Afghanistan et retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’alliance atlantique : Mauvais coup et gros risques (Emmanuelli)

jeudi 28 janvier 2016.
 

Dès le mois d’août 2007, il était évident que « l’alignement » de la France sur les Etats-Unis était devenu, en rupture avec plusieurs décennies de consensus national sur le concept d’indépendance, le nouvel axe de notre politique étrangère. Tout l’indiquait : le choix des hommes comme les premiers actes du nouveau pouvoir.

Je faisais observer, à l’époque, que la nomination du ministre des affaires étrangères ne relevait pas simplement de la prétendue ouverture mais du choix de l’un des deux hommes politiques français ayant ouvertement prôné l’engagement de la France dans l’aventure irakienne aux côtés de M. Bush. Je relevais les premiers actes de ce nouveau pouvoir qui ne laissaient pas subsister beaucoup de doutes sur ce qu’allait être la suite. J’indiquais même, à l’adresse des nouveaux ralliés, qu’il y avait chez Monsieur Sarkozy, côtoyant une « habileté indéniable » - ce en quoi je me trompais - des « convictions idéologiques profondes » qui l’emporteraient - ce qui se révèle plus juste.

« Hélas, trois fois hélas », comme disait le général, moins d’un an après son élection, M. Sarkozy passe aux actes irréversibles : envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan et annonce du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN.

Qu’est-ce qui justifie l’aventure afghane ? Il s’agit, nous dit-on, à titre principal, de prendre d’avantage de responsabilités auprès de nos alliés, dans « la lutte contre le terrorisme » ! Et d’aider, accessoirement, au développement et à la démocratisation de ce pays.

Qu’est-ce que la lutte contre le terrorisme ? Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet, selon les époques, les situations, l’identité des acteurs et les justifications qu’ils affichent ou dont on les affuble. Oui, beaucoup : un ouvrage épais n’y suffirait pas. Je retiendrai, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, qu’il s’agit d’un concept forgé par les néoconservateurs américains induisant, in fine, un affrontement civilisationnel du « Bien contre le Mal », du nord contre le sud, de l’Occident chrétien, pourquoi ne pas le dire, contre l’Islam, se substituant à l’affrontement des deux blocs aujourd’hui disparus. Sans oublier la maîtrise de l’énergie et du pétrole en particulier. Mais sur ce sujet, M. Dick Cheney veille.

Quant à la démocratisation par la force, au nom sans doute de ce détestable « droit d’ingérence » qui ne s’applique qu’aux adversaires réels ou supposés de l’OTAN n’ayant pas les moyens de lui résister, il s’apparente étrangement à la version ré habillée du « droit du plus fort ». Comment comprendre, autrement, que l’on puisse vouloir imposer par la force un régime - la démocratie - dont la principale caractéristique est qu’elle repose, justement, sur un contrat librement consenti entre ses citoyens ?

Celles et ceux qui ne l’auraient pas compris, ceux qui s’inquiètent de notre « alignement » et de ces errements seraient, nous dit notre ministre des affaires étrangères, des « passéistes » ! S’appuyant sur son extra lucidité au moment de l’affaire irakienne, qui, comme chacun sait, constitue à ce jour un remarquable succès, il en rajoute à l’encontre de toutes celles et ceux qui se rebiffent face au retour d’un manichéisme dangereux : « Ils se trompent lourdement de temps. Nous sommes au XXIème siècle et il faut recommencer de penser, pas seulement penser sur le passé » (sic). Comme si le XXIème Siècle avait vocation à convoquer l’An Mil ! Comme si l’obscurantisme et le confusionnisme étaient les marqueurs de la raison. A l’évidence, pour M. Kouchner, l’absence d’amour propre est compatible avec la vanité et penser ne veut pas dire réfléchir. On le vérifie aujourd’hui, ses déclarations guerrières sur l’Iran ne relevaient pas de la simple maladresse.

En réalité, par delà les morts qui sont déjà quatorze et dont je crains qu’ils ne soient demain nombreux dans ce bourbier dont aucune puissance militaire n’est jamais sortie victorieuse, l’aventure afghane n’a aucun objectif acceptable. Il s’agit, au mieux, d’afficher notre bonne volonté auprès de nos alliés américains dont le fardeau devient insupportable. Au pire, de s’inscrire activement dans l’absurdité de leur vision manichéenne du monde.

Reste le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN. Il n’est évidemment pas dissociable de l’affaire afghane. Mais il va bien au delà.

La question n’est pas simple. Déjà, depuis 1995, Jacques Chirac y pensait. Et l’on se souvient de sa tentative avortée de faire nommer un français au commandement en méditerranée. Par ailleurs, il est vrai que des militaires français participent aux différents commandements militaires ad hoc mis en place depuis la fin de la guerre froide. Mais tout est dans le « participent ». Car dans la réalité, il n’y a pas beaucoup d’ambiguïté sur les véritables détenteurs du pouvoir de décider.

Ce qui est insupportable, dans la décision annoncée de réintégrer le commandement militaire intégré de l’alliance atlantique, c’est que l’on veuille nous faire croire, de surcroît, qu’elle est conditionnelle et servirait l’avènement d’une défense commune européenne. « Nous ferons cela, nous dit l’ineffable M. Kouchner, si l’Europe de la défense a avancé ! »

Et pourquoi donc n’avancerait-elle pas, cher penseur de l’avenir, si la défense européenne commune, devenue de facto le pilier européen de l’OTAN, permettrait aux USA de partager avantageusement le fardeau des dépenses militaires tout en restant maîtres du pouvoir et de la technologie ?

L’idée n’est pas nouvelle. Elle s’était néanmoins heurtée, jusqu’ici, au bon sens et à la bonne foi de celles et ceux pour lesquels la construction politique de l’Europe est un véritable projet de puissance autonome, et non une simple pantalonnade atlantiste. Elle était rejetée par ceux qui ne partagent pas la vision anglo-saxonne de l’Europe : une zone de libre échange sous contrôle militaire et politique de l’OTAN, ou, si l’on préfère, des Etats-Unis. Car si la défense commune européenne devient le « pilier européen » de l’OTAN, il ne restera plus qu’à fusionner notre marché commun avec l’Alena et à se demander pourquoi il aura fallu attendre 60 ans, alors que nos amis américains étaient déjà là en 1945 et qu’il suffisait de leur demander de ne pas repartir !

Il ne s’agit pas seulement, comme le dit M. de Villepin, en charge désormais des dépouilles du gaullisme, de perdre dans cette abdication « des marges de manœuvre diplomatique et de risquer un certain nombre d’amalgames ». Il s’agit de bien plus, de l’essentiel : de notre capacité, en tant qu’européens, à exister librement. Non pas de notre passé, M. Kouchner, mais de notre droit à l’avenir.


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