Le départ de Fidel

dimanche 9 mars 2008.
 

Raul Castro remplace son frère, Fidel, à la tête de l’État cubain, qui tourne ainsi une page de son histoire. Fidel est toujours là, premier secrétaire du Parti communiste cubain, mais de nouveaux équilibres politiques et socio-économiques peuvent changer la société cubaine. C’est l’occasion de revenir sur l’une des principales révolutions du xxe siècle.

Inspiré de la geste anticolonialiste et anti-impérialiste de José Marti, mort au combat en 1895 contre les Espagnols, Fidel Castro, jeune avocat, a mené, avec une poignée d’hommes, le renversement de la dictature de Batista, en 1959. Il l’a fait avec une équipe de jeunes révolutionnaires qui, inspirés au début par la lutte de libération nationale, se sont progressivement revendiqués des conceptions marxistes et léninistes, en rupture avec les thèses staliniennes.

Appuyés par une formidable mobilisation populaire, les rebelles ont résolu le problème de l’analphabétisme, obtenu des résultats impressionnants en matière d’éducation et de santé - aujourd’hui, l’un des systèmes les plus performants de la planète. Ils ont exproprié les grands propriétaires fonciers - cubains et nord-américains -, et ils ont distribué des milliers d’hectares de terre aux paysans. Ils ont nationalisé les banques et les trusts commerciaux, défendu le droit au logement par une politique de diminution des loyers et d’accession à la propriété. Leur action a permis d’ouvrir un débat fondamental sur la transition au socialisme, notamment dans les pays sous-développés et en Amérique latine, où les révolutionnaires cubains prouvaient que la satisfaction des revendications sociales et démocratiques passait par la rupture avec l’impérialisme.

Enfin, Fidel Castro et Che Guevara feront de l’internationalisme une priorité de leur combat politique. Cela les a conduits à la constitution de l’Organisation latino-américaine de solidarité, puis de la Tricontinentale, dans le but de rompre l’isolement de la Révolution cubaine, en soutenant les mouvements révolutionnaires, en particulier en Amérique latine. Comment ne pas se souvenir de ce cri du Che, « Créons un, deux, trois, plusieurs Viêt-nam », qui, face à la solitude tragique du peuple vietnamien dans les années 1960, levait haut et fort le drapeau de la solidarité internationale ? Cette politique s’est opposée plus d’une fois à celle de la bureaucratie soviétique, qui subordonnait les luttes des peuples à la défense de ses propres intérêts. Il ne faut jamais oublier que des centaines de milliers de Cubains sont allés se battre en Afrique, contre les forces armées par le régime d’apartheid d’Afrique du Sud et les États-Unis.

Solidarité

Pour la jeunesse du monde entier, la Révolution cubaine a été un bol d’air extraordinaire, qui démontrait que, malgré la domination des deux superpuissances (États-Unis et URSS), la révolution était possible. Le tout, à 150 kilomètres des côtes de la principale puissance impérialiste qui, depuis des décennies, essaye d’affamer Cuba par un terrible blocus économique (en la privant d’une série de produits de première nécessité), d’exercer une pression constante à partir de Miami - base anticastriste en Floride - et même de terroriser la population au moyen de mercenaires contre-révolutionnaires financés par la CIA. Voilà ce qui a toujours conduit la IVe Internationale à manifester sa solidarité avec la Révolution cubaine : cet immense défi lancé, depuis 50 ans, à la puissance américaine.

Mais elle a aussi exprimé des divergences avec le Parti communiste cubain. Le pluralisme révolutionnaire des premières années a disparu, au profit d’une structuration très centralisée de la politique, issue de la guérilla et de type militaire. La IVe Internationale a alors défendu l’idée qu’il fallait transmettre une partie du pouvoir à des structures d’auto-organisation, paysanne et ouvrière.

Après l’échec de la politique de diversification et de projection internationale, Fidel Castro a scellé une alliance avec l’URSS, en défendant l’invasion de la Tchécoslovaquie, en août 1968. La IVe Internationale n’était pas d’accord. L’URSS a soutenu Cuba sur le plan économique et financier. Mais, en échange, Cuba a accepté l’influence idéologique stalinienne, ce qui a désarmé politiquement une grande partie de la population. L’intégration au bloc de l’Est a eu des répercussions en matière de démocratie politique, de droit d’expression, de droit d’organisation, de liberté de la presse. Il n’y a pas eu de place pour le pluralisme politique organisé au sein même du mouvement révolutionnaire. Du coup, il y a eu une dérive répressive et autoritaire. Et les amis de la Révolution cubaine ont ressenti un vrai choc lorsqu’ils ont appris les exécutions, après le procès d’Ochoa, en 1990, ou après celui des auteurs du détournement du bateau, en 2003.

Malgré tous ces problèmes, Cuba n’a jamais été un « satellite soviétique », comme les autres pays de l’Est. L’URSS et les pays du bloc de l’Est se sont effondrés, pas Cuba. Et si Cuba ne s’est pas effondré, c’est qu’il y a aujourd’hui encore une réelle dynamique anti-impérialiste, le rejet de l’ennemi étatsunien, et une profonde fierté nationale liée à la défense de certains acquis de la Révolution cubaine.

Divergences

Aujourd’hui, Cuba est à la croisée des chemins. L’évolution de la situation internationale sera décisive. Il sera très difficile, pour Cuba, de maintenir un système socialiste, seul dans le détroit de Floride. L’aide de Chavez - en particulier pour l’approvisionnement en pétrole - est déjà très importante. Améliorer la vie quotidienne des classes populaires et surmonter les inégalités sociales constitue une priorité. La question démocratique est aussi importante. Mais ce n’est pas à Bush, Sarkozy et l’Union européenne d’exiger des « élections libres », alors qu’ils continuent d’asphyxier Cuba, avec le blocus, et à l’agresser, avec les bandes de Miami. Tant que se maintiendront le blocus et l’agression impérialistes, Cuba ne pourra organiser des élections « libres ». C’est aux Cubains de décider des formes d’organisation démocratique dans le parti, des associations et de la société dont ils ont besoin. Fidel Castro envisageait lui-même que la « révolution soit détruite de l’intérieur ». Nombre de forces agissent en ce sens. Un autre danger réside dans la passivité et la dépolitisation de la jeunesse. Pour relancer la mobilisation populaire, des avancées démocratiques et des espaces de participation politique, en particulier pour les jeunes, sont indispensables.

Le retrait de Fidel Castro exige de mener un large débat à Cuba, afin de trouver les voies du maintien et du développement des acquis de la révolution. Face aux partisans d’un retour du capitalisme à Cuba, dans sa version « sociale-libérale », dans sa version « chinoise », ou tout simplement sous la forme d’un renversement de la direction cubaine, nous prônons, aux côtés des Cubains qui la défendent, l’idée d’une démocratie socialiste. Socialiste, parce que seule l’appropriation sociale des moyens de production permet de garantir les conquêtes sociales. Démocratique, car nous croyons en la nécessité de confronter librement les stratégies, de trancher un certain nombre d’options, et de les mettre en œuvre sous le contrôle collectif de la population. Voilà le sens de notre solidarité internationaliste.

Édouard Diago et François Sabado


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