Audiovisuel public : chronique d’une paupérisation annoncée

samedi 23 février 2008.
 

C’était lors de ses voeux. Au détour d’une phrase, le président de la République annonçait la fin de la publicité dans l’audiovisuel public. Moins de deux mois plus tard, France Télévisions perd déjà 20% de ses recettes publicitaires et des rumeurs persistantes prévoient le démantèlement de France 3, au profit d’un partenariat privé avec la presse quotidienne régionale.

« Je souhaite (...) que l’on réfléchisse à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques ». Cette annonce a fait le tour de toutes les rédactions en un temps record, mais une chose est sûre : elle n’a pas été accueillie partout de la même manière. Le 8 janvier dernier, Nicolas Sarkozy a réussi son effet de style : l’annonce de la fin de la publicité était, dit-on, une surprise non seulement pour les médias, mais aussi pour le gouvernement. Et pour cause, le matin même, Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, affirmait sur France Inter que les ondes de Radio France seraient bientôt ouvertes à la publicité. Mais alors, pourquoi provoquer un tel séisme dans le paysage audiovisuel français (PAF) et à qui va durablement profiter cette réforme ?

Situation à l’italienne

Est-il encore nécessaire de rappeler que Martin Bouygues et Arnaud Lagardère sont les « frères » d’adoption du président ? Laurent Solly, le directeur adjoint de la campagne du candidat Sarkozy, a été nommé à la direction générale de TF1. Les services de communication de l’Élysée et de Matignon ont recruté des journalistes reconnus (Catherine Pégard du Point, Myriam Lévy du Figaro) et ainsi de suite... « Le système est bien en place. C’est une situation à l’italienne. Berlusconi à la grande époque n’aurait pas fait mieux »,analyse Didier Mathus, député socialiste spécialiste des médias. Le climat allait donc dans le sens de cette annonce. Pour Nicolas Sarkozy, le service public prend encore trop de place : 35% du PAF et surtout une rédaction libre, dont il supporte mal les attaques. Souvenez-vous de ce journal sur France 3 où, à la suite d’un sujet, Sarkozy, alors candidat, avait affirmé avoir vu beaucoup de reportages malhonnêtes mais que celui-ci était le summum du genre ! Un bel exemple de son rapport malsain aux médias : de la communication oui, de l’information non. France Télévisions doit donc être affaibli. Au point même que le très discret Premier ministre, François Fillon, affirmait récemment sur RTL : « Je ne vois pas la différence entre la télé publique et la télé privée ». Une remarque que le groupe public a appréciée au point de faire parvenir à Matignon,selon le quotidien Le Monde, un DVD du téléfilm Guerre et paix, produit par France Télévisions !

Pour Stéphane Pellet, délégué national du PS aux médias, « à l’évidence, cette idée a été vendue à Nicolas Sarkozy pour déstabiliser la gauche ». Et pour cause,il y a plus de 25 ans, la gauche avait une approche encore trop « naïve » du financement à long terme du service public dans l’audiovisuel. Aujourd’hui, seule la LCR persiste et signe : c’est le seul parti qui propose encore « la fin de la pub ».

Trouver des ressources

Mais loin des querelles politiques se pose aujourd’hui la question du financement de l’audiovisuel public. Et les chiffres ne mentent pas : la redevance est une source de financement à hauteur de 1,9 million d’euros, et la publicité rapporte 800 millions d’euros chaque année. En sachant que la fin de la publicité supposerait une production de trois heures de programmes supplémentaires par jour,le coût s’élèverait à 400 millions d’euros supplémentaires par an. Le calcul est donc simple : à l’État de trouver 1,2 milliard d’euros. « On les trouvera », assurent les conseillers du président, faisant mine de ne pas avoir entendu Éric Woerth, ministre du Budget, préciser, le 29 janvier, que les caisses de l’Etat étaient « plus que vides »...

Annonce irresponsable

« Nous sommes même loin du compte, assure Stéphane Pellet. France Télévisions a pris beaucoup de retard dans son évolution vers le numérique. Le groupe a besoin de 300 millions d’euros pour faire face à la situation ». Alors d’un côté, les parlementaires se réunissent au sein d’une commission - montée à la hâte, le 19 février, et présidée par l’UMP, Jean François Copé - pour débattre de l’avenir de l’audiovisuel public, de l’autre, les conseillers du président annoncent de nouvelles sources de financement. Ce serait une taxation supplémentaire des achats électroniques.

Pourtant, le Parlement européen, dans le cadre de la directive « Télévision sans frontières », rebaptisée « directive aux services des médias audiovisuels », a adopté récemment un article visant expressément à ce que les ressources prélevées sur de nouveaux supports s’ajoutent aux ressources existantes.

Pas de substitution, donc. Pour le député européen, Henri Weber, la transposition de cette directive risque de poser quelques soucis aux pouvoirs publics français : « Nous sommes dans une stratégie de paupérisation de l’audiovisuel public, et en attendant, les chaînes suspendent leurs productions. Cette annonce est tout simplement irresponsable ».

La commission parlementaire doit rendre la conclusion de ses travaux en mai prochain. D’ici là, le gouvernement aura peutêtre retourné sa veste. C’est le seul et maigre espoir des salariés, mais aussi des téléspectateurs et des auditeurs qui refusent d’être du « temps de cerveau humain disponible ».

Ariane Vincent


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