Die Linke, un « anticapitalisme démocratique » (enquête du journal suisse Le Temps)

mardi 19 juillet 2016.
 

ALLEMAGNE. La gauche radicale gagne du terrain dans les Länder de l’ouest. Rencontre avec le chef du groupe parlementaire en Hesse.

Willi van Ooyen attend de commencer une réunion de son parti à Frankfurt. A terme, pense le chef du groupe parlementaire, le SPD sera amené naturellement à composer avec Die Linke.

« Pourquoi ne pourrais-je pas être marxiste ? C’est l’organisation socialiste de l’Etat qui a échoué de l’autre côté du Mur, pas l’analyse marxiste de l’économie et de la société. » A 61 ans, Willi van Ooyen, jovial et d’un naturel sympathique, ne renie rien de ce qui fut sa trajectoire politique, celle d’un militant pacifiste, proche des communistes, souvent minoritaire, toujours dans l’opposition. Il est aujourd’hui le chef du groupe parlementaire du nouveau parti de la gauche radicale, Die Linke, au Landtag de la région de Hesse, à Wiesbaden. Un parti dont les succès lors des élections régionales allemandes de ce début d’année désorientent les sociaux-démocrates et bousculent le paysage politique.

Quatrième force du pays

Dans l’opulente et bourgeoise ville d’eau, qui inspira Wagner pour ses Maîtres Chanteurs et Dostoïevski pour son Joueur, l’arrivée de Die Linke, et de ses six députés, est un peu une révolution. Le parti, né de la fusion des ex-communistes de l’est et des dissidents du SPD, est maintenant le quatrième du pays.

La trajectoire de Willi van Ooyen est « assez classique » pour un compagnon de route du communisme et un ancien soixante-huitard, admet-il lui-même. Diplôme d’installateur électricien en poche, ce fils d’une famille de cheminots a bûché pour obtenir sa maturité et décrocher un diplôme en pédagogie à l’Université de Francfort. Mais dès la fin des années1970, à l’occasion des grandes manifestations contre l’installation en Allemagne des fusées Pershing, c’est dans le mouvement pacifiste qu’il s’enrôle. Opposant à la guerre au Vietnam, organisateur de la première grève pour le service civil des objecteurs, organisateur des marches pacifistes de Pâques. Plus récemment, il a organisé le mouvement anti-globalisation lors du sommet du G8 à Heiligendamm.

Au fil du temps, il est devenu un activiste professionnel. Animateur puis dernier administrateur de l’Union allemande pour la paix, la Deutsche Friedensunion (DFU), que le régime communiste de RDA qualifia de « seul parti démocratique à l’Ouest ». On y retrouvait les anciens militants du Parti communiste ouest-allemand interdit en 1956 et des militants socialistes. On apprendra que la DFU fut financée pour plus de 3millions de marks par « la république de Pankow ».

Même si Willi van Ooyen se défend d’avoir jamais pris la carte d’un parti, ces fréquentations sont exemplaires de ce que les sociaux-démocrates continuent à reprocher à la gauche radicale. En parfait dialecticien, Willi van Ooyen, qui se définit comme un anti-capitaliste démocratique, se garde bien de donner prise aux accusations de ses adversaires. Certains de ses camarades de parti sont moins prudents. L’un avait comparé l’engagement des soldats allemands en Afghanistan avec l’ordre de tirer sur les fugitifs d’Allemagne de l’Est, une autre a regretté la disparition de la sinistre police politique, la Stasi.

Réformateur du SED, l’ex-parti communiste de RDA, Gregor Gysi, président du groupe parlementaire fédéral, admet que l’intégration des deux mentalités, de l’est et de l’ouest, est plus difficile que prévu. A l’est, des membres habitués à la discipline du parti, fuyant toutes les provocations, soucieux de participer aux responsabilités parce qu’ils se sentent membres d’un parti majoritaire. De l’autre, à l’ouest, des militants protestataires, hostiles aux sociaux-démocrates, indifférents aux alliances stratégiques. Au milieu, le président de Die Linke, un ancien notable de l’ouest, Oskar Lafontaine, l’ancien président « défroqué » du SPD, qui ne comprend pas bien le besoin de respectabilité des « Ossis », ceux de l’est.

« Il y a bien sûr une diversité d’opinion chez nous, des dissidents du SPD, des anti-globalisation, des pacifistes. Nous sommes loin d’être homogènes, c’est ce qui me plaît. Que les autres partis ne nous considèrent pas comme aptes à gouverner ou à être associés aux affaires ne me vexe pas, dit Willi van Ooyen. L’essentiel c’est que sur des points concrets, la suppression des taxes d’études, le salaire minimum, la protection sociale, nous puissions travailler ensemble. » A terme, pense-t-il, le SPD sera amené naturellement à composer avec Die Linke. « Nous sommes incontournables, car nous incarnons auprès des gens la lutte contre les injustices sociales. Le sentiment d’insécurité économique croissant est aussi la raison de notre succès. Mais nous ne sommes pas un parti protestataire, car nous proposons des solutions, à travers la réforme de la fiscalité pour les riches. » Partisan de la reprise par l’Etat des grandes compagnies d’énergie, des chemins de fer ou de la Poste, il croit à « une recomposition de la société en profondeur. Mais démocratique ». On évitera le mot révolution.

Yves Petignat, Wiesbaden Mercredi 12 mars 2008


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