"Un aveuglement face aux inégalités sociales de santé", entretien avec Didier Fassin, directeur d’études à l’EHESS

dimanche 23 mars 2008.
 

La cécité face aux inégalités sociales de santé est partagée par tous, pour différentes raisons sociales et politiques.

Pratiques : Quels sont les facteurs sociologiques et politiques qui font que la société française tolère autant les difficultés d’accès aux soins et les inégalités sociales ?

Didier Fassin : Deux confusions semblent en fait souvent s’opérer : entre soins et santé d’une part, entre inégalités et pauvreté d’autre part. En France, on a tendance à assimiler soins et santé, à accentuer la corrélation entre problèmes de santé et difficultés d’accès aux soins, or on a intérêt à les séparer car ils relèvent d’une logique différente. Les inégalités sociales de santé sont en France parmi les plus élevées d’Europe de l’Ouest (l’écart d’espérance de vie à 35 ans des hommes selon leur catégorie socioprofessionnelle est le plus important atteint neuf années), alors que l’efficacité du système de soins est très bien évaluée (il est au premier rang du classement de l’Organisation mondiale de la santé). C’est dire que les deux réalités - la santé et les soins - ont une large autonomie l’une par rapport à l’autre : un pays peut avoir un bon système de soins et des inégalités de santé très profondes.

Par ailleurs, on constate en France une tendance structurelle des politiques : d’un côté, on produit davantage d’inégalités sociales, notamment par les politiques fiscales mais aussi de l’éducation et de l’emploi, et de l’autre, on s’attaque à la pauvreté extrême, comme c’est la mission du Haut Commissaire chargé de ces questions. Autrement dit, on déconnecte les deux phénomènes : on se soucie de moins en moins de justice sociale, mais on développe les programmes d’assistance. Ce décalage est caractéristique de toutes les politiques libérales dont on constate qu’elles finissent par se retourner aussi contre les pauvres, accusés de contribuer à leur propre misère ou de tricher avec les fonds de la solidarité publique, comme on vient de l’entendre à propos des chômeurs.

Or, lorsqu’on examine les statistiques de mortalité, on se rend compte qu’elles indiquent non pas une rupture entre les riches et les pauvres, mais bien un gradient continu des cadres supérieurs aux ouvriers non qualifiés, en passant par toutes les catégories intermédiaires : les inégalités l’emportent sur la pauvreté si l’on peut dire. Ces réalités sont largement méconnues et même pour une part occultées.

De quoi sont faites les inégalités sociales de santé ?

Améliorer son état de santé, cela ne dépend pas seulement du domaine des soins : obtenir un logement décent, une meilleure éducation, un accès à l’emploi, des conditions correctes de travail, ce sont des facteurs bien plus déterminants. Ce qui ne veut pas dire que l’accès aux soins soit sans importance. En fait, plus que pour ses conséquences sur la santé, l’accès aux soins doit être défendu en tant que droit. Et c’est précisément cette dimension qu’on perd de vue quand on avance des mesures pour financer la Sécurité sociale comme le forfait hospitalier ou la franchise médicale dont il s’agit moins de contester le bien-fondé dans l’absolu que le fait qu’en l’appliquant à tous, on ne pénalise que les plus pauvres, les excluant du droit à des soins. La conséquence, c’est qu’ils renoncent à des soins ou n’achètent pas des médicaments. Parfois, ils viennent se faire soigner à l’hôpital parce que il n’y a pas d’argent à avancer et sont surpris par le montant de la facture reçue ensuite qu’ils n’arrivent pas à régler...


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