Le fascisme en tant que mouvement de masse (Arthur Rosenberg)

samedi 8 mars 2014.
 

Le 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier par Hindenburg. La terreur débute en février. À la fin de mars, Rosenberg, longtemps député communiste, s’enfuit à Zurich avec sa famille ; en septembre il déménage à Londres où il écrit Démocratie et Socialisme. La brochure Le fascisme en tant que mouvement de masse, paraît en 1934 sous le pseudonyme « Historikus », chez l’éditeur Graphía à Karlsbad, qui est tenue par des réfugiés du SPD et des sociaux-démocrates germanophones en Tchécoslovaquie. Rosenberg part aux Etats-Unis à la fin d’octobre 1937 et meurt du cancer en 1943.

La version abrégée de l’essai sur le fascisme de Rosenberg, qui comporte environ 65 pages dans la collection éditée par Wolfgang Abendroth sous le titre Faschismus und Kapitalismus est celle utilisée ici. Elle comporte trois parties : la première fournit une vue générale de l’histoire et de la politique de l’Europe à la fin du XIXe siècle, alors que la seconde et la troisième sont respectivement consacrées à l’Italie et à l’Allemagne. Le titre lui-même résume le point central de son raisonnement, c’est-à-dire la conception du fascisme en tant que mouvement de masse. Lors de sa rédaction en 1933, cette perspective entrait en conflit d’une part avec la ligne officielle du Comintern selon laquelle le fascisme se résumait au « pouvoir du capital financier lui-même », comme une sorte d’incarnation politique du capital, et d’autre part avec les théories opposées, selon lesquelles le fascisme constituait une médiation entre le capital et le travail sur le modèle de l’analyse que Marx avait proposée du bonapartisme. Rosenberg semble s’être tenu à l’écart de ce débat que, en tant qu’historien, il jugeait peut-être superficiel. Pour lui, le point crucial était de savoir d’où venait le fascisme, et non pas ce à quoi il ressemblait dans le passé. Il rejetait l’idée que le fascisme était en quelque sorte lié de façon primordiale ou quintessencielle à la petite bourgeoisie en particulier – soit qu’elle l’ait déterminé, soit qu’elle en constitue la base principale – suggérant ainsi qu’il avait un attrait social et une base bien plus larges que ne l’impliquait cette idée. Si le fascisme était un produit de sa propre idéologie, alors cette idéologie était déjà largement répandue dès 1914. Dans tous les pays qui comptaient en Europe, le libéralisme était soit mort-né soit effectivement contenu et vaincu. C’était également vrai des Habsbourg et de l’Allemagne ou même de la Grande-Bretagne. L’élément déterminant du nouveau « conservatisme autoritaire », comme il l’appelait, était sa capacité à conquérir le soutien des masses, des majorités populaires conservatrices, en encourageant un nouveau type de nationalisme, ultra-patriotique, raciste, et violemment opposé à la gauche. Cela prit différentes formes dans différentes parties de l’Europe, mais ses traits essentiels étaient semblables – un « nationalisme démagogique » qui ciblait des minorités (en Europe, principalement les Juifs) pour constituer un soutien de masse. La puissante émergence de l’antisémitisme qui balaya l’Europe durant le dernier quart du 19ème siècle constitue un élément fondamental de ce nationalisme radical.

La thèse principale de Rosenberg est donc ici que « l’idéologie qu’on appelle aujourd’hui “fasciste” était déjà bien répandue à travers l’Europe avant la guerre », et exerçait une forte influence sur les masses. Il poursuit, « cependant, à une exception près, ce qui manquait alors c’était la tactique singulière d’utiliser des sections d’assaut nazies, qui est caractéristique du fascisme moderne. La seule exception fut celle des Centuries noires de la Russie tsariste et leur façon de déclencher des pogroms ». « Aux yeux de la loi, les membres des sections d’assaut devraient être jugés et mis en prison. Mais en fait, rien de semblable ne leur est arrivé. Leur condamnation en justice est de la poudre aux yeux – soit la sentence n’a pas été appliquée, soit ils ont été graciés ». Ce qu’il faut en retenir, c’est que les sections d’assaut agissaient de connivence avec l’Etat, un thème sur lequel il revient de façon récurrente. Pour ce qui est des pogroms eux-mêmes, il soutient que « la rage des masses patriotiques doit être fabriquée ». C’est ce qui arriva lors des pogroms tsaristes en 1905.

Rosenberg considérait le fascisme italien comme une force de modernisation qui avait brisé le pouvoir des cliques du Sud pour ouvrir la voie au capitalisme industriel du Nord. En Italie, « le fascisme fut et resta le parti du Nord développé », écrasant la classe ouvrière mais brisant également la domination des cliques féodales arriérées du Centre et du Sud de l’Italie. « Mussolini fut le dirigeant de l’Italie moderne du Nord, avec sa bourgeoisie et son intelligentsia ». « La concentration des capitaux aux mains de l’Etat, au travers du soi-disant ’’système corporatiste’’, facilita le contrôle des groupes de capitalistes les plus efficaces. Furent systématiquement développées l’industrie lourde, les industries chimique, automobile, aéronautique et navale. Où trouve-t-on là l’esprit ’’petit-bourgeois’’ censé constituer l’essence du fascisme ? ».

Dans le cas de l’Allemagne, c’est le poids même de la droite nationaliste qui est si impressionnant. C’est dans ce contexte-là qu’a émergé le nazisme, qu’il a survécu à sa fragmentation pendant les années de stabilité de 1924 à 1929, et retotalisé à la fois ses idéologies et une grande partie du passé allemand – le formidable poids du militarisme et l’antisémitisme latent mais largement répandu qui avait survécu pendant la période de Weimar. Rosenberg commence l’analyse de l’Allemagne en établissant une distinction claire entre ménages salariés (die Arbeitnehmerschaft) et travailleurs de l’industrie au sens strict. Par exemple, il incluait dans le prolétariat les fonctionnaires et les employés de bureau parce que leur travail impliquait une forme de travail salarié. Sur un total d’environ 25 millions d’employés salariés et de prolétaires dans cette acception élargie, « il n’y en avait au plus que onze millions qui travaillaient en usine au sens propre ». Ces travailleurs qui constituaient, disons, un tiers de la population de l’Allemagne, restèrent loyaux envers la gauche jusqu’à la fin, alors que d’autres sections de la masse globale des employés salariés (la majorité) votèrent de façon consistante pour les partis bourgeois tout au long des années de Weimar. L’énorme majorité républicaine de janvier 1919 s’émietta rapidement. La révolution de novembre laissa intacts les rouages de l’Etat – c’est-à-dire, aux mains de l’ancienne bureaucratie, bastion de la réaction – et la classe moyenne, « de larges sections des cols-blancs et des fonctionnaires qui, en novembre, avaient accueilli avec enthousiasme la République », et « s’en éloignèrent bientôt, fort désappointés ». En fait, le pourcentage de la population salariée opposé à la gauche (y compris le catholique Parti du Centre) augmenta dramatiquement au cours des années cruciales du début de Weimar. Rosenberg soutient que, dès mars 1933, quand de façon stupéfiante les nazis rassemblèrent 17 millions de voix, alors que les sociaux-démocrates et le KPD en obtenaient 12 millions, quelque onze millions et demi de voix de l’ « autre » catégorie de salariés allaient aux partis de droite.

Certes, Le fascisme en tant que mouvement de masse est un essai sur les origines et la montée du fascisme, et non pas sur le fascisme au pouvoir. Bien que la plus grande partie de la vaste bibliographie qui s’est développée sur ce sujet, et particulièrement depuis la fin des années soixante, traite majoritairement du fascisme au pouvoir (avec notamment le Behemoth de Neumann, exemple précoce et remarquable du type de questions qui domina ultérieurement l’historiographie), la recherche actuelle confirme amplement les thèmes essentiels de la thèse de Rosenberg. « L’erreur du parti communiste italien est principalement d’avoir considéré le fascisme uniquement comme un mouvement militaro-terroriste, et non pas comme un mouvement de masse aux profondes racines sociales », avertit Clara Zetkin en 1923. C’est cette conception – de la capacité de la droite à mobiliser un soutien de masse – qui forme le fil conducteur de l’essai de Rosenberg, alors que la clé de son interprétation tient à la fois d’une part à la défaite politique du libéralisme et à sa retraite rapide dans la plus grande partie de l’Europe au 19ème siècle, et d’autre part aux nationalismes virulents qui vinrent renforcer le pouvoir des élites traditionnelles pour contrer la menace posée par la démocratie et le socialisme marxiste. Si la brutalité particulière du génocide nazi demeure une charnière dans l’histoire du monde moderne que Rosenberg ne pouvait guère anticiper en 1934, le mythe racial de Volksgemeinschaft (« communauté du peuple ») qui lui fraya la voie était loin d’être une nouveauté, et prenait fermement racine dans le « nationalisme intégral » de Treitschke et Maurras et dans la vision de rédemption nationale prêchée par Schoenerer et Lueger (à la fois contre les slaves et contre les Juifs) auprès des audiences pan-germaniques que Weiss avait décrites comme « l’un des publics les plus antisémites à l’ouest de la Russie ». Ainsi l’argument déjà cité ci-dessus, selon lequel « l’idéologie aujourd’hui appelée ’’fasciste’’ était fort répandue partout en Europe avant la guerre », est fort convaincant et fournit une excellente compréhension des raisons pour lesquelles les mouvements fascistes ont pu s’étendre si rapidement, aussi bien en Italie qu’ en Allemagne (respectivement au début et à la fin des années 1920), dans le contexte de l’hystérie de guerre et des attaques contre la gauche (en Italie), et d’une puissante droite nationaliste (en Allemagne) qui préparèrent le terrain pour les nazis. La centralité du racisme pour le nazisme en particulier ressort avec plus de force dans l’essai de Rosenberg que dans tout autre écrit marxiste des années 1920 et du début des années 1930. Il en est de même de l’argument selon lequel le succès des fascistes dépendait de façon cruciale de la connivence avec (ou de la complicité active) des autorités de l’Etat du moment, dont beaucoup devaient sans doute être des membres actifs du PNF et du NSDAP. C’était particulièrement évident en Italie où les squadristi « réussirent parce qu’ils pouvaient toujours compter sur l’Etat », mais ce n’était pas moins vrai en Allemagne où, comme le note Neumann, pas un seul des conspirateurs du putsch droitier de Kapp en 1920 n’avait été puni quinze mois plus tard, « les cours pénales de Weimar faisaient partie intégrante du camp antidémocratique », et « les tribunaux servaient invariablement de tables d’harmonie à la propagande [nazie] ». Et où, comme le montre Rosenberg, « toute une série d’officiels du gouvernement, spécialement l’armée, maintinrent un contact étroit avec les Freikorps (Corps Francs) et [d’autres]contre-révolutionnaires ». Enfin, une partie importante de cet essai entreprend de discréditer la dite « théorie de la classe moyenne » du fascisme. Rosenberg était convaincu que le fascisme n’était pas un mouvement petit-bourgeois, pas plus que la base de la masse des partis fascistes n’était limitée à la petite bourgeoisie. Bien entendu, Trotski voyait le fascisme « parvenant au pouvoir sur le dos de la petite bourgeoisie », mettant ainsi les classes moyennes « au service du capital » : « par l’intermédiaire du fascisme, le capitalisme mit en mouvement les masses de la petite-bourgeoisie égarée ». Wilhelm Reich, lui aussi, considéra la classe moyenne comme centrale au fascisme, percevant sa soumission ou son « identification à l’autorité, l’entreprise, l’état, la nation, etc. » comme spécifique à la psychologie de masse de la classe moyenne inférieure. « La classe moyenne était et continue à être le soutien de la swastika ». Mais certes aucune de ces caractérisations ne prouve que le fascisme fut un mouvement des classes moyennes, du moins dans le sens fort que lui a donné Luigi Salvatorelli pour l’Italie en 1923.

D’un autre côté, ce qui est vrai c’est que la classe moyenne était particulièrement sensible à la propagande nazie, et tandis que les milieux ouvriers où dominaient les partis de gauche ne cédèrent pas de terrain au NSDAP, dans l’éboulement électoral de septembre 1930, la classe moyenne représentait une part importante, au moins 40%, des votes pro-nazi. Le fait que 25% des votes pronazis venaient de la classe ouvrière suggère tout d’abord que les ouvriers allemands ne constituaient pas un tout homogène, ni socialement ni politiquement, et ensuite que l’attrait du fascisme n’était pas spécifique à une classe mais plutôt, comme le suggère Neumann, était fort largement répandu auprès « des couches sociales les plus diverses ». Ces deux points sont remarquablement clairs dans Le fascisme en tant que mouvement de masse. La distinction que fait Rosenberg entre la grande masse des salariés/employés salariés et les ouvriers de l’industrie en particulier explique de façon cruciale la différence de comportement politique entre les ouvriers qui restèrent jusqu’au bout du côté de la gauche et les ouvriers qui soutinrent les nazis. Kershaw note que, jusqu’à l’élection au Reichstag de mai 1928, « la concentration sur des ouvriers de l’industrie n’avait pas rapporté de dividendes [au parti nazi] ». Cependant Mühlberger, analysant les données d’adhésion par branche au cours de périodes diverses entre 1925 et 1933, soutient que les nazis s’étaient assuré « un soutien significatif » dans les secteurs où prédominaient les classes populaires. Partout, dans chaque branche du parti nazi, entre 28% et 46% des adhérents étaient des travailleurs, soit qualifiés soit non qualifiés. La contradiction n’est qu’apparente. D’abord, « la ruée vers la swastika » eut lieu principalement après 1928, à la suite de l’hiver 1928-29, et dans le contexte de conditions économiques allant de mal en pis. Mais, et c’est tout aussi important, si les travailleurs vivant dans les centres urbains fortement industrialisés comme Hambourg restèrent allergiques au nazisme, ceux qui vivaient dans de petites communautés et villages se montrèrent beaucoup plus vulnérables. « C’est la résidence dans un environnement rural qui fut décisive ». Et bien sûr, pas seulement le lieu de résidence mais également l’âge, le genre, la religion, et le fait d’avoir et de conserver un emploi ou pas. Les ouvriers étaient en général sous-représentés de façon significative dans les rangs des nazis purs et durs, excepté les SA dont, du moins dans l’ouest et le sud de l’Allemagne, où les troupes étaient largement issues des « classes populaires » (la plupart sans emploi, comme l’observe Rosenberg), alors que les groupes de cols-blancs et des « nouvelles classes moyennes » en général étaient dramatiquement surreprésentés, tout comme l’était « l’élite », y compris les étudiants et les universitaires. Certainement, l’évaluation la plus équilibrée de cette question si controversée reste celle de Noakes, datant d’il y a quelques années, dans son étude sur la Basse-Saxe et les circonscriptions électorales, où les votes nazis attinrent certains des pourcentages les plus hauts en 1930-1933. Il en conclut que les nazis pouvaient attirer « tout un éventail de classes et d’intérêts », même si « c’est la classe moyenne qui était la plus attirée vers le parti ». C’est, en gros, la position de Rosenberg, puisqu’il fait sans cesse référence aux cols-blancs et aux fonctionnaires en tant qu’éléments déterminants de la base sociale des nazis, tout en refusant de caractériser ni le parti ni le mouvement en tant que parti (ou mouvement) de la classe moyenne. Les travailleurs cols-blancs en particulier montraient une étrange affinité avec les organisations racistes (völkisch) qui précédèrent le mouvement nazi, et surtout le Deutscher Schutz- und Trutzbund (DSTB) et son successeur le DVSTB. Que le syndicat col-blanc SPD n’ait pas réussi à organiser plus d’une poignée de ces employés qui préférèrent adhérer aux organisations « professionnelles », suggère que, davantage que l’intérêt matériel ou la perception immédiate de celui-ci, ceux-ci (éléments cols-blancs fonctionnaires moyens et inférieurs, auto employeurs, etc.) constituaient des strates de la Mittelstand qui fondaient leur identité sur le contexte familial, et sur des traditions nationalistes et autoritaires profondément intériorisées. Dans la description qu’il propose de sa propre expérience lors de visites dans de grosses entreprises industrielles, Alfred Sohn-Rethel écrivit : « En général, le noyau dur des ouvriers, et dans une moindre mesure les plus jeunes et les nouveaux apprentis, n’étaient pas nazis et ne prétendaient pas l’être. […] Mais c’étaient les employés cols-blancs aux niveaux moyen et inférieur (Angestellten) pour qui le badge du parti était un symbole de foi et qui adoptaient des comportements nazis sans équivoque. […] Les membres de la ’’nouvelle intelligentsia’’ étaient les plus inflexibles d’entre eux – les vrais fanatiques enragés » qui, dit-il, semblaient « passionnément engagés envers les intérêts du capital sans y avoir aucune part ou profit personnels ».

« Symboles de foi », « fanatiques enragés », ce ne sont pas des caractérisations qui peuvent s’appliquer à la masse des « Allemands ordinaires », ceux qui ne furent ni les auteurs directs ni les propagateurs de haine. C’est pourtant là que réside le réel problème du fascisme. Comme le souligne Christopher Browning dans son extraordinaire livre Ordinary Men, « la vaste majorité de la population en général ne réclamait pas à grands cris de mesures antisémites, ni ne faisait pression pour les obtenir » ; cependant, ils permirent qu’un gouffre se crée entre la minorité juive (et bien sûr d’autres minorités, JB) et eux. Nous avons donc là un paradoxe, ou un paradoxe apparent que Browning, dans d’autres travaux, appelle une « réceptivité très large aux tueries de masse », ou bien, ce qui a été appelé, de façon moins dramatique, « le soutien public allemand au pouvoir nazi », y compris le fait que la connaissance des camps de concentration (déportation et exécutions de masse des juifs, etc..) était disponible et « largement répandue » ; il fallait rajouter à cela la distinction aiguë et évidente entre les éléments ouvertement nazis de la population et la population civile, le soi-disant « Mitlaüfer », qui pouvait montrer un dégoût répété devant des actes de brutalité et de violence, tout en acceptant les principes généraux de discrimination légale et d’exclusion sur des bases raciales, et entretenir des attitudes discriminatoires. La propre ambivalence de Brecht quant aux distinctions entre le peuple allemand et le national-socialisme devait survivre et dominer l’Allemagne d’après guerre, et apparaît régulièrement dans le travail de Fassbinder et dans des films comme Allemagne, mère blafarde. Comme le dit Anton Kaes, « ceux nés en 1945, comme Fassbinder, subirent le passé allemand comme un héritage dont ils ne voulaient pas ». Fassbinder lui-même a un sens aigu de la continuité entre les valeurs bourgeoises du 19ème siècle et l’idéologie de Troisième Reich, le nationalisme bourgeois/ allemand culminant férocement dans les horreurs de l’Etat nazi. Cette perspective est proche de celle de Rosenberg qui pense que c’est la bourgeoisie qui fournit le porteur principal de cette conception rédemptrice du pouvoir allemand dans les décennies avant 1914. Mais le problème de la docilité des civils demeure. « Ô Allemagne, mère blafarde !/ Que t’ont fait tes fils ?... » Le mouvement nazi fut presque exclusivement mâle, cependant des millions de femmes votèrent pour les nazis en 1932, et en 1936 « 11 millions sur 35 millions de femmes en Allemagne étaient membres de la NS-Frauenschaft ». Supposer que les femmes étaient « particulièrement résistantes au national-socialisme » serait épouser un féminisme étrangement essentialiste qui échouerait à confronter avec quelque sérieux la question du fascisme ; et, tout comme le travail innovant de Bankier, qui s’attaque de front à la question de la docilité et montre par quelles voies complexes interagissent certaines formes passives et d’autres génocidaires du racisme, les livres de Claudia Koonz Les mères-patrie du IIIe Reich et La Conscience Nazie constituent tous deux des indicateurs importants de certaines possibilités pour les socialistes et la gauche marxiste de restructurer les termes du débat sur le fascisme, sans exagérer le degré d’intégration des travailleurs (par exemple) dans l’Etat fasciste, ni se voiler la face devant la question difficile concernant la forme et le degré de complicité de masses importantes de la population avec les crimes du régime ; nous choisissons ici d’y voir – un « consensus génocidaire », une « complicité passive » ou une « indifférence morale » ordinaire.

(Traduction de Marieme Helie Lucas)


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