Un livre incontournable sur la Guerre d’Algérie : L’ennemi intime, par Patrick Rotman

lundi 28 avril 2008.
 

Ce livre terrifiant est constitué d’une compilation de témoignages, contextualisés, des très nombreux soldats professionnels et d’appelés qui ont commis des exactions pendant la Guerre d’Algérie.

On ressort de la lecture de cette ouvrage anéanti. Une horreur toutes les dix lignes. L’armée française a commis cinquante Oradour-sur-Glane. Parmi les tortionnaires, d’anciens résistants, d’anciens torturés. Patrick Rotman historicise l’extrême violence de tous ces hommes qui sont devenus les victimes de leur propre “ ennemi intime ”. Comment un gamin de 19 ans peut-il en arriver à arracher un bébé des bras de sa mère et à lui fracasser la tête contre un mur ? Comment peut-on assister au massacre d’une famille au napalm dans la plus parfaite indifférence ? Comment peut-on achever des blessés ? Comment peut-on s’accoutumer ? Un des acteurs de cette tragédie pense, après William Golding dans Le Dieu des mouches, que la bête immonde est tapie au fond de l’être humain, réfrénée par l’éducation.

Tous les soldats n’ont pas été bourreaux, tueurs, tortionnaires. J’ai ainsi la plus grande admiration pour mon beau-père qui est sorti de la Guerre d’Algérie comme il y était entré : intègre physiquement, mais surtout moralement. Jeune militant syndicaliste (CGT), il avait décidé qu’il ne tirerait que pour se défendre et qu’en aucun cas il ne s’en prendrait à des individus a priori innocents : vieillards, femmes, enfants. Avec un peu de chance, mais surtout grâce à une conscience politique très ferme, il réussit à tenir sa promesse. Il savait de manière absolue que la France était dans l’erreur et qu’une guerre sale ne pouvait être menée que salement.

Rares sont les hommes politiques, les responsables qui ont refusé l’ignominie. Il faut citer Paul Teitgen, secrétaire général de la police à Alger, lui-même torturé par la Gestapo : « je refuse ce procédé qui humilie celui qui est torturé mais qui humilie bien plus et réveille bien plus chez le tortionnaire le mal latent qui est en chacun d’entre nous. Il ne faut pas gratter beaucoup. » Citons également Jacques Pâris de la Bollardière, le seul officier supérieur qui ait dit non : « cette guerre révolutionnaire que je découvrais m’a montré très rapidement qu’elle avait une logique absolument inéluctable qui pousse l’armée qui se bat contre un peuple à glisser de plus en plus vers une violence de moins en moins contrôlée parce que l’ennemi c’est le peuple, c’est-à-dire des femmes, des enfants, des vieillards, la population d’un village. » Face à un mouvement de libération politique, les gouvernements français, celui de Guy Mollet au premier chef, n’ont offert qu’une réponse militaire.

L’Algérie d’aujourd’hui en paye encore le prix. En effet, le FLN, mouvement très minoritaire, s’est imposé par la violence, contre l’armée et la population d’origine métropolitaine bien sûr, mais aussi contre la population algérienne qui ne le suivait pas aveuglément. Nombreux sont les Algériens qui se retrouvèrent entre l’enclume et le marteau, qui devinrent harkis non par choix, mais par hasard ou par nécessité. Cette guerre imbécile, menée pour le profit d’une minorité de colons (une majorité de pieds-noirs avaient un niveau de vie inférieur à celui qu’ils auraient eu en métropole - voir la mère d’Albert Camus), va engendrer une société extrêmement violente, aux antipodes de la démocratie, l’Algérie d’aujourd’hui.

Paris, Le Seuil 2007.


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