service, ne trouvent rien de mieux que de dénigrer à longueur de tirades la fonction publique statutaire, l’exception française, le préambule de la Constitution, le Code du travail et d’encenser le libéralisme, la flexibilité, la précarité et la rémunération du mérite illustrée, sans doute, par les stock-options. Le tout sans prendre le risque pour eux-mêmes de travailler sans filet !

Si une élection politique dans ce pays avait jamais eu pour objet de faire adopter la totalité du programme d’un candidat, y compris les éléments précisés après l’élection, ce serait à la fois su et connu de tout le monde mais surtout historiquement prouvé ; or il n’en est rien et sans remonter à une époque où le suffrage universel n’existait pas, l’approbation massive, un peu aidée ici ou là, d’un homme et de ce qu’il incarnait, pas nécessairement de ce qu’il portait, ne s’est rencontrée que deux fois dans l’histoire de notre pays, sous Louis-Napoléon Bonaparte, devenu après coup et dans le même "enthousiasme" Napoléon III, et sous Charles De Gaulle, que le Canard Enchaîné un peu injustement, a quelquefois caricaturé sous la défroque du précédent. Nous ne comparerons pas les deux personnages, l’Histoire a su leur donner la place qui revient à chacun. Mais dans les deux cas cependant, il est utile de rappeler qu’il s’agissait de mettre fin à une crise de régime et de compenser l’incapacité d’une " classe politique " à répondre aux défis du temps, à satisfaire les intérêts des possédants ou à donner une réponse appropriée et collectivement acceptable à un blocage institutionnel et politique.

Rien de tout cela en 2007, sauf peut-être le caractère non crédible d’un autre choix. Réussir à se faire désigner comme candidat à une fonction, ne signifie pas nécessairement qu’on peut l’exercer et tenir le rôle qui, par une espèce de schizophrénie politique, l’accompagne. Mais c’est bien une incarnation, et non un programme, qui a été élue, cette fois encore ; les deux candidats ont d’ailleurs à peu près tout joué dans cette épiphanie du sauveur, et leur campagne à tous deux, au second tour, a parfaitement illustré le césarisme médiatique qui caractérise la dérive de la vie politique avec une élection d’un chef de l’exécutif au suffrage universel, sans équilibre des pouvoirs constitués.

Dans un tel contexte, à quoi rime un discours qui attribuant au président élu une légitimité indéniable, 53 % des suffrages exprimés avec un taux de participation de 84 %, ne pose pas la question pourtant fondamentale de la nature de cette légitimité ? C’est pourtant ce que fit encore, Pierre Moscovici, qui n’est peut-être pas le meilleur possible des premiers secrétaires du PS possibles, mais assurément pas le pire envisageable, au Grand Jury-RTL/LCI/Le Figaro le dimanche 20 avril 2008, S’il s’agit de ne pas toucher aux institutions, on comprend mieux, mais on est assez loin de la perspective d’un renforcement des pouvoirs du Parlement en France ou d’un approfondissement de la démocratie, participative ou non. Le totem de la réforme

Par un curieux retournement, la droite, en France, s’est faite héraut de la réforme, oubliant la phrase de Niklas Luhmann : les conservateurs commencent par la déception ; à moins que la rigidité de père Fouettard de François Fillon, ne soit que le courage d’assumer cette formule ! Depuis que le Medef a théorisé la refondation sociale par la remise en cause de la totalité du compromis véritablement organique de 1945, ce que certains d’ailleurs continuent d’appeler le compromis gaullo-communiste, les partis politiques de droite, mais hélas, pas seulement eux, se sont ralliés en termes pratiques à son postulat de départ : la France est bloquée, pas dans le siècle, empêchée d’agir au mieux de ses intérêts dans la compétition mondialisée ; il faut donc déconstruire les bases de son fonctionnement actuel comme système social.

Il va de soi que les intérêts en question ne sont pas précisés, et il faut disposer effectivement de tous les moyens des techniques modernes de communication pour arriver à faire croire que les intérêts d’une minorité de privilégiés sans grand talent, encore moins de génie, puissent être, par une espèce de transsubstantiation, forcément mystérieuse, ceux du plus grand nombre. La formule la plus célèbre en est : " Travailler plus pour gagner plus " alors que chacun sait, au moins depuis Guizot de manière certaine, que ce n’est pas par le travail et par l’épargne qu’on peut espérer devenir véritablement riche. Il va de soi également que la dimension historique de la construction du système social français est mise de côté, le peuple n’étant, par définition, pas un acteur de son histoire, pour un conservateur digne de ce nom, a fortiori pour un idéologue zélé au service des dirigeants de l’économie...

Il va de soi, enfin, que la difficulté de la tâche, ce foutu peuple étant capable de réveils, sera grandement atténuée si la gauche est divisée ou ralliée à l’idée que rien d’autre n’est possible dans une fin de l’histoire désirée, au moins par ceux qui préfèrent, et pour cause, raconter des histoires que la faire ou la subir. Il faut avouer qu’entre une extrême-gauche qui n’a tiré aucune leçon du renvoi dans l’utopie du communisme, en tant que société en acte, sinon comme processus pratique de libération humaine, et un parti socialiste qui pense pouvoir proposer une alternance sans alternative et convaincre sans un corps de doctrine, la droite en France, ou en Italie, ne pouvait rêver mieux.

La réforme et le réformisme (2de partie)

Nous pensons que les institutions ne sont ni gratuites, ni inopérantes et que certains choix, à certains moments, ont des conséquences sur leur évolution et, plus largement, sur la vie politique en général.

Il est assez facile de reprocher au Parti Socialiste de n’avoir plus produit d’idée neuve depuis longtemps. Pourquoi ne pas essayer de dater cette stérilisation progressive d’un intellectuel collectif dont la mission, au moins pour que sa revendication de l’exercice du pouvoir, ait un embryon de légitimité, est précisément de produire des idées ?

A tort ou à raison, il nous semble que la gratuité du choix, ou l’absence de choix fondamental, ou le refus de proposer une alternative à la gestion tranquille et " loyale " du capitalisme, remonte en France, de manière délibérée, parce qu’il s’agissait bien d’une interprétation de la Constitution, de la remise en cause des intentions de son initiateur et d’un jeu politique induit ainsi banalisé, à 1986 et à la première " cohabitation ". Ce qui a pu être présenté comme une pacification du débat politique en introduisant après une alternance, une complication (comme on parle de montres à complication) dans la relation entre l’exécutif et le législatif et au sein de l’exécutif, fut en fait une banalisation du politique au niveau de la gestion.

Dans ce nouveau contexte, expérimenté de manière symétrique par deux présidents différents, ce qui n’était plus en débat, du moins plus en débat pour l’opinion, c’est l’intérêt de proposer des politiques réellement alternatives. Dans une certaine mesure, c’est V. Giscard d’Estaing, annonçant qu’il laisserait l’Assemblée nationale élue en 1973, 1 an avant sa propre élection, aller à son terme qui avait montré la voie ; dans " 2 français sur 3 ", il donnait d’ailleurs la clé de son attitude. Mitterrand a mis ses pas dans les siens. C’est peut-être choquant pour certains, mais quelles autres motivations qu’un accord de fond sur l’essentiel, invoquer ? La conséquence, c’est évidemment que le mot " Réforme " est désormais abusivement employé et dans tous les cas de figure : adapter les institutions aux besoins à court terme des actionnaires ou sous la pression d’un modèle néolibéral indéfini, ou au contraire, mais est-ce bien le contraire car il faut toujours admettre une contractualité centrale, renforcer les possibilités d’intervention d’un Etat régulateur, ce n’est plus de la réforme, c’est de la gestion au quotidien.

Mais comme le discours politique biaise généralement avec le réel, on préfère utiliser le mot, même si certains, plus provocateurs, ont adopté pour se faire élire, celui, plus juste dans un certain nombre de domaines, de rupture. De la rupture à la révolution, il n’y a qu’un pas, et en voulant tuer 1945, c’est presqu’à la " révolution nationale " que renvoie le programme du medef, la dimension " nationale " en moins. Casser le Code du Travail, réduire la fonction publique pour privatiser au maximum l’espace public et marchandiser la quasi totalité des activités humaines, y compris la garde des prisonniers condamnés, ce qui est le comble de la régression, c’est bien une révolution, à rebours certes !

Parler de réforme à droite, c’est donc, tout simplement et toujours, mentir, soit parce qu’on est dans une " gouvernance " mieux adaptée aux besoins, intérêts ou modes (ne négligeons pas le dérisoire) du moment, soit parce qu’on est effectivement dans la rupture ou la tentation de la rupture, et qu’il faut éviter, pour la paix civile, que les citoyens prennent le mot au sérieux.

Le tabou de la révolution

Le mot n’est plus dans la nouvelle déclaration de principes du Parti Socialiste, et cela fait la joie des fermes soutiens du " Système " mais le concept n’en est pas pour autant totalement évacué, au grand dam de quelques-uns de nos idéologues de service évoqués plus haut. On peut lire en effet comme la définition d’une perspective de révolution dans l’expression " projet de transformation radicale ", et la précision utile : " qui ne se décrète pas " et qui " résulte d’une volonté collective forte assumée dans le temps, prenant en compte, l’idéal, les réalités et l’histoire " ; la deuxième partie de la phrase, cependant, est littéralement ce qu’on appelle de la bouillie pour les chats, car une transformation sociale radicale passe par un seuil de crise dont la durée peut être plus ou moins longue, mais assurément pas faire l’objet d’une théorisation a priori pour en éviter les hypothétiques dégâts collatéraux. Ce qui explique sans doute cette définition embrouillée. C’est qu’il manque dans cette déclaration un concept qui n’est plus guère opérationnel il est vrai, mais qui demeure beaucoup plus combattu, car plus réel, plus sensible et toujours pertinent dans la vie sociale, qui est celui de classe sociale. On ne saura pas si les auteurs de cette déclaration ont lu le livre de Peter Sloterdijk " Colère et temps " (traduction française, Paris, 2007), et c’est dommage car on y trouve des analyses intéressantes sur l’histoire et la réalité du concept et sur ses corollaires, la conscience de classe et la lutte des classes. On n’est pas pour autant obligé d’en conclure que définir l’appartenance à une classe aboutit à désigner ceux qu’il sera légitime de tuer.

Il manque un autre mot, une autre précision : s’il est question de capitalisme, on ne trouve rien à dire sur le capital. Or le capital est un être animé, en perpétuel mouvement ; c’est un acteur de l’histoire et se refuser à le définir, c’est se refuser à construire sur des bases crédibles " une société nouvelle qui dépasse les contradictions du capitalisme ", elles-mêmes non précisées. " Aller à l’idéal et comprendre le réel ", selon la formule de Jaurès, ne semble guère facilité par ce texte en l’état. On relèvera enfin une série d’à-peu-près et de formules ambiguës, voire rédhibitoires. Que signifie l’expression, reprise plus loin, du préambule : " il fait siennes les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité proclamées par la Révolution française" ? L’intention est peut-être bonne, mais la traduction en est calamiteuse : qui en France peut penser que le PS n’est pas inscrit dans cet héritage et cette continuité ? Mais pourquoi revendiquer l’héritage de la République ? N’y serions nous plus ?

Le parti socialiste évoque, pour le récuser, le fonctionnement spontané de l’économie et de la société ; mais cela revient à accréditer malgré tout l’idée totalement fausse qu’une société sans règles, une économie sans cadres peuvent fonctionner ; dans l’état sauvage du plus fort ou du mieux armé sans doute, mais dans nos sociétés du XXI ème siècle, sauf dans une science-fiction décrivant un retour à la barbarie, tout fonctionne selon des règles et c’est même cela qui justifie l’existence d’une société politique, de partis et de politiciens. Il n’est pas davantage convenable qu’un parti qui se propose de " contribuer à changer la vie " décrive notre société comme une " société duale où certains tireraient leurs revenus de l’emploi et d’autres seraient enfermés dans l’assistance " ; faut-il voir dans cette simplification abusive une conséquence de l’absence de définition du capital ? L’emploi, sans autre précision, n’est nullement la source des revenus des patrons du CAC 40, des traders, des stars du monde la culture ou des sports, ou des héritiers ! Cela fait peu de monde, certes mais quelques-uns possèdent l’équivalent du PIB d’un état. Nier la réalité, n’est peut-être pas le meilleur moyen de la changer.

Enfin, si le parti socialiste s’affirme républicain, il est singulier que les citoyens soient liés par " un contrat entre citoyens libres et responsables " et accomplissent " aussi " leurs devoirs vis-à-vis de la collectivité, comme si cette deuxième caractéristique de la condition de citoyen pouvait être en débat ; il est tout aussi singulier qu’à propos de la laïcité, ne soit pas fait le rappel de l’obéissance à la loi commune.

La République est une et indivisible !

La conception de la citoyenneté gagnerait donc à être précisée pour que " sa pratique dans tous les domaines et sous toutes ses formes " n’aboutisse pas à un furieux désordre ou à une regrettable confusion.

Tous les principes qui redéfinissent les bases idéologiques du Parti Socialiste sont résumés dans l’article du Larousse cité en exergue ; il est vrai que pour l’accepter tel quel, il faut partir d’un héritage social-démocrate historiquement fondé et inscrit dans une continuité de la philosophie politique occidentale, alors qu’aujourd’hui cet héritage est nié et remplacé par du storytelling, La planète s’en remettra, mais la politique n’est pas affaire de séduction, elle est affaire de pensée, de doctrine et de conviction. C’est ce qui fait la vraie force des néo-libéraux !

Jean-Paul Beauquier


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