PHILIPPINES : Les affrontements se poursuivent, le nombre de déplacés augmente à Mindanao

lundi 28 janvier 2008.
 

La grande majorité des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) aux Philippines se trouvent sur l’île de Mindanao, dans l’extrême sud du pays.

Selon Rey Martija, responsable du développement des programmes du Département des services sociaux et du développement (DSWD), 90 pour cent des PDIP sont originaires de Mindanao. Dans la seule Région autonome du Mindanao musulman (RAMM), près de 120 000 personnes ont été contraintes de fuir en 2007.

« Je ne sais même plus combien de fois nous avons dû déménager à cause des affrontements », a confié Samira Ousmane à IRIN.

Samira Ousmane et les six membres de sa famille, ainsi que la plupart des membres de leur communauté ont abandonné leurs domiciles du village de Kudal, dans la ville de Pagalungan (Province de Maguindanao), à maintes reprises en raison des affrontements qui opposent les forces du gouvernement au Front de libération islamique moro (MILF), un mouvement séparatiste. La province de Maguindanao se trouve sur l’île de Mindanao.

Samira Ousmane a raconté qu’ils avaient fui pour la première fois « en 2000, à peu près, lorsque l’ancien président, [Joseph] Estrada, avait déclaré la guerre totale contre le MILF ». Quelque 60 000 habitants de la province de Maguindanao ont été évacués pendant l’offensive.

Entassés dans des centres d’évacuation pendant plusieurs mois, ayant à peine de quoi se nourrir, a-t-elle raconté, les réfugiés devenaient la proie des maladies, qui les guettaient comme des vautours. « Certains sont morts », s’est-elle souvenue. De temps à autre, ses quatre enfants devaient arrêter l’école. « J’ai de la peine pour mes enfants », a déclaré Samira Ousmane. « Ils sont privés de leur enfance, sans parler du traumatisme causé par le déplacement ».

Les querelles territoriales ont empêché la signature d’un accord de paix entre le gouvernement et le MILF. Le nombre des PDIP a augmenté à Mindanao en 2005, lorsque le gouvernement a annoncé qu’il mènerait une « guerre contre le terrorisme », pour s’opposer au groupe terroriste Abou Sayyaf, basé sur les îles de Sulu et Basilan, dans le sud de Mindanao.

« Je ne sais même plus combien de fois nous avons dû déménager à cause des affrontements »

Des déplacements fréquents

Les tribulations des habitants maintes fois déplacés de la communauté de Kudal sont bien connues des Philippins. Depuis quatre décennies, des conflits internes déchirent le pays, qui opposent le gouvernement aux rebelles communistes et aux séparatistes musulmans. Plusieurs millions de civils se sont trouvés pris entre deux feux et ont été déplacés au fil des années dans les régions reculées de Luzon et Visayas, et dans les îles de Mindanao.

Selon les informations du DSWD, entre 2001 et 2005 seulement, 1,025 million de personnes ont été désignées comme personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) en raison des conflits. Quatre cent quatre-vingt-trois autres ont été tuées et 500 blessées au cours de la même période.

Plus de 156 000 Personnes Déplacées IP supplémentaires en 2007

En 2006, l’on comptait 87 893 PDIP et au 15 décembre 2007, 156 780, selon le DSWD. Cette dernière statistique ne comprend pas ceux qui sont en cours de déplacement en raison des offensives actuelles, menées par le gouvernement contre la Nouvelle armée populaire (NPA).

Selon certaines organisations, le nombre de PDIP signalés est nettement plus élevé que les statistiques officielles, car de nombreuses familles contraintes d’évacuer ne sont jamais inscrites sur les registres officiels. Ainsi, d’après les estimations du centre de réadaptation Balay, une organisation non-gouvernementale (ONG) locale, plus de deux millions de personnes auraient été déplacées entre 2001 et 2005.

A en croire Rico Salcedo, qui dirige les bureaux philippins du Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR), la situation des PDIP « est tellement variable » qu’il est difficile d’en suivre le nombre. « Ils déménagent et retournent chez eux », a-t-il expliqué. « Et puis il y en a d’autres qui ne sont pas encore retournés chez eux ».

Quel que soit le nombre exact des PDIP, Aquilino Pimentel, sénateur philippin, regrette que son pays occupe actuellement la troisième place - derrière la Birmanie et l’Indonésie - sur la liste des pays d’Asie du Sud-Est comptant le plus grand nombre de PDIP. « C’est un phénomène que nous avons ignoré pendant très longtemps », a déclaré M. Pimentel à IRIN, soulignant en outre la nécessité d’adopter une législation qui permette de protéger les PDIP et d’institutionnaliser l’aide qui leur est apportée.

Premières victimes : les enfants

Selon Analisa Ugay, spécialiste du lobbying chez Balay, les enfants sont les plus gravement touchés par le déplacement interne. « Ils représentent 40 à 60 pour cent du nombre total des PDIP », a-t-elle révélé à IRIN. « Le traumatisme de la guerre risque d’avoir des conséquences durables sur leur développement ». Officiellement, aucune répartition des PDIP par tranche d’âge ou par sexe n’a été réalisée.

Le budget 2007 du fonds de gestion des catastrophes du DWSD s’élève à peine à 192 millions de pesos philippins (environ 4,2 millions de dollars). Sur cette somme, pas plus de 7,27 millions de pesos (environ 161 500 dollars) ont été consacrés aux PDIP. La somme totale, en 2006, atteignait à peine 3,73 millions de pesos (environ 82 000 dollars). L’intervention du gouvernement se limite en effet en grande partie à la distribution de marchandises et de matériel de secours, pour assurer l’hébergement temporaire des PDIP.

« Le gouvernement semble indifférent au sort des PDIP », a déploré Mme Ugay. Mais selon elle, la Nouvelle armée populaire et le MILF sont eux aussi responsables : « Ils devraient assumer une partie des responsabilités, car ces civils déplacés se trouvent sur le territoire qu’ils contrôlent ».

Des solutions communautaires

Certaines organisations s’efforcent de trouver des solutions communautaires pour rétablir la paix. Pour Serge Villena, associé de programme à l’unité de redressement créée par la branche philippine du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en vue de la prévention des crises et de la protection, « autonomiser les PDIP en leur donnant les moyens de participer activement au maintien de la paix » pourrait permettre d’adoucir leur sort.

Selon M. Villena, la seconde phase du projet Stride-Mindanao (Stride signifiant Strengthening Response to Internal Displacement [Renforcer l’intervention en situation de déplacement interne]) du PNUD est en cours de développement ; elle « vise à donner les moyens aux chefs des communautés d’engager le dialogue avec les belligérants » pour permettre de prévenir les conflits.

Quelques succès modestes ont été remportés. Mme Ugay de Balay a notamment indiqué à IRIN que les chefs des communautés de certaines régions de la RAMM avaient été en mesure de prévenir plusieurs affrontements, « car ils ont entrepris de préserver la paix dans leur région ». « Ils ont déclaré leurs régions "zones de paix" et ont établi des lignes de communication entre les belligérants », a ajouté Mme Ugay.

Complément 1 Mindanao aux Philippines

(par Pierre Rousset http://www.europe-solidaire.org/spi...

On compte, dans cette île de 20 millions d’habitants trois peuples : les peuples indigènes (des tribus montagnardes), les moros (les musulmans islamisés avant l’arrivée de l’Espagne au 16ème siècle dans l’archipel) et les descendants de « colons » chrétiens (des paysans du nord et du centre de l’archipel envoyés occuper des terres à Mindanao). Les moros sont devenus minoritaires dans leur pays du fait de ce processus de colonisation interne. La situation est donc potentiellement explosive, d’autant plus qu’à Mindanao, il y a encore des territoires à conquérir pour les multinationales ou le capital philippin, pour l’agriculture, les plantations. Beaucoup de mines d’or aussi, de métaux, de bois de forêt. Pour prendre possession de ces terres agricoles, forêts ou mines, il faut déplacer des populations. Evidemment, dans le contexte de Mindanao, cela se fait en attisant des conflits entre les communautés : montagnards, moros et chrétiens. L’arrière-plan est classiquement économique mais la forme que cela prend, est celle de conflits intercommunautaires. Ce n’est pas le seul pays du monde où cela se passe comme cela.

Il s’agit d’une guerre ouverte. La militarisation de l’île est permanente, une violence armée rampante permanente. Aujourd’hui, pour rajouter de l’huile sur le feu, les Etats-Unis ont envoyé des troupes sur l’île au nom de l’anti-terrorisme avec, pour objectif, de rétablir dans leur ancienne colonie des bases militaires qui leur permettent de surveiller l’Indonésie et la mer de Chine du Sud. La situation est donc extrêmement dure.


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