Ouverture du secteur électrique à la concurrence : on marche sur la tête (par Marcel Boiteux, Président d’Honneur d’EDF)

lundi 12 mai 2008.
 

A tort ou à raison, la France a accepté d’ouvrir le secteur électrique à la concurrence. C’est fait. La conséquence naturelle de cette décision, c’est de laisser le marché fixer dorénavant le prix de l’électricité. Et comme la couverture de la demande dans l’ensemble interconnecté France - Bénélux - Allemagne de l’Ouest ne peut généralement être assurée par le seul nucléaire, c’est l’appel nécessaire aux centrales à charbon (allemandes) qui assure le bouclage marginal et fixe, de ce fait, les prix du marché de gros pendant la quasi-totalité de l’année. EDF ne faisait donc que respecter les lois du marché en s’alignant - aux frais de transport près - sur les prix allemands. D’où, c’est vrai, une rente considérable pour EDF (à la mesure des mérites d’une politique nucléaire française enfin reconnue), rente dont le bénéfice retournait à 87 % à l’Etat actionnaire et permettrait à celui-ci d’alléger d’autres charges - la fiscalité des bas salaires par exemple.

Si l’on ne voulait pas que cette rente apparaisse, il fallait en rester au système EDF antérieur de fixation délibérée des tarifs au niveau des coûts marginaux de long terme français. On a voulu remplacer une tarification volontariste, mimant ce qu’eut été un marché national, par les prix résultant du jeu effectif du marché à l’échelle de l’Europe... et on hurle d’effroi et d’indignation à voir le résultat (qui était à la fois prévisible et annoncé) ! Mais il est trop tard pour revenir en arrière. Et comme on ne veut plus aller de l’avant, on s’égare dans des aventures incohérentes.

Les nouveaux concurrents d’EDF ne peuvent normalement survivre que si ce sont les lois du marché qui prévalent à la fois sur le marché de gros, sur lequel ils s’approvisionnent, et sur le marché de détail où ils affrontent ensuite la concurrence d’EDF. C’était le jeu normal des marchés, auquel EDF ne demandait qu’à se plier dès lors que le secteur était ouvert à la compétition. Et c’est ce jeu qui a été interdit !. Car, ce qui empêche l’entrée des concurrents, ce n’est pas, comme on le prétend maintenant, l’obligation naturelle où seraient ceux-ci de payer leurs achats en gros au prix du marché (et non au coût du nucléaire), c’est l’obligation que l’Etat fait à EDF de maintenir pour les ventes au détail des prix - dit réglementés - très inférieurs à ceux du marché. C’est parce que l’Etat, se rendant compte (enfin !) que dans le cas très particulier de l’électricité, et a fortiori avec l’impact du nucléaire, l’ouverture à la concurrence va conduire inéluctablement à la hausse des prix de vente - en gros (tarifs industriels) comme au détail (tarifs domestiques) - qu’il s’affole brusquement, fixe arbitrairement les tarifs de vente au public en dessous de ceux du marché malgré les protestations de Bruxelles, et demande à EDF de consacrer une partie de la rente nucléaire (qui appartient au dit Etat en tant que propriétaire) à abaisser les prix de vente en gros à ses concurrents : il s’agit de permettre ainsi à ceux-ci d’être compétitifs, à la revente, avec les tarifs EDF de vente au détail fixés par l’Etat en dessous de ceux du marché. On marche sur la tête.

Mais Bruxelles finira forcément par obtenir un jour ou l’autre la suppression des tarifs réglementés. En attendant, pour ne pas trop se mouiller, le Conseil de la concurrence a demandé à EDF de se débrouiller (« toute autre solution techniquement ou économiquement équivalente ») pour que ses concurrents survivent. En fait, pour éviter l’accusation de position dominante, EDF le faisait déjà, depuis longtemps, en faveur de ses concurrents de bonne qualité. On lui demande maintenant de le faire aussi pour les autres ! Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ...

Article de Marcel Boiteux, Président d’Honneur d’EDF, à paraître dans la revue Société Civile


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