Pour une autre Europe (document de travail de la fondation Copernic)

samedi 24 juin 2006.
 

En mai 2005, en rejetant la constitutionnalisation des politiques libérales, nous avons dit Non à une Europe qui n’est ni sociale ni démocratique. Notre refus s’est appuyé sur la conviction qu’une autre Europe est nécessaire et possible. Dans la campagne unitaire, des propositions communes avaient déjà émergé. Cette bataille se prolonge aujourd’hui contre la directive Bolkestein, nouvelle illustration de la conception libérale de l’Union européenne qui vise à mettre les peuples en concurrence dans le cadre de la mondialisation capitaliste. Nous formulons ici des propositions et des orientations qui constituent le cadre possible d’une autre Europe.

Elles peuvent être autant d’axes de lutte dans l’Europe telle qu’elle est. Les mouvements sociaux, les forces anti-libérales ou anti-capitalistes européennes doivent continuer de lutter pour bloquer les offensives libérales et défendre une série d’exigences, de droits immédiats, face aux gouvernements et à l’Union européenne actuels. Ces propositions et orientations ébauchent aussi une cohérence radicalement différente de celle suivie jusqu’à présent. Elles sont à nos yeux la seule chance pour que l’Europe devienne franchement l’affaire de tous les Européens.

Leur mise en œuvre nécessite de construire une puissante mobilisation car elles visent à s’émanciper du capitalisme libéral et elles se heurtent aux intérêts des classes dominantes en Europe. Une telle contestation combinera ruptures nationales partielles avec les règles imposées par l’Union et mobilisations européennes et internationales.

I - L’EUROPE DOIT REPONDRE A L’URGENCE SOCIALE

Nous voulons substituer la satisfaction des besoins sociaux à la logique du profit. Cela commence par la lutte contre le chômage et l’insécurité sociale. Une action concertée à l’échelle européenne permet de s’attaquer à ces fléaux plus efficacement qu’au seul niveau national. Elle suppose de s’appuyer à la fois sur les revendications avancées dans les luttes, sur l’effectivité des droits, sur des politiques publiques ambitieuses de Etats et de L’Union.

A. Une Union fondée sur des droits effectifs

Une Europe des droits ignorés ou même des droits minimaux n’a pas d’avenir. Des réseaux européens ont entrepris la rédaction des droits qui doivent être reconnus. Il ne suffit pas de les proclamer, ils doivent être effectifs.

1. L’Union doit intégrer tous les acquis sociaux des conventions internationales existant en matière sociale.

2. L’effectivité du droit au travail est primordiale. Nous défendrons l’extension européenne des mesures prise au niveau national (cf doc n°1) telles que l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits, la création d’un statut du salariat maintenant les travailleurs dans leurs droits, la création massive d’emplois publics, la réduction du temps de travail sans perte de salaire ni flexibilité. Mais ce que nous n’avons pas encore gagné au plan national sera encore plus difficile à obtenir au plan européen. nous devons donc disposer de propositions intermédiaires.

3. Le refus de l’insécurité sociale doit guider l’action publique européenne. Cela suppose de sanctionner le harcèlement, une vraie formation et de vrais emplois pour les jeunes, le maintien effectif du contrat de travail en cas de rachat de l’entreprise. Il faut une directive de protection contre les licenciements collectifs prévoyant le droit de veto suspensif des représentants des salariés et l’obligation de négocier leurs propositions. La norme salariale doit être le contrat à durée indéterminée.

4. L’obligation de contenir les salaires, les retraites et les minima sociaux au nom de la stabilité des prix doit être supprimée. L’Union doit imposer aux Etats de fixer des salaires et des revenus minima. Au delà du principe, elle peut décider qu’ils ne doivent pas être inférieurs à une pourcentage donné du PIB par tête national.

5. L’Union doit poser le principe que chaque Etat doit disposer de systèmes de sécurité sociale et de retraites fondés sur la solidarité et non sur les systèmes d’individualisation proposés par les marché (fonds de pension, assurances, etc.). La définition précise de ces systèmes est de la compétence des Etats.

6. Contre le dumping social, la réduction concertée du temps de travail complèterait l’institution d’un salaire minimum dans tous les Etats membres. La directive Bolkestein et toute disposition allant dans le même sens doit être écartée.

7. L’Union doit faire obligation à tous les Etats de se doter d’une inspection du travail et en fixer les compétences minimales. Si les modalités d’intervention des salariés et de leurs représentants dans les entreprises relèvent de la compétence des Etats, ces droits doivent être retenus comme droits effectifs et leur contenu précisé au niveau européen.

8. L’égalité entre les femmes et les hommes doit être déclinée en mesures précises concernant : le droit réel à l’emploi ; l’égalité des salaires et des carrières ; le droit à l’avortement, à la contraception et à l’orientation sexuelle de son choix ; le droit au divorce ; la lutte contre les violences ; la lutte contre la traite des être humains.

9. Toute forme de racisme, de néo-fascisme et de xénophobie, la discrimination sexiste et l’homophobie doivent être sanctionnés.

10. Les droits des migrantes et des migrants non communautaires seront assurés : respect du droit d’asile et son extension à toutes le formes de persécution, citoyenneté entière pour tous les résidents, égalité des droits au travail, au logement et aux soins, régularisation des sans-papiers. Au delà, les questions de l’ouverture des frontières, de la liberté de circulation ne font pas accord.

11. Les droits d’intervention des salariés seront confortés et étendus.

B. Les instruments d’une politique économique volontaire

Une politique européenne combinant nouveau type de développement et réduction du temps de travail, redistribution des richesses et développement des services publics, élévation des niveaux de qualification et des rémunérations est aujourd’hui la seule perspective réaliste. Elle devra disposer des moyens de ses ambitions.

1. La puissance publique doit pouvoir se doter des ressources nécessaires à ses missions. Cela suppose l’abandon du pacte de stabilité et des autres dispositions européennes qui limitent la capacité d’action des pouvoirs publics.

2. La Banque Centrale Européenne (BCE) sera soumise au contrôle des institutions politiques de l’Union. Celles-ci doivent définir une politique européenne de change pour faire face à la baisse continue du dollar qui contribue de manière significative au chômage européen. Le statut et les missions de la BCE seront révisés. Les Etats pourront contracter auprès d’elle des emprunts pour réaliser les objectifs décidés en commun.

3. Le budget européen aura pour mission de réduire la fracture économique et sociale de l’Union afin que l’élargissement ne soit pas l’instrument de l’aggravation d’une logique de zone de libre échange ravagée par le dumping social, fiscal, environnemental, etc. Ce budget devra être augmenté à l’aide d’impôts ou de taxes dont l’efficacité suppose une mise en œuvre européenne (comme la taxe Tobin) et d’emprunts européens.

4. La fiscalité doit être réorientée, en articulant les efforts nationaux et européens : fixation d’un taux minimum et harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, taxation des revenus des capitaux et des transactions courantes, taxes sur l’énergie et l’émission de CO2.

5. Les choix sociaux d’une nouvelle construction européenne nécessitent la mis en place d’un contrôle des mouvements de capitaux.

6. L’action publique sera renforcée par la mise en place d’un pôle bancaire public européen.

II - L’EUROPE DOIT DEFENDRE ET ETENDRE LES SERVICES PUBLICS

L’ouverture à la concurrence, conduite au niveau européen, est l’un des modes majeurs d’attaque contre les services publics. Elle se combine avec les privatisations décidées nationalement. Avec les services publics, nous tenons une alternative concrète, expérimentée. Deux conceptions de la société s’affrontent. A la logique du profit nous opposons celle des besoins. A la marchandisation du monde nous opposons les biens communs. A la concurrence généralisée nous opposons la solidarité. A la privatisation des secteurs clé de l’économie nous opposons leur appropriation sociale. Au creusement des inégalités nous opposons l’égalité. Au niveau européen, il est temps de prendre certaines décisions immédiates qui préparent des mesures plus ambitieuses.

1.Stopper le processus de libéralisation.

Partout la fable libérale a été démentie : chemins de fer, électricité, eau, transports, télécommunications. Ni l’amélioration du service, ni la baisse des prix, ni les économies budgétaires ne sont au rendez-vous. Ce bilan universel n’empêche pas la Commission, les gouvernements, des forces de gauche même, de trouver des vertus à cette politique.

Nous proposons la mise en pace d’un observatoire européen, appuyé sur des observatoires nationaux et locaux, pour tirer un bilan complet des libéralisations et des privatisations. Il ne saurait être sous la coupe de la Commission. Les résultats de ses travaux seront soumis au débat des parlements nationaux et européen. Dans l’immédiat, l’Union ne pourra décider aucune nouvelle ouverture à la concurrence.

2. Mettre fin à la concurrence déloyale contre les services publics

La “ loyauté ” de la concurrence, dont l’institution communautaire est si soucieuse, joue à sens unique. L’exemple des transports terrestres est éclairant. Le transport routier, premier concurrent du chemins de fer, profite d’avantages qui sont d’authentiques distorsions de concurrence : réglementation sociale médiocre, règles de sécurité inférieures et largement inappliquées en raison du très grand nombre des entreprises et de l’insuffisance des contrôles. Ces choix doivent être abandonnés : la collectivité doit considérer que l’intérêt général l’emporte sur toute considération particulière et ne saurait donc être soumis à la tutelle des marchés concurrentiels.

3. Modifier la place des services publics dans le droit fondamental de l’Union

La première mesure consiste à affranchir les services publics des règles européennes de la concurrence. Il faut remettre en cause le statut dérogatoire que le droit européen aujourd’hui en vigueur réserve aux services publics : la concurrence est la loi fondamentale ; le monopole de service public n’est toléré que par exception, sous conditions et dans une acception restrictive. La suppression de son statut dérogatoire et l’inapplicabilité des règles de la concurrence se traduiraient concrètement par les règles suivantes : les aides publiques aux entreprises de service public sont autorisées ; les ententes entre entreprises de services publics sont licites lorsqu’elles visent à améliorer le service ou à le rendre à moindre coût. Une orientation plus volontaire consistera à encourager les financements publics nationaux et locaux et la coopération entre les entreprises de service public.

4. Respecter le principe de subsidiarité

L’Europe ne doit prendre en charge que ce les Etats ne peuvent faire. Chaque Etat disposera du droit de décider les activités auxquelles il entend conférer le statut de service public et de les organiser comme il l’entend. Il en informe les institutions européennes.

5. Construire des services publics européens

Il est des secteurs dans lesquels une organisation européenne des services publics est nécessaire. C’est clair dans les domaines des transports, de la poste, des télécommunications. Dans certains cas, l’intervention européenne consistera à impulser la coopération des services publics nationaux. Dans d’autres, parce qu’il s’agit d’un nouveau service et que les acteurs nationaux n’existent pas, elle prendra d’emblée la forme d’une organisation européenne. On aura alors besoin de rendre possible et de définir la propriété publique européenne. Dans les deux cas, nous proposons en effet que les services publics européens soient dans le secteur public et en situation de monopole.

6. Exclure les services publics des négociations commerciales internationales, telles que l’AGCS

7. Tout cela suppose de remettre en cause immédiatement toutes les stipulations du droit européen qui contredisent la logique de service public au nom de la “ la concurrence libre et non faussée ” : le refus du monopole ou des droits spéciaux destinés à le protéger ; le commerce libre dans les relations avec le reste du monde ; la suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers et à la réduction des barrières douanières et autres ; l’interdiction d’entraver la libre circulation des capitaux ; la soumission des services publics aux règles de la concurrence ; la conception des transports, des télécommunications et de l’énergie comme des “ marchés ouverts ”, ce qui tend à rendre les libéralisations irréversibles.

II. L’EUROPE DOIT S’APPUYER SUR UN NOUVEAU MODELE DE DEVELOPPEMENT

L’Union souffre de la conjonction du libéralisme et d’un productivisme destructeur et prédateur. Au contraire des logiques dominantes actuelles, un “ alterdéveloppement ” ouvre une voie réaliste pour notre continent. Cela suppose une réorientation des politiques de l’Union, la mobilisation différente des ressources disponibles et une autre action de l’Europe dans les rapports Nord-Sud comme dans l’ensemble des institutions internationales.

A. Des nouvelles politiques en matière d’agriculture et d’environnement

Nous proposons une réorientation sérieuse de la politique de l’Union dans deux domaines : la politique agricole et l’environnement.

1. La politique agricole

La politique agricole devra tourner le dos aux choix productivistes et exportateurs et s’attaquer au pouvoir de l’agro-business. Ils sont source de pollution, d’érosion des sols, de disparition des petites exploitations, de gaspillage d’eau, de catastrophes sanitaires. Ils génèrent des produits peu diversifiés et potentiellement dangereux. Cela pourrait se faire de la manière suivante :
- l’interdiction des OGM et l’édiction de normes restreignant l’utilisation des pesticides et des engrais chimiques et la consommation d’eau
- une politique publique visant le développement et non la réduction de l’emploi agricole, le soutien à la petite paysannerie. Il faut revaloriser les revenus agricoles qui ne pénalisent en aucune manière le consommateur final (le prix de l’alimentation est aujourd’hui bien plus déterminé par le transport, la transformation, le marketing, les profits de la grande distribution que par la production agricole elle-même).
- la remise en cause de la vocation exportatrice de l’Union. Cela concerne tout particulièrement les produits de base qui ont besoin de substantielles aides publiques pour être concurrentiels sur le marché mondial (lait, blé, viande bovine).
- maîtriser les volumes de la production dans toute l’agriculture, ainsi que cela se fait pour les produits laitiers ou avec les AOC viticoles. Il faut contenir la logique de production intensive, source première de la surproduction relative.

Tout cela se conduit bien sûr en cohérence avec une transformation profonde des relations commerciales internationales, en se fondant sur le principe de la souveraineté alimentaire et non sur la libre concurrence mondiale. Cela ne peut se faire dans le cadre de l’OMC actuelle.

2. L’environnement

Une charte fixera les ambitions européennes d’un modèle de développement humain, économe et donc soutenable, au contraire des logiques spéculatives et productivistes. Elle agira en ce sens dans les négociations sur l’après Kyoto (2012).

Pour ce qui la concerne, elle agira pour le développement du transport ferroviaire et de la voie d’eau, la sécurité maritime, l’essor des énergies alternatives renouvelables, les économies renforcées d’énergie, la protection des milieux naturels et l’amélioration des cadres de vie. cela suppose de :

1. Réformer la politique des transports en renonçant à la concurrence qui pénalise le rail. Il faut investir massivement pour compléter et moderniser les infrastructures ferroviaires et de voie d’eau, assurer l’interopérabilité des réseaux et construire des plate-formes intermodales (permettant de passer d’un mode de transport à un autre).

2. Réformer la politique énergétique. L’Europe doit définir les moyens de son indépendance énergétique. Sa dépendance vis à vis du pétrole ne peut être réduite que par une réforme radicale et une politique commune. La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre nécessite d’agir pour l’efficacité énergétique, les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables. La limitation de la consommation des transports aériens et maritimes sera systématiquement recherchée, par exemple par la taxation du gasoil. Une autre mesure est de revenir sur la libéralisation du transport aérien, source de gaspillage énergétique et de pollution sonore. Les modalités de sa complémentarité avec les autres modes de transport, notamment le ferroviaire, seront mises en discussion. Il sera proposé de ne développer le transport aérien, sauf circonstances particulières, qu’au delà d’une distance donnée (500 km par exemple). L’Union visera à développer la recherche sur les énergies nouvelles et créera un fonds de soutien aux programmes d’isolation des logements. Reste la question du nucléaire qui est un sujet de divergence important parmi les tenants de la transformation sociale. Nous lui consacrerons un document spécifique.

3. Utiliser l’outil fiscal. L’harmonisation fiscale nécessaire devra être orientée par ces enjeux de développement soutenable, par exemple en taxant l’utilisation des ressources non renouvelables.

4. Réguler le commerce des services d’environnement. Dans le cadre de l’Accord général sur le commerce et les services (AGCS), l’Union concentre ses demandes d’ouverture des marchés des autres régions du monde sur les secteurs convoités par ses multinationales (eau, assainissement, déchets). L’Europe doit au contraire y défendre la logique de bien public mondial. L’eau pourrait être un champ d’exercice immédiat.

B. D’autres rapports avec le Sud, une autre action sur la scène internationale

1. L’Europe annulera les dettes contractées par les pays du Sud à son égard. Elle portera son aide au développement au moins à 0,7 % du PIB. Elles cherchera à redéfinir le rôle des entreprises européennes installées dans le Sud et d’autres modalités de coopération, hors de tout impérialisme économique, technologique ou culturel. Elle pèsera en faveur du Sud dans toutes les négociations et notamment celles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

2. Les secteurs de l’éducation, de la santé, ou de la culture ne devant pas être soumis aux règles de la marchandisation, ils doivent être retirés sur le champ des négociations de l’AGCS.

3. L’Union pèsera partout en faveur du désarmement et de la paix. Elle agira notamment pour que s’exerce la plaine souveraineté du peuple irakien et pour une paix israélo-palestinienne juste. Elle s’opposera à la politique agressive des Etats-Unis. La défense européenne ne saurait être sous tutelle de l’OTAN. En outre, nous proposerons le retrait de l’OTAN à l’ensemble des Etats de l’Union et le retrait des troupes d’intervention néo-coloniale des puissances européennes, dans la foulée du retrait des troupes françaises d’Afrique.

4. L’Europe proposera la refonte du système des Nations Unies, la réduction du rôle des membres permanents du Conseil de Sécurité, la transformation des missions et statuts de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de l’OMC.

5. Dans l’ensemble, une Europe du développement humain soutenable ne saurait se penser comme une puissance opposée à d’autres puissances dans la course à la domination mondiale. Au contraire, une Europe solidaire et active peut contrer les ambitions impériales des USA et contribuer à réduire les rapports inégalitaires qui déforment le monde contemporain. Cela implique qu’elle ne se place pas sous la tutelle de ses grandes firmes multinationales.

Ainsi, elle devrait :
- s’opposer à la dérèglementation générale qui a exacerbé la mobilité des capitaux, pratiquer et promouvoir la mise en place de taxes sur les transactions financières et le rétablissement d’un contrôle des changes ;
- contrôler les investissements directs, ceux des entreprises extra-européennes installées en Europe et ceux des entreprises européennes établies à l’extérieur de l’Union.

De même, il serait absurde que l’Europe applique de façon stricte les règles du “ libre ” commerce, en ignorant le poids du Buy American Act ou de l’Etat japonais pour soutenir les entreprises de leurs pays respectifs. Il n’y a pas de “ préférence communautaire ” en Europe alors que les USA ou le Japon n’hésitent pas à se protéger malgré leurs discours vitupérant les “ protectionnismes ”. Des mesures protectionnistes peuvent être envisagées pour défendre les mesures progressistes que l’Europe aurait décidées.

IV. QUEL PROCESSUS POUR CHANGER LA CONSTRUCTION EUROPENNE ?

Le cadre actuel de la construction européenne ne permet pas la satisfaction durable des besoins sociaux et de l’exigence démocratique. Si l’on veut réorienter l’Union il est nécessaire de mener de pair les ruptures économico-sociale et institutionnelle. Les traités existants devront être annulés et remplacés par un ou des nouveaux textes fondateurs, permettant le libre déploiement d’autres orientations que celles imposées par la logique libérale dominante.

A. Un processus constituant

L’Europe actuelle est consubstantiellement libérale et anti-démocratique. Il faut en revoir toute l’architecture. Cela ne peut se faire dans le cadre des traités existants qu’il faut annuler et remplacer. Comment ? Cela ne peut se faire des arrangements de sommet. Ni la logique intergouvernementale classique, ni la procédure étriquée de la convention “ Giscard ” ne sont à la hauteur de l’exigence démocratique qui implique un processus de type constituant.

Il faut que les citoyens, les salariés, interviennent directement sur la scène sociale et politique et définissent leur Europe. Concrètement, cela veut dire qu’un vaste débat doit s’engager par exemple dans le cadre d’Etats généraux. A l’issue de ce débat, il sera procédé à l’élection, au suffrage universel de délégués à une nouvelle Assemblée qui discutera et proposera un nouveau socle pour une nouvelle Europe. Ce projet sera soumis à ratification populaire par voie de referendum.

B. Un nouveau socle pour une refondation

Quelle forme doit-il prendre ? Faut-il une Constitution au sens strict ou en rester à des traités internationaux ? Quelle que soit la réponse apportée, on peut convenir du contenu nécessaire. Il doit énoncer les valeurs communes, les principes d’action et les droits fondamentaux, la répartition des compétences entre l’Union et les Etats et fixer un système institutionnel démocratique. Il n’a pas à définir les politiques concrètes qui relèveront ultérieurement du débat et du fonctionnement des institutions.

1. Une nouvelle charte des droits fondamentaux

Cette fois-ci démocratiquement élaborée, elle énoncera les droits civils, politiques, économiques et sociaux, individuels ou collectifs, d’application impérative sur tout le territoire de l’Union. Elle se fondera sur les principes suivants :
- Le principe de non-régression sociale : aucune décision européenne ne peut remettre en cause les droits sociaux reconnus par une législation nationale.
- La convergence par le haut des normes permettant un renforcement de protections juridiques accordées aux travailleurs au lieu de l’alignement sur le plus petit dénominateur commun des législations nationales.
- L’égalité, la coopération, la solidarité, la définition démocratique des besoins et droits sociaux sont les valeurs supérieurs de l’Union qui remplacent la concurrence, le libre-échange et donc, en fait, le profit capitaliste.

2. Subsidiarité et souveraineté populaire

Pour combiner la double réalité de l’Union et des Etats il convient de s’appuyer sur un double principe :
- La subsidiarité implique que l’Union ne doit faire que ce que les Etats ne peuvent faire eux-mêmes. L’Union ne se substitue pas aux Etats, mais joue d’abord un rôle de coordination, d’impulsion et d’harmonisation pour éviter le jeu désastreux de la concurrence, de l’inégalité et de l’impuissance.
- La souveraineté populaire suppose qu’en toute circonstance les citoyens interviennent sur les grands choix politiques, économiques et sociaux en élisant leurs et contrôlant leurs représentants ou, de plus en plus, par leur participation directe aux procédures d’évaluation, de délibération et de choix.

3. Sur ces bases, des points d’accord importants sont dores et déjà acquis :

- Il faut rompre avec la logique qui dessaisit les citoyens et les peuples des décisions qui les engagent.
- L’exercice de la citoyenneté européenne sera élargi. Une citoyenneté de résidence permettra à tous les résidents de l’Union , quelle que soit leur origine et selon des conditions identiques dans tous les Etats, de bénéficier des mêmes droits civiques que les ressortissants de l’Union.
- Les pouvoirs du Parlement européen seront renforcés. Les dispositions qui limitent ce pouvoir seront abrogées en matière d’initiative des lois et de budget. Il doit contrôler l’exécutif et la Banque centrale européenne ? Sa coopération avec les Parlements nationaux sera développée.
- Dès l’instant où elle sera fondée sur une pleine souveraineté populaire, la règle européenne aura la légitimité pour être la norme commune de l’Union. En attendant, en cas de désaccord persistant d’un Etat, seul un referendum dans le pays concerné peut décider de la non-application d’un acte européen.
- L’accès à l’information et l’exercice du pluralisme seront renforcés. La constitution de citoyens en association, leurs possibilités d’expression seront matériellement encouragés. Tout projet de loi européenne signé par un million de personnes est discuté par le Parlement. S’il ne retient pas le projet, un nombre supérieur (à fixer) peut demander la tenue d’un referendum européen.
- Le rôle des parlements nationaux sera renforcé sur l’application du principe de subsidiarité, la discussion des politiques européennes ainsi que le mandat confié aux représentants de chaque pays.

4. Des points de désaccord persistants

Au-delà de ces mesures communes, le débat doit être poursuivi sur les questions institutionnelles. Sans doute convient-il d’écarter les confrontations inutiles ou dangereuses. Par exemple, les différences de conception générales recouvertes par des notions comme “ fédéralisme ” ou “ confédéralisme ” peuvent être dépassées en pratique, dès l’instant où l’on s’accorde sur quelques règles fondamentales comme celle de la subsidiarité. En outre, toutes les forces du Non de gauche antilibéral considèrent que la rupture est nécessaire avec le fonctionnement des institutions actuelles de l’Union. Mais il reste des désaccords que seuls un débat prolongé et une délibération démocratique permettront de dépasser ou de trancher. Par exemple, si tout le monde convient à peu près des limites de l’intergouvernementalité (négociation entre les gouvernements pour prendre les décisions européennes majeures), tous n’en tirent pas les mêmes conséquences.

Certains considèrent qu’il faut rompre avec la logique actuelle des institutions et démocratiser en profondeur leur fonctionnement mais que l’existence durable du double registre de l’Union et des Etats oblige à articuler, en plus du principe de subsidiarité, encore la triple institution du parlement, du Conseil et de la Commission. D’autres considèrent que la rupture démocratique est impossible si l’on ne sort pas complètement du cadre institutionnel actuel. Ils proposent que le principe de subsidiarité préserve l’action propre des Etats et que l’action européenne soit le fait d’un parlement bicaméral (une chambre représentant l’ensemble des citoyens européens, l’autre représentant les Etats) et d’un gouvernement européen responsable devant lui.

CONCLUSION : UNE BATAILLE POLITIQUE EUROPENNE

La logique libérale actuelle ne construit pas l’Europe. En mettant les peuples en concurrence, elle suscite au contraire les rejets et les tentations de repli nationaliste. L’orientation que nous proposons vise à construire vraiment l’Europe en faisant en sorte qu’elle soit l’affaire des Européens, qu’ils puissent définir ses finalités et agir sur les mécanismes de sa construction.

Sa mise en œuvre se heurtera inévitablement à la volonté des forces dominantes de poursuivre leur politique au service des multinationales et des marchés financiers. Les propositions sociales et démocratiques présentées précédemment ne peuvent sortir de simples négociations diplomatiques. Elles doivent constituer, nous l’avons dit, des axes et des objectifs de mobilisation. Elles n’ont pas été et ne seront pas prises en charge par les gouvernements libéraux. Elles ne le seront pas non plus par les gouvernements sociaux-libéraux : l’expérience des gouvernements Prodi, d’Alema, Jospin, Blair, Schroeder, Zapatero le montrent. Seule l’intervention des citoyens, des mouvements sociaux, du mouvement altermondialiste, de la gauche anti-libérale et anti-capitaliste créeront les conditions d’une nouvelle perspective politique répondant aux besoins du plus grand nombre.

Sur la base de ces propositions répondant aux intérêts des peuples nous devons viser à construire un mouvement populaire européen susceptible de bousculer les résistances prévisibles et d’imposer une autre perspective. Les luttes politiques, syndicales, associatives à l’échelle européenne, le processus du Forum social européen sont des leviers de cette dynamique. C’est aussi à cet objectif de rupture avec la construction libérale que répond le processus constituant que nous proposons. Dans cette dynamique la gauche anti-libérale et anti-capitaliste proposera son programme d’urgence démocratique et sociale, la nécessité de l’appropriation sociale des secteurs clés de l’économie et d’une redistribution radicale des richesses et, plus largement, la nécessité d’une profonde réorganisation économique et sociale mettant au centre les besoins et les droits sociaux.

Juin 2006


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