18 août 1950 Assassinat de Julien Lahaut par un réseau comprenant extrême droite, patronat, services secrets et CIA

mercredi 18 août 2021.
 

Julien Lahaut a été un grand militant ouvrier du 20ème siècle, député de Liège en 1932, combattant antifasciste puis résistant, déporté au camp de de concentration de Neuengamme puis de Mauthausen. Libéré juste avant sa mise à mort. Président du Parti Communiste Belge de 1945 à 1950.

- B) C’était un crime anticommuniste (révélations 15 mai 2015)

- C) Qui a assassiné l’antifasciste Julien Lahaut ? (article de l’année 2000) Pour les auteurs du livre La Guerre froide en Belgique, le meurtre de Julien Lahaut « avait une signification politique tant nationale qu’internationale. Le président du PCB personnifiait la tradition de lutte ouvrière dans ce qu’elle a de plus dur et de plus révolutionnaire. […] Les années de lutte, de prison et de torture, subies pendant la guerre de 14-18 et pendant sa déportation dans les camps nazis au cours de la Deuxième Guerre mondiale n’avaient entamé ni sa force physique ni son moral. Pour lui, la vie n’avait de signification que dans la lutte : que ce soit dans les prisons ou dans les camps hitlériens, sur les tribunes politiques ou sur les barricades, dans les manifestations de masse ou dans l’enceinte parlementaire"

B) C’était un crime anticommuniste (révélations 15 mai 2015)

Un rapport du Sénat met en cause le patronat dans le meurtre 
du président du Parti communiste belge, Julien Lahaut, en 1950.

Correspondance. Il aura donc fallu attendre soixante-cinq ans pour qu’une part de vérité soit enfin dévoilée sur l’assassinat de Julien Lahaut, député et président du Parti communiste de Belgique : selon le rapport présenté au Sénat mardi dernier, il s’agissait « non d’un acte isolé, mais de celui d’une organisation, d’un réseau, celui d’André Moyen, financé par des grandes sociétés en liaison avec des hommes politiques importants et en collusion avec la police judiciaire de Liège, Anvers et Bruxelles, qui a empêché l’instruction de Liège d’aboutir ».

L’enquête des historiens Emmanuel Gérard, Widukind de Ridder et Françoise Muller, du Ceges (Centre d’études sur la guerre et les sociétés contemporaines), était menée depuis 2009 à la demande de plusieurs sénateurs et députés belges. La socialiste Véronique De Keyser avait lancé, en 2011, une souscription pour la financer, l’État belge ne s’étant pas montré vraiment enthousiaste pour soutenir l’entreprise. On comprend pourquoi, au vu de la gravité des résultats, réunis dans un épais document de 350 pages qui a demandé plus de cinq années d’investigations d’autant plus compliquées que les faits remontent au 18 août 1950.

À partir de 1923, il est sans cesse élu du Parti communiste belge

Ce jour-là, Julien Lahaut est abattu sur le pas de sa porte, à Seraing, sa ville natale. Il y était né soixante-six ans plus tôt. Son père était ouvrier chez Cockerill et lui-même était entré à la mine à 14 ans. Le destin ordinaire, tracé d’avance, des garçons de cette banlieue noire de Liège tout entière vouée au charbon et à la métallurgie. Sauf que Julien Lahaut n’acceptait pas cet esclavage et créait, à 18 ans, le premier syndicat de métallos dont le nom disait bien son programme : « Relève-toi ! » Première ébauche de la Centrale de la métallurgie, dont il est secrétaire quand il s’engage, en 1914, dans le corps des autos canons pour aller combattre les troupes allemandes en Russie.

À son retour, il reprend le combat syndical et mène, en 1921, une longue grève de huit mois – contre l’avis de la direction régionale de son syndicat, dont il sera exclu. Il fait du comité de grève un comité de défense syndicale adhérant à l’Internationale communiste. À partir de 1923, il est sans cesse élu du Parti communiste. Député en 1932, il participe activement à la résistance contre le nazisme : il mène une nouvelle grève en pleine occupation, en mai 1941. Arrêté le 22 juin par la Gestapo, il est torturé, déporté à Neuengamme, condamné à mort et transféré à Mauthausen, qui sera libéré avant son exécution. Son retour à Liège est triomphal : c’est l’homme du peuple, le combattant et le tribun que la classe ouvrière et la population acclament.

Réélu député en 1946, il participe à la bataille contre le retour du roi Léopold III, accusé par une bonne partie de la population de collusion avec les forces d’occupation qui l’ont emmené dans leurs fourgons à la fin de la guerre. La droite, victorieuse aux élections de 1950, autorise ce retour dès juillet. Manifestations et grèves se multiplient en Wallonie, des émeutes éclatent, la police tire et fait quatre morts le 30 juillet à Grâce-Berleur. Effrayé, le roi abdique au profit de son fils, Baudouin. C’est au moment où ce dernier prête serment devant les chambres, le 11 août, que retentit un cri inouï  : « Vive la République  !  » La presse attribue ce crime de lèse-majesté au président du PC, Julien Lahaut. On saura bien plus tard que son camarade, le député Georges Glineur, en fut l’auteur.

Un réseau anticommuniste financé par le « roi non couronné »

On a toujours dit, écrit, fait circuler l’idée que c’était un groupe de « léopoldistes » qui avaient tué Julien Lahaut, huit jours plus tard. Chose étrange : le tueur n’a jamais été arrêté, alors qu’il se vantait lui-même de son exploit. Il s’appelait François Goessens et appartenait à l’extrême droite anticommuniste. Il ne fut pas inquiété, « faute de preuves ». En fait, on le sait grâce au travail des historiens du Ceges, l’enquête fut volontairement dirigée vers de fausses pistes par le commanditaire, André Moyen, agent de renseignement des services secrets militaires de Belgique jusqu’en 1965. Sous le pseudonyme de capitaine Freddy, il avait participé à la création du réseau Athos avant la Seconde Guerre mondiale, puis au réseau anticommuniste Gladio, chargé de contrer le « péril rouge » en Europe en collaboration avec la CIA. Révélation plus grave encore, le réseau anticommuniste piloté par Moyen était commandité et financé par le patronat de grandes entreprises comme la Société générale – qu’on appelait «  roi non couronné de Belgique  » –, l’Union minière, toute puissante au Congo, la Brufina, grosse entreprise de charbonnages.

Bien des points restent obscurs. Aussi le député PTB de Liège, Raoul Hedebouw, a-t-il introduit hier une demande d’enquête parlementaire « pour que toute la lumière soit faite sur tous ces méfaits ». « Les historiens qui ont travaillé à plein temps depuis plus de cinq ans ont pu prouver qu’André Moyen faisait des rapports réguliers pour la Sûreté de l’État et la chancellerie. Que sont-ils devenus ? Il est très important de faire toute la clarté, pour la vérité historique mais aussi pour la justice. »

Françoise Germain-Robin, L’Humanité

C) Qui a assassiné l’antifasciste Julien Lahaut ? (article de l’année 2000)

Après la guerre 40-45, la Belgique traversa sa plus grave crise politique. La Question royale divisa le pays entre partisans et opposants du retour du Roi sur le trône. La passivité et la complaisance de Léopold III pour l’Occupant nazi étaient au coeur de cette question. Nous étions à deux doigts de la guerre civile. C’est à ce moment-là, que Julien Lahaut, le président du Parti communiste, fut lâchement assassiné par des tueurs.

Qui étaient-ils ? Pour le compte de qui ont-ils tiré ? L’extrême droite ? Les royalistes ultras ? Une organisation internationale anticommuniste ? Ou les trois à la fois ? Cinquante ans après son assassinat, un appel est lancé pour qu’une commission d’enquête parlementaire soit créée. Et que la vérité soit enfin faite sur cet assassinat politique. Rappel des faits.

Guerre civile

Le vendredi 18 août 1950, Julien Lahaut fut assassiné à Seraing, près de Liège, par un commando terroriste constitué de professionnels. Depuis un bon bout de temps, le dirigeant des communistes belges et militant antifasciste de longue date, ainsi que de nombreux autres politiciens de gauche, recevait des lettres anonymes le menaçant. Le lendemain du meurtre, une bonne partie de la population s’indigna. A travers tout le pays, en signe de protestation, des grèves furent organisées. Le premier ministre de l’époque Joseph Pholien, inquiet de la situation, tenta de calmer les ouvriers par des paroles lénifiantes. Le gouvernement pensait alors que cet attentat pouvait susciter une révolte auprès de l’opposition politique et syndicale (socialiste et communistes). Révolte qui représenterait un risque majeur pour la survie du pouvoir. Nous étions à ce moment précis en pleine Question royale. Les adversaires, de part et d’autre, avaient depuis belle lurette cessé de se regarder en chien de faïence : le pays se préparait à la guerre civile !

Pourquoi ?

Pour les auteurs du livre "La Guerre froide en Belgique", le meurtre de Julien Lahauts "avait une signification politique tant nationale qu’internationale. Le président du PCB personnifiait la tradition de lutte ouvrière dans ce qu’elle a de plus dur et de plus révolutionnaire. Les années de lutte, de prison et de torture, subies pendant la guerre de 14-18 et pendant sa déportation dans les camps nazis au cours de la Deuxième guerre mondiale n’avaient entamé ni sa force physique ni son moral. Pour lui, la vie n’avait de signification que dans la lutte : que ce soit dans les prisons ou dans les camps hitlériens, sur les tribunes politiques ou sur les barricades, dans les manifestations de masse ou dans l’enceinte parlementaire".

"C’est ce symbole de la lutte communiste et antifasciste que l’on assassina le 18 août 1950. Les assassins de Julien Lahaut savaient très bien où ils frappaient. En l’abattant, c’est toute la population des travailleurs que l’on attaquait."

Qui sont les assassins ?

Diverses pistes furent suivies par la justice. Sans réel succès. La gauche belge évoqua, à plusieurs reprises, un lien possible avec l’organisation anticommuniste "Paix & Liberté". Appartenant à cette même mouvance, les Léopoldistes d’extrême droite (favorables au roi Léopold III avec la droite nationale chrétienne) furent soupçonnés d’avoir organisé ou commandité l’assassinat du président communiste.

Le 31 mai 1958, "Le Peuple" titrait : "L’assassinat de Julien Lahaut serait l’oeuvre de tueurs d’extrême droite". Le quotidien socialiste se référait aux "révélations" faites durant un "simple procès" pour détournement de fonds. Le principal prévenu, Emile Delcourt, prétendit au cours de ce procès devant le tribunal correctionnel de Bruxelles détenir certains renseignements à propos de l’élimination de Julien Lahaut. Ce drôle de personnage se revendiquait comme étant un ami du "chasseur de sorcières" américain Mc. Carthy. Depuis de nombreuses années, Delcourt participait activement à la lutte anticommuniste, soutenue et impulsée par le gouvernement des Etats-Unis. Il dirigeait le journal de propagande "L’Unité Belge". Dans le cadre de ses activités politiques, il collaborait avec les services de renseignements de l’armée ainsi que d’autres organismes secrets occidentaux. Afin de financer son combat, Delcourt prit contact avec Paul Calmeyn, un curé bruxellois chargé par le cardinal Van Roey de l’administration du Fonds Cardinal Mercier.

Lors de son procès, en 1958, Delcourt, déclara que le meurtre de Lahaut avait été financé avec l’argent de ce fonds, dont le but était la lutte contre le communisme. Pour l’exécution, l’agent de propagande recruta deux tueurs à gages corses. Il servit d’intermédiaire entre l’"antibolchévique" Calmeyn et ces deux Corses. Il désigna également Jean-Robert Debbaudt, un ancien volontaire belge parti sur le Front de l’Est avec la Légion SS Wallonie de Léon Degrelle, comme étant le conducteur de l’auto du commando qui liquida Lahaut.

"Le Drapeau Rouge", le quotidien du PCB, estima, après les divulgations de Delcourt qu’il n’y avait que deux possibilités : d’une part, la cour pouvait déclarer que Delcourt était irresponsable et on l’internait aussitôt ou alors, il n’était pas fou et il fallait le faire passer aux Assises au plus vite pour sa participation à l’assassinat de Lahaut. La justice décida tout autrement : il fut condamné à cinq ans de prison pour détournement de fonds et jamais inquiété pour les révélations qu’il avait faites sur le meurtre de Lahaut. Jean-Robert Debbaudt, après avoir été arrêté dans le cadre de cet assassinat politique, fut relaché. Quant au prêtre catholique Paul Calmeyn, il fut à jamais oublié par les enquêteurs.

Deux ans plus tard, une perquisition eut encore lieu dans les locaux anversois des "Koningsgezinde Beweging Leopold III". Quelques activistes de ce mouvement royaliste furent interrogés par les enquêteurs. Sans résultat. Cette piste fut ensuite abandonnée. Elle fut aussi la dernière. Pour "faute de preuves", le dossier Lahaut fut par la suite refermé.

Pour terminer, il faut aussi savoir qu’au moment de l’élimination de Julien Lahaut, à l’étranger d’autres attentats eurent lieux contre des leaders de la gauche socialiste et communiste (contre l’Italien Togliatti et le Français Duclos, par exemple). A cette occasion, certains, signalèrent les activités subversives de différentes organisations occidentales qui jouèrent un rôle de premier plan durant la Guerre froide contre le Bloc de l’Est, mais également contre l’opposition de gauche en Europe de l’Ouest. Selon les auteurs de "La Guerre froide en Belgique", "ces mêmes organisations auraient très bien pu fournir les auteurs du meurtre ou avoir donné leur appui logistique. L’enquête judiciaire aurait pu être plus fructueuse si on avait regardé de ce côté…"

Cinquante ans après le lâche assassinat du camarade Julien Lahaut, les tueurs et les commanditaires n’ont toujours pas été retrouvés. Un mystère de plus dans les annales judiciaires de notre petit pays. Un mystère protégé par une chape de plomb que l’on retrouvera plus tard, lors des années de plomb qui secouèrent la Belgique entre 1982 et 1985.

Simon HARYS


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