Pour le repos hebdomadaire (par Jean Jaurès)

lundi 29 décembre 2014.
 

L’Humanité du 28 octobre 1906

La loi sur le repos hebdomadaire a deux sortes d’ennemis, les uns qui lui livrent un assaut direct et qui en demandent la révision, les autres qui cherchent à la perdre par des interprétations et des atténuations qui lui enlèveraient toute efficacité. Quelques radicaux se livrent à ce jeu dangereux. Pourront-ils le soutenir devant le Parlement ? Prendront-ils la responsabilité d’une manœuvre contre une modeste conquête des salariés de tout ordre ?

Ils invoquent que la loi prévoit la possibilité de substituer au repos collectif, le repos par roulement. Cela est certain, et les ouvriers boulangers ont su le rappeler au patronat. Mais la loi n’a prévu le repos par roulement que là où le repos collectif était rendu impossible par la nature même de l’industrie ou du commerce en question. En principe et comme règle, la loi établit le repos simultané, en un même jour qui est le dimanche. Elle n’a pas voulu par là consacrer « le jour du Seigneur » ; et M. de Lanessan aura beau, répéter que cette disposition est due à la coalition des cléricaux et des collectivistes, il ne trompera personne. Tous les républicains se sont préoccupés d’assurer à la classe des salariés, ouvriers et employés, un jour de repos fixe par semaine, dans les conditions qui répondaient le mieux aux habitudes de la classe ouvrière elle-même. Il y a un double intérêt pour les travailleurs à ce que ce repos soit, le plus possible, simultané. D’abord, les ouvriers trouvent plus de joie dans le repos goûté en commun, quand un même jour de relâche ou de fête permet à la famille et aux amis de se réunir. En second lieu, le contrôle est plus facile.

Ce n’est donc qu’à titre tout à fait exceptionnel que la loi prévoit ou que, le repos sera fixé à un autre jour que le dimanche ou qu’il sera assuré par roulement. Elargir cette exception, en faire la règle, c’est aller contre l’esprit et la lettre de la loi, c’est en détruire l’essence même ; c’est morceler et disperser à l’infini le repos des salariés ; c’est le dépouiller de toutes les joies de la vie commune et des garanties d’un contrôle aisément exercé. Ceux des radicaux et même des radicaux-socialistes qui veulent nous entraîner dans cette voie, sous prétexte d’aider les petits détaillants, font œuvre funeste et rétrograde. Le Parlement ne les suivra pas, et les salariés de l’industrie et du commerce ne se laisseront pas arracher une loi équitable et nécessaire, conquise après de longs efforts.

Les plaintes du « petit commerce », devenu le pseudonyme commode de M. Marguery, sont vaines. La loi ne lèse en rien ses intérêts. On a bien vu par 1’exemple des boulangers combien cette opposition à la loi est injustifiée et factice. A entendre le patronat de la boulangerie, il ne pouvait pas la supporter, et il condamnerait Paris au pain rassis plutôt que de se prêter au repos par roulement qui était demandé par les ouvriers, vu la nature spéciale de l’industrie du pain. Or, après une tentative d’une semaine, le patronat a cédé. Il a prétexté la visite du lord-maire pour masquer sa retraite ; il paraît que le pain rassis était bon pour les Parisiens, mais qu’il n’était point convenable pour nos hôtes de Londres ; et ce ne sera point un des moindres bienfaits de l’entente cordiale de nous avoir rendu le pain frais. Mais ce que les patrons boulangers déclaraient impossible, ils le pratiquent maintenant ; qui prendrait au tragique et même au sérieux des doléances si vite abandonnées ? Il n’est que d’appliquer fermement la loi. Toute cette agitation de surface tombera.

Au demeurant, si les prétendus amis du petit commerce veulent vraiment le servir, ce n’est point par une abolition ou un affaiblissement de la loi du repos hebdomadaire qu’ils le pourront. S’ils veulent accroître encore les facilités d’achat de la classe ouvrière chez les petits commerçants, ils n’ont qu’à saisir l’occasion prochaine du débat sur la journée de dix heures étendue à tous les ateliers pour demander « la semaine anglaise » c’est-à-dire le demi-repos du samedi pour les ouvriers industriels. Dans l’après-midi du samedi, les ouvriers et ouvrières feront leurs achats, et la journée du dimanche sera un jour de pleine liberté pour tous.

En vérité, on dirait que les promoteurs radicaux de cette campagne veulent compromettre le nouveau ministère du Travail, dès ses débuts, aux yeux de la classe ouvrière. Si celui-ci inaugurait sa vie par une capitulation devant la plus injustifiable résistance, s’il livrait à des égoïsmes à courte vue une loi de protection ouvrière, il perdrait tout crédit pour l’œuvre future de législation sociale.


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