Gauche : Jusqu’ici tout va bien... (par Denis Collin)

samedi 24 mai 2008.
 

On connaît l’histoire du type qui tombe du 50e étage. La gauche est ce type qui passe devant le 49e étage et constate que « jusqu’ici tout va bien ». Et ainsi de suite. Devant quel étage sommes-nous ? Les deux derniers articles de Jean-Paul Damaggio publiés sur « La Sociale » posent la question des bases de la construction d’une nouvelle force politique, une tâche urgente. Nous poursuivons ici le débat engagé.

Le P « S » ( ?) est engagé dans une course à droite dont on ne voit plus bien ce qui peut l’arrêter. Manuel Valls tient la corde pour l’heure en proposant qu’on en finisse purement et simplement avec l’appellation « socialiste ». Il a raison. La nouvelle déclaration de principes va être adoptée sans amendement et sans débat avec la lâche complicité d’une « gauche socialiste » qui considère que la reptation est la meilleure expression du courage politique. Or cette déclaration n’a plus rien de socialiste, ni de social-démocrate. Sarkozy aurait pu la signer ou presque. C’est au mieux de la bouillie démocrate chrétienne.

Mélenchon qui fait le fier à bras laïque quand il s’agit des moines tibétains s’est couché. Lamentablement. Filoche de même. Tout comme Emmanuelli et ses amis. Les petites capitulations en appellent de nouvelles. Delanoë, nouveau sauveur suprême, se proclame « libéral » y compris en économie. Peillon se prononce pour le service minimum dans l’éducation nationale, pour les suppressions d’emplois et pour les 41 années de cotisation. Lang, Le Guen, Caresche et quelques autres annoncent qu’ils vont voter la révision constitutionnelle... Nous avons bien maintenant, comme en Italie ou en Grande-Bretagne, deux partis de droite. Ou comme aux États-Unis. [1] Autrement dit, nous n’avons en fait qu’un seul parti, celui de la bourgeoisie et de ses valets avec deux équipes pour que l’une assure la relève quand l’autre est fatiguée. La démocratie est transformée en tyrannie des égoïsmes individuels, tyrannie du conformisme où chacun n’a plus qu’a essayer de s’en tirer individuellement, y compris s’il le faut en écrasant son voisin. C’est cela l’idéologie commune à Sarkozy et Fillon d’un côté, Delanoë le libéral, Valls et autres ours savants de la social-démocratie de l’autre. Ils pourraient à l’instar de leurs homologues allemands, gouverner en commun. S’ils ne le font pas, c’est que pour l’heure il leur semble plus utile, utile pour leurs amis banquiers, hommes d’affaire et chevaliers du CAC40, de singer encore les rituels de l’opposition et du gouvernement. L’union nationale viendra plus tard. Si le mouvement ouvrier se réveille par exemple.

Alors, que faire ? Il y a des initiatives en cours. L’appel publié par le journal « Politis » et signé au départ par 55 personnalités de gauche, militants, artistes, intellectuels (http://www.appel-a-gauche.org/) est plutôt sympathique. En appeler aux bonnes volontés pour se regrouper et « réfléchir aux moyens d’une vraie réponse politique aux attaques de la droite et du Medef et d’aborder les grands rendez-vous qui s’annoncent », pourquoi pas ? Cela ne peut pas faire de mal. Mais ça sent un peu le réchauffé. Après la déroute de la gauche en 2002, on avait eu droit à l’appel Ramullaud (du nom du restaurant parisien où l’affaire s’était conclue). Après le référendum de 2005, on eu les collectifs anti-libéraux. Tout cela n’a mené nulle part. Comme n’avaient mené nulle part les tentatives plus anciens du même genre, candidature Juquin en 2008 ou, plus loin encore, la candidature Piaget de 1974 ! Se rencontrer pour réfléchir ? Bien. Mais pour se parler de quoi. L’appel « Politis » se prononce pour une alternative à gauche :

Nous en appelons donc à l’affirmation d’une gauche enfin à gauche. Qui n’oublie plus la nécessité de redistribuer les richesses. Qui soit en phase avec les aspirations des salariés, avec ou sans papiers, des quartiers populaires, des jeunes. Qui conjugue urgence sociale, urgence démocratique et urgence écologique. Qui permette au peuple d’exercer sa souveraineté dans tous les domaines. Qui place l’égalité entre hommes et femmes au cœur de son projet. Qui milite pour un nouveau mode de production et de consommation, soutenable et respectueux des équilibres écologiques. Qui promeuve la construction d’une autre Europe et des rapports de codéveloppement avec le Sud. Qui devienne, ce faisant, une véritable force.

Tout cela ne mange pas de pain. Mais il y a des élections européennes dans un an. Pourquoi ces élections ne seraient-elles pas l’occasion d’un combat pratique, sur la base de la constitution de listes « anti-Lisbonne », pour la souveraineté des peuples. Mais la question n’est même pas abordée dans l’appel pour permettre sans doute à des gens qui ont fait campagne pour le « oui au TCE » en 2005 de signer. Ainsi Yann Moulier-Boutang, Vert et animateur de la revue Multitudes qui s’est engagé pour le « Oui » au TCE et trouvait même Trois bonnes raisons de voter oui. Il a le droit de changer d’avis. Mais que le texte ne fasse absolument pas allusion la bataille contre le traité de Lisbonne est finalement très révélateur. Je passe sur les pitreries de Michel Onfray qui a changé trois fois de candidat en 2007 et s’affirme de temps à autre capitaliste libertaire et même gaulliste. Comment peut-on construire quelque chose de sérieux sur un rassemblement aussi hétéroclite et sans fixer un minimum de points de bataille pratique ? Certes, si chacun veut faire passer tout son programme on n’arrivera à rien. Certes l’idée d’une plate-forme large permettant à chacun d’aller à son rythme est une bonne idée. Mais il faut au moins une plate-forme, avec les revendications sociales et politiques de base. Là on nous propose des assemblées de bavards qui seront incapables de se faire entendre des ouvriers et des chômeurs, notamment de ceux qui se sont détournés d’une gauche « boboïsée », porteuse des préoccupations et des bons sentiments de la classe moyenne supérieure intellectuelle. Comme dans les signataires de l’appel il y a beaucoup de bons camarades très estimables, il faut leur demander si nous n’avons pas autre chose à faire aujourd’hui qu’à faire revivre le fantôme du PSU. En cette année de commémoration de mai 1968, on peut une fois de plus vérifier combien « le poids des générations mortes pèse sur le cerveau des vivants » [2].

Il y a une autre initiative, plus solide incontestablement : celle du « nouveau parti anticapitaliste » proposé par la LCR qui s’appuie sur la popularité médiatique d’Olivier Besancenot et sur des résultats électoraux qui, pour être encore modestes, sont loin d’être négligeables. Beaucoup de militants disent les choses très simplement : « on a tout essayé, on a essayé tous les détours avec les collectifs antilibéraux et d’autres initiatives auparavant. Rien n’a marché. Il faut donc rompre avec tout cela et faire du neuf. Un vrai parti qui dise clairement les choses. » Disons-le tout aussi clairement : ces militants ont raison. Il n’est pas certain que le « NPA » piloté par la LCR marche et il n’est pas certain qu’il constitue vraiment ce que cherchent ces militants. L’expérience historique aussi bien que la politique réelle suivie par la LCR donne de bonnes raisons d’en douter. L’appellation « anticapitaliste » est déjà en elle-même un problème. Nous y reviendrons dans un prochain article. Mais, encore une fois, l’idée de tourner la page est la bonne.

Inutile de chercher à revenir à la gauche d’avant 1981. La machine à remonter le temps n’existe pas et seul Chevènement peut rêver d’un retour à Épinay (après avoir un temps caressé l’espoir d’aller « par-delà la droite et la gauche). Toute une période historique est close. La période qui avait fait sa place à la social-démocratie, c’est-à-dire à un parti représentant les salariés au sein même de l’ordre capitaliste. Un parti qui tel saint Paul annonçait qu’il n’y avait plus de maîtres ni d’esclaves, pour les discours des dimanches et jours de fêtes, et demandait aux esclaves d’obéir à leurs maîtres les jours de semaine, tout en suppliant les maîtres d’être bons avec leurs esclaves. [3] Il est temps de laisser les morts enterrer leurs morts. Et de reprendre à zéro en allant à la racine des choses, c’est-à-dire en étant radical.

Les réflexions de quelqu’un comme Paul Ariès sont précieuses parce qu’elles posent une question clé : faut-il subordonner la revendication d’une vie décente pour tous à la « croissance » de la production indépendamment même de toute réflexion sur les finalités de cette production ? Et si on coupe ce lien entre l’impératif de la croissance (c’est-à-dire de l’accumulation illimité du capital, jusqu’à ce que mort s’ensuive) et celui des revendications à une vie vivable pour tous, alors c’est un changement radical des rapports sociaux qui est à l’ordre du jour. Mais ce changement radical ne peut pas être un programme pour une cité idéale ; il doit s’inscrire dans l’action et le mouvement même de la vie. Le communisme n’est pas idéal, disait Marx, mais le mouvement qui se développe sous nos yeux. Peut-être le temps est-il venu de redonner son vrai sens au mot « communisme ».

[1] Ceux qui prennent Obama pour un homme de gauche, même de gauche très modérée devraient regarder son programme...

[2] Marx, Dix huit Brumaire de Louis Bonaparte

[3] Voir saint Paul, Lettre aux Éphésiens


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