Le temps est venu : Pour un contrôle démocratique des marchés financiers ! (Attac d’Europe)

lundi 19 mai 2008.
 

Sommaire

* Un autre système financier est possible

* A- Des changements systémiques plutôt que des réparations fragmentaires

* B- Un nouveau Bretton Woods au lieu de forces du marché supposées autorégulées

* C. Briser la domination des marchés financiers

* D. Le principe « pollueur-payeur »

* E. Réformer l’UE

* F. Réformes dans les éléments centraux du système

Désarmer les marchés ! Lorsqu’Attac a été fondée en 1998, ce slogan était formulé sur fond de krach financier en Asie du Sud-Est. Depuis, nous avons été témoins d’autres crises, déclenchées par les marchés financiers : en Russie, au Brésil, en Turquie, en Argentine, ainsi que l’éclatement de la bulle de la nouvelle économie en 2001.

Actuellement nous traversons de nouveau une crise. Sa fin n’est pas encore en vue et il est possible que cette crise soit la plus sérieuse que nous ayons traversée depuis la Grande dépression, suite à l’effondrement des marchés boursiers en 1929. Au cœur de la crise se trouve l’augmentation rapide des prêts hypothécaires à risque (subprimes) aux ménages états-uniens, ainsi que les procédures correspondantes de titrisation, par lesquelles ces prêts étaient vendus aux institutions financières et aux ménages, aux États-Unis et dans le monde entier. La vague de défauts sur ces prêts a eu des conséquences dramatiques sur les institutions financières : sur les hedge funds, les sociétés financières, ainsi que sur le secteur non financier. Il apparaît rétrospectivement que les procédures de titrisation et leurs vecteurs (les sociétés qui réalisent la titrisation) jouent un rôle central dans l’édifice financier global. En réalité, ces mécanismes doivent être compris comme un élément d’un ensemble plus vaste de mécanismes, telles les acquisitions par emprunt (Leveraged Buyouts, LBO) ou véhicules de titrisation (Structured Investment Vehicles, SIV). Ces développements témoignent d’une forme extrême d’effervescence financière. Leurs effets se sont traduits par l’augmentation spectaculaire des profits dans le secteur financier après 2002, mais ils ont aussi mené à la crise financière majeure dans laquelle le monde économique se trouve aujourd’hui.

Un aspect crucial de la situation actuelle est que l’économie américaine entre dans une récession qui pourrait s’avérer plus sévère que d’habitude, surtout si des mesures appropriées ne sont pas prises. Il est difficile d’imaginer comment stimuler la demande, étant donné que les prêts hypothécaires ne sont clairement plus une option possible. Cela aura des répercussions dans le monde entier et il est possible qu’une récession similaire prenne forme dans les principaux pays européens. La contraction de l’activité économique signifie une augmentation du chômage et de nouvelles pressions exercées sur les salariés pour obtenir davantage de « flexibilité sur les marchés du travail », diminuer les pouvoirs d’achat, empiéter sur la protection sociale, etc. La diminution de la demande dans les pays industrialisés frappera aussi de nombreux pays en développement.

On aurait dû s’y attendre. Le krach confirme malheureusement les prédictions des experts hétérodoxes tels que le Prix Nobel Joseph Stiglitz, d’Attac, des mouvements sociaux et d’autres discours critiques du projet néolibéral.

Actuellement, mis sous pression par la crise, les courants dominants de la communauté financière eux-mêmes en appellent aux réformes. Cependant, comme toujours en pareille situation, celles-ci provoqueront la controverse. Tout dépendra des intérêts qui vont les façonner. Si les banquiers en appellent à l’intervention étatique, ils entendent par là une socialisation des pertes tout en conservant les profits dans les poches du secteur privé. S’ils parlent de réforme, ils pensent à une (re)réglementation fragmentaire et à une gestion de crise à court terme, cherchant à sauver les fondements du néolibéralisme et à reprendre les affaires quelque temps après.

Dans l’intérêt de la grande majorité de la population, il faut de véritables changements vers un autre paradigme dans lequel la finance doit contribuer à l’équité sociale, à la stabilité économique et au développement soutenable. Nous ne pouvons pas nous permettre de revenir l’année prochaine au statu quo ante.

La crise n’est pas le résultat d’un concours de circonstances malheureuses et elle ne peut pas non plus être réduite à l’échec de la surveillance, aux agences d’évaluation ou à la mauvaise conduite d’acteurs isolés. Elle a des racines systémiques et donc la structure et les mécanismes du système en général sont remis en jeu.

Étant donné que les marchés financiers constituent le centre et la force motrice de la mondialisation néolibérale, tout ce qui s’y passe - en bien ou en mal a de fortes répercussions sur les autres secteurs de l’économie. Cette domination du secteur financier a évolué après l’introduction des taux de change flottants entre les devises principales en 1973, l’abolition des contrôles du capital et la libéralisation des marchés financiers qui s’en est suivie. Depuis, les institutions financières et les mécanismes sont passés par une phase de rapide expansion : les masses de capitaux financiers et les dettes ont augmenté en parallèle ; plus généralement, l’emprise des intérêts financiers sur l’économie réelle a augmenté énormément. Il est également important de souligner l’accélération rapide de ce processus au début des années 2000, lorsque l’économie américaine se relevait de la crise de 2001 (la récession et l’effondrement du marché boursier), en particulier l’augmentation spectaculaire de la dette intérieure des États-Unis (notamment la dette des ménages), et le déficit extérieur croissant de ce pays, qui est manifeste dans la contribution grandissante du reste du monde au financement de l’économie américaine. Ensemble, ces tendances ont mené à la mise en place d’un nouveau modèle économique, une nouvelle forme de capitalisme, souvent appelée « globalisation », « capitalisme financier » pour certains, tandis que d’autres parlent de « capitalisme actionnarial ». De quelque manière que l’on nomme ce nouveau phénomène, une chose est certaine : tandis que, par le passé, les marchés financiers avaient un rôle subordonné et instrumental par rapport à l’économie réelle, la relation s’est inversée. La logique et la dynamique du profit maximal des marchés financiers pénètre tous les pores de la vie économique et sociale. La mobilité parfaite du capital financier, qui est le résultat des politiques néolibérales, joue un rôle central dans l’économie mondiale. Elle institue une concurrence mondiale, non plus seulement entre les multinationales mais aussi entre les États (leurs systèmes sociaux et fiscaux), ainsi qu’entre les travailleurs des différentes parties de la planète. En créant une relation de pouvoir qui favorise les capitalistes par rapport aux travailleurs, cette domination du capital a conduit à des inégalités croissantes, avec un déclin de la part des revenus du travail et un transfert de risque vers les travailleurs.

L’échec du modèle dominant n’a jamais été aussi évident qu’aujourd’hui. Celui-ci est complètement discrédité. Des conséquences claires doivent donc en être tirées.

Une fenêtre d’opportunité historique s’ouvre. La réalisation d’un véritable changement de direction dépendra de la pression de l’opinion publique.

Un autre système financier est possible

La complexité du système financier actuel rend impossible la résolution des problèmes avec une solution miracle. Toute une série d’instruments seront nécessaires. Cependant, parmi les centaines de propositions particulières qui vont voir le jour dans un futur proche et qui seront toutes controversées, nous pouvons définir quelques conditions de base qui doivent être remplies pour que des propositions isolées soient acceptables comme réformes émancipatrices.

A- Des changements systémiques plutôt que des réparations fragmentaires

Tout le système financier dans sa forme néolibérale a démontré qu’il était économiquement instable, inefficace et nuisible à l’égalité, au bien-être général et à la démocratie. Des changements systémiques sont donc nécessaires. Un de nos buts principaux est de faire tomber les piliers du néolibéralisme, en particulier la mobilité internationale du capital. Certaines des mesures réglementaires destinées à sauver la richesse et l’accumulation capitalistes ou les réformes cosmétiques sont inacceptables.

B- Un nouveau Bretton Woods au lieu de forces du marché supposées autorégulées

La crise a montré que lorsque les marchés sont livrés à eux-mêmes sans réglementation politique, cela mène au désastre. Un contrôle démocratique est donc nécessaire, ainsi qu’une coopération internationale plutôt que la concurrence anarchique entre les économies nationales. Dans la prise de décision économique, la priorité doit être donnée au développement durable et aux droits humains des générations actuelles et futures. Un cadre institutionnel sous les auspices des Nations unies elles-mêmes réformées doit être mis en place.

La supervision nationale et la coopération internationale entre les organismes de réglementation doivent être renforcées. L’évaluation doit devenir partie intégrante de la supervision publique.

Des limites doivent être imposées au libre-échange et à la mobilité internationale du capital. L’ouverture généralisée des marchés de biens et de capitaux doit être remplacée par une nouvelle génération d’accords négociés entre différents pays et régions du monde, basée sur le respect mutuel des droits des classes populaires et la défense des conquêtes historiques des travailleurs, et avec le souci d’une solidarité avec les pays les moins développés.

C. Briser la domination des marchés financiers

L’orientation principale pour un changement réel doit être de briser la domination exercée par les marchés financiers sur l’économie réelle. Quelques instruments adaptés à ce but sont :

- la taxation de tous les transferts financiers, en incluant les transactions de change, en vue de réduire la spéculation, de diminuer la vitesse des marchés financiers et de réduire le court-termisme.

- L’impôt progressif sur le revenu du capital : un facteur principal qui contribue au gonflement des marchés financiers est la concentration de la richesse. Ainsi, pour ralentir et stabiliser les marchés financiers, une redistribution substantielle de revenu des riches vers les pauvres est requise, tout comme une désincitation à la réalisation de profits excessifs.

- La privatisation des systèmes sociaux et des infrastructures importantes, telles que l’énergie et les chemins de fer, doit être interrompue et remise en cause là où elle a déjà eu lieu.

D. Le principe « pollueur-payeur »

L’instabilité financière est un caractère inhérent du capitalisme en général et du capitalisme néolibéral en particulier. L’intervention des États pour affronter les situations de détresse financière est indubitablement nécessaire. La politique criminelle du laisser-faire du début des années 1930 ne doit pas être reprise. Or le coût des interventions publiques ne doit pas être supporté par le contribuable mais par les responsables de la crise. C’est pourquoi un fonds de crise spécial devrait être mis sur pied pour amortir les conséquences de la crise sur l’économie réelle. Ce fonds doit être alimenté par un droit supplémentaire exceptionnel sur tous les revenus du capital supérieurs à 50 000 e et une taxe supplémentaire de 1% sur tous les profits des entreprises.

E. Réformer l’UE

Une attention spéciale doit être portée à l’Union européenne. Les dimensions financières des traités, et notamment celui de Lisbonne, sont taillées dans le dogme néolibéral. L’article 63 du traité de Lisbonne, qui interdit toute restriction sur les flux de capitaux et crée ainsi les conditions idéales pour la mainmise complète de la finance sur la société, doit être abrogé. Nous demandons aussi des limitations à la liberté d’établissement (art. 49 et 54), qui donne au capital la liberté d’émigrer là où les conditions financières sont les plus favorables et aux institutions financières celle de chercher asile à la City de Londres ou bien là où bon leur semble. De plus, il est nécessaire d’amender le statut de la BCE. La Banque centrale est au cœur même du néolibéralisme en Europe. La politique monétaire et fiscale s’inscrit complètement dans le dogme néolibéral. La sortie de l’idéologie monétariste est nécessaire, et un contrôle démocratique doit s’exercer sur cette institution, dont la politique influence considérablement le sort des citoyens. Nous sommes en désaccord avec la focalisation de la BCE sur le maintien de la hausse des prix à la consommation en dessous de 2 %, ce qui est un pilier de la politique néolibérale. Nous demandons que la BCE se focalise sur l’emploi, la préservation du pouvoir d’achat et la stabilité du système financier.

F. Réformes dans les éléments centraux du système

Au vu de la crise, certaines pierres angulaires du système actuel nécessitent une attention spéciale :

a. Exigence en capital et règles prudentielles dans le secteur bancaire

Les exigences en capital pour les banques doivent être rehaussées. En la matière, les normes bancaires « Bâle II » furent un pas dans la mauvaise direction. C’est pourquoi un « Bâle III » est nécessaire pour tirer les conséquences de la crise. Les opérations hors bilan qui sont au coeur de la crise actuelle doivent être bannies.

La procédure de titrisation doit être réservée aux institutions qui sont sous un strict contrôle gouvernemental, comme cela fut le cas aux États-Unis au départ. Les pires procédures de titrisation, comme les titres adossés à des créances obligataires (CDO) dont le but était la revente massive de prêts risqués, doivent être interdites. La banque d’investissement doit être séparée des autres services financiers. Le secteur bancaire public et coopératif doit être renforcé. Le secteur public devrait posséder au moins quelques-unes des banques principales pour assurer un financement stable à un développement juste et durable. Les agences de notation - qui ont sévèrement failli dans la crise actuelle comme dans presque toutes les crises des récentes décennies - devraient passer sous contrôle public. A tout le moins, les agences de notation ne devraient plus être payées par les firmes qu’elles notent, mais plutôt par un fonds financé par tous les utilisateurs de la notation et les émetteurs de produits financiers.

b. Les institutions qui usent d’importants effets de levier

Qui a besoin des hedge funds et quel est leur apport à l’économie ? Lorsque les Allemands demandèrent au G8 de 2007 une plus grande transparence sur les fonds d’arbitrage, il fut avancé que ces fonds étaient utiles car ils prenaient des risques que les autres ne sont pas prêts à supporter. En réalité, ce sont les risques d’une spéculation au service exclusif du profit maximum. Ces opérations n’apportent pas d’avantages à l’économie, au contraire elles déstabilisent le système. En raison de l’usage de l’effet de levier, le risque est transféré aux banques. Voilà pourquoi ces fonds spéculatifs ne devraient tout simplement pas exister. Déclarer que les hedge funds sont des instruments de prévention des risques revient à donner à un pyromane le rôle de protection contre le feu. L’instance de contrôle doit interdire aux banques de faire affaire avec les hedge funds. Personne n’a besoin des hedge funds, sauf les individus riches et les investisseurs institutionnels qui cherchent un profit maximum à haut risque.

c. Réguler les produits dérivés

Tant qu’il restera certains risques pour l’économie réelle à l’intérieur de l’économie globale, tels que la volatilité des taux de change, les produits dérivés peuvent jouer un rôle utile s’ils servent d’assurance contre de tels risques. Dans ce but, ils devraient être négociés en bourse, standardisés et autorisés par une autorité de surveillance. Les échanges hors marchés (OTC), et donc non contrôlés, devraient être interdits.

d. Centres offshore

Qui a besoin de centre bancaires offshore (OFC) et de paradis fiscaux ? Uniquement les individus riches et les investisseurs institutionnels qui veulent cacher leurs avoirs aux autorités fiscales, la mafia, les terroristes, les marchands d’armes et les autres forces criminelles qui veulent blanchir de l’argent. Il n’y a pas d’argument économique raisonnable en faveur du maintien du statut économique de tels territoires hors-la-loi. Leur fonction économique devrait être purement et simplement supprimée. Tant que cela ne sera pas possible, car de grands pays industriels sont eux-mêmes des OFC et protègent les autres, un ensemble de mesures unilatérales peuvent être utilisées, depuis la levée du secret bancaire des banques, en obligeant celles qui ont des agences dans ces paradis fiscaux à les clore, jusqu’à l’imposition de taxes élevées sur les transactions avec ces OFC.

e. Réguler les fonds de private equity

Les fonds de private equity - qui rachètent les entreprises pour les revendre avec profits - peuvent augmenter l’efficacité de l’économie réelle et procurer du capital-risque s’ils sont correctement régulés. Les exigences en capital doivent être améliorées. L’effet de levier doit être limité à des niveaux supportables. Des réformes dans la gouvernance d’entreprise, telles que le triplement du droit de vote des actionnaires de long terme, sont nécessaires. On doit donner aux syndicats, aux consommateurs et aux autres parties prenantes une participation obligatoire dans la prise de décision de l’entreprise [1].

f. Réguler l’endettement des ménages

Des limites réglementaires doivent être mises à l’endettement, d’abord celui des ménages, en imposant un plafond au ratio des remboursements par rapport à leur revenu dans chaque pays. Le logement des classes sociales populaires, et leur accès à la propriété, est une composante des programmes sociaux des gouvernements. Il ne doit pas devenir la chasse gardée du pire segment des institutions financières privées. Nous soutenons fermement les propositions visant à la mise en place d’une procédure de faillite personnelle qui permettrait aux propriétaires surendettés de leurs maisons d’en devenir locataires.

Mai 2008,

Attac Allemagne, Attac Autriche, Attac Espagne, Attac Finlande, Attac Flandre, Attac France, Attac Pologne, Attac Suède, Attac Suisse. Notes

[1] Voir la note LBO produite par le conseil scientifique d’Attac France et le collectif LBO : http://france.attac.org/spip.php ?article8225


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