Napoléon 1er, l’empereur, sujet d’histoire important

jeudi 8 juin 2023.
 

La Révolution française de 1789 à 1794 a fait exploser la société millénaire d’Ancien régime, son rôle idéologique et social de l’Eglise, sa personnalisation de l’Etat dans le monarque héréditaire, son quadrillage géographique par les familles féodales...

Une nouvelle réalité s’est imposée, dans les campagnes avec l’affermissement d’une large paysannerie propriétaire, dans les bourgs et villes avec la vitalité des municipalités élues... Ceci dit, les tenants du royalisme n’admettent pas leur échec, continuent à mobiliser les Cours d’Europe pour combattre les régicides, continuent à organiser des complots dont celui de Cadoudal en février 1804...

La bourgeoisie ressent le besoin d’établir un régime stable pour favoriser la vitalité économique, pour protéger ses acquis face à un risque de rétablissement monarchique mais aussi face au risque de retour en force des Jacobins... Le Premier empire de Napoléon Bonaparte naît de cette conjoncture.

A) Napoléon 1er, enjeu sociologique, historique et politique contemporain

Né le 15 août 1769 à Ajaccio de parents engagés dans le combat indépendantiste corse, devenu empereur des Français le 18 mai 1804, célébré par l’Eglise de France le 15 août comme Saint Napoléon, il meurt le 5 mai 1821 sur l’île anglaise de Sainte-Hélène où il a été exilé par tous les réactionnaires de la Sainte Alliance (papauté, empire de Russie, empire d’Autriche, royautés de Prusse, d’Espagne, libéraux anglais...).

Deux cent cinquante ans plus tard, Napoléon reste fortement présent dans la mémoire des Français. Dominique de Villepin publie un volumineux ouvrage sur les Cent Jours. Emmanuel Macron confie que ses entretiens avec son père portaient particulièrement sur Napoléon. Des centaines de livres et revues sont publiés pour le bicentenaire de sa mort ; autant que pour le bicentenaire de sa naissance en 1969. Même sur notre petit site internet d’orientation républicaine et internationaliste, d’assez nombreux messages en forum citent l’empereur. J’ai déjà répondu à l’un d’entre eux dans mon article sur Le mythe du chef : Pétain, Charlemagne, Napoléon.

Des militants qui se réclament d’une connaissance et d’une compréhension rationnelle de l’histoire ne peuvent rester muets sur ce sujet.

Qui était Napoléon 1er ? Quel bilan en tirer ? Les réponses divergent évidemment, y compris au sein même de mouvements politiques assez homogènes. Pour ne pas être trop long, je vais seulement ici citer deux écrivains connus : Victor Hugo et Malraux.

- Un homme cultivé comme Malraux signalait lors du bicentenaire de 1969, l’importance de Napoléon dans la construction historique de la France et des nations européennes plus que comme grand capitaine avec toutes de les contradictions de l’action napoléonienne. « Il y a dans Napoléon quelque chose dont les Français lui sont reconnaissants, c’est que c’est lui qui leur a mis dans la tête qu’ils pouvaient être des héros.. » « Il a institué l’empire, mais il a accompli la révolution, et l’élément contradictoire est que par la conquête il a créé les nations européennes. Bonaparte combat les armées monarchistes ; Napoléon, à la fin, est écrasé par les armées nationales. Alors il est surprenant de dire : cet homme parti d’une sorte d’internationalisme révolutionnaire et rêvant d’un paternationalisme triomphant crée les nations européennes, de la même façon que cet homme parti d’une nation révolutionnaire qui le menait à César, a, en fait, porté la volonté d’égalité devant la loi, dans toute l’Europe… »

A) De la Révolution française au Premier empire

La Révolution française n’est pas un bloc.

Première phase à direction bourgeoise 1789 à 1791

Elle commence par une crise du système politique, idéologique et social d’Ancien régime et par un puissant mouvement social dirigé par la bourgeoisie.

Sur les causes structurelles de la Révolution française

Clergé, noblesse et bourgeoisie du Siècle des Lumières à 1789

Le contexte international pèse également très lourd. De 1773 à 1802, la plus longue période de poussée populaire, démocratique et révolutionnaire qu’ait connue l’histoire humaine

Dans son Histoire socialiste de la Révolution française, Jean Jaurès analyse parfaitement, grande ville par grande ville, la direction politique par la bourgeoisie du mouvement qui ébranle fortement l’Ancien régime. En voici quelques exemples :

Nantes : du développement économique (18è siècle) à la Révolution française

Marseille : du développement économique (18ème siècle) à la Révolution française

Bordeaux, de la bourgeoisie révolutionnaire de 1789 aux Girondins de 1792 1793

Barnave, le Dauphiné, la bourgeoisie et l’analyse historique de 1789

La bourgeoisie française, arrivée à maturité économique, cause de la Révolution française

La résistance des forces d’Ancien régime radicalise le mouvement révolutionnaire. Dès les grandes journées de 1789, la bourgeoisie sent que cette radicalité peut la mettre en danger.

14 juillet 1789 : la prise de la Bastille symbolise la fin définitive de la monarchie "absolue" et l’accélération du processus populaire révolutionnaire

Grande peur paysanne (19 juillet au 6 août 1789), révolution municipale : double pouvoir et nouveau pouvoir

La répression armée du mouvement populaire est de plus en plus souvent initiée par la bourgeoisie.

17 juillet 1791 Fusillade du Champ de Mars

Un arsenal juridique est également voté par la Constituante pour casser le mouvement social.

La loi Le Chapelier de 1791, symbole de répression bourgeoise et non de république progressiste

Deuxième phase de 1792 à 1794 : le mouvement populaire s’impose comme pouvoir politique

L’opposition systématique des forces cléricales créant une ambiance de guerre civile, l’invasion par les armées des rois étrangers, le refus de Louis XVI de prendre des décisions pour y faire face poussent le mouvement social, cahin caha, souvent sans véritable direction, à se mettre en avant.

10 août 1792 La prise des Tuileries engage la 2ème phase de la Révolution française, portée par le peuple

Cette journée est suivie d’une décision hautement symbolique. 11 août 1792 Première instauration nationale d’un suffrage universel masculin.

Valmy ( 20 septembre 1792), symbole fort d’une mobilisation populaire qui sauve la Révolution française

La guerre menaçant la nouvelle république sur toutes les frontières, un "comité de salut public", véritable gouvernement révolutionnaire dirigé par Robespierre est installé par la Convention montagnarde.

Voici seulement quelques liens pour comprendre cette phase qui peut être considérée comme le premier exemple d’un pouvoir populaire dans un grand pays.

21 janvier 1793 Louis XVI guillotiné

1793 : Les Jacobins, mouvement révolutionnaire massif

Révolution française, famille, mariage et divorce

24 juin 1793 Constitution de l’An 1

Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 23 juin 1793, texte d’importance historique universelle

Uniformité des poids et mesures : Décret de la Convention montagnarde le 1er août 1793

11 mai 1794 : La Révolution française crée un embryon de sécurité sociale

25 juillet 1793 l’école gratuite et obligatoire pour tous les enfants

Le calendrier républicain de la Révolution française

3ème phase de 1794 à 1799 : le retour progressif de la bourgeoisie au pouvoir

8, 9, 10 thermidor Robespierre abattu, Révolution française terminée

Le Directoire (1795 1799), république bourgeoise bousculée entre royalistes et jacobins

3 mars 1795 : Le rétablissement de la Bourse symbolise la contre-révolution initiée après le 9 thermidor

22 mai 1795 Les martyrs de prairial

L’affaiblissement du mouvement social redonne une place aux forces royalistes. Le pouvoir politique bourgeois est de plus en plus isolé et discrédité. Plusieurs personnalités typiques de la bourgeoisie, en particulier Sieyès, décident alors un coup d’état pour installer un pouvoir fort autour du général Bonaparte.

Coup d’état du 18 brumaire (9 et 10 novembre 1799)

Le nouveau régime nommé le Consulat prépare en réalité l’empire.

B) L’installation de l’empire

Comme forme de pouvoir, l’Empire succède donc au Consulat, prolonge ses efforts :

- pour réorganiser l’administration d’un Etat différent de celui d’Ancien régime, se présentant comme porteur de l’intérêt général sans être issu de la société.

- pour préciser les fondements juridiques d’une nouvelle société

Le 27 mai 1804, le Sénat se prévaut d’un risque de déstabilisation de l’Etat par les monarchistes (complot de Cadoudal en février 1804) pour proposer à Napoléon Bonaparte une fonction de chef d’Etat transmise ultérieurement par la voie héréditaire.

Le 18 mai 1804, un sénatus consulte (tradition romaine antique donnant valeur légale à un décret du Sénat) établit Napoléon comme empereur des Français.

La constitution de l’an XII validée ce même jour installe un pouvoir dont la nature ambigüe se voit résumée dès l’article 1 « Le gouvernement de la République est confié à un empereur qui prend le titre d’empereur des Français. » En fait, Napoléon comme la bourgeoisie financière, industrielle et coloniale souhaitent résorber les plaies laissées par la Révolution parmi les privilégiés d’Ancien régime afin de les intégrer dans le nouveau système et ainsi marginaliser les porteurs des idéaux d’égalité ; ainsi, en finir pour de bon avec le spectre de la Révolution sociale facilitée par la division des riches.

- Napoléon fonde sa légitimité par "la grâce de Dieu" mais ne se dispense pas de la légitimité populaire. Ainsi, le 6 novembre 1804, un plébiscite entérine les nouveautés institutionnelles par 3 572 000 suffrages pour le "oui" et 2572 pour le non.

- Le caractère césarien des institutions est concrétisé par le terme d’empereur, par l’importance donnée aux questions de succession héréditaire et de fonction impériale.

- l’empire sert les intérêts de la bourgeoisie qui veut protéger ses acquis de la Révolution aux dépens des privilégiés et des institutions d’Ancien régime. Cependant, cette bourgeoisie issue de la Convention thermidorienne, du Directoire et du Consulat a compris qu’elle n’obtiendrait pas l’intégration des anciennes familles nobles et d’une institution comme l’Eglise catholique sans compromis symboliques. Ainsi, par exemple, les membres de la famille impériale prennent le nom de princes et princesses impériales. L’article 14 stipule que "l’organisation du palais impérial" doit être "conforme à la dignité du trône et à la grandeur de la nation."

C) Le Premier Empire : prolongement d’une révolution bourgeoise en période de réaction

Le mouvement ouvrier socialiste a théorisé la réalité historique de cycles voyant se succéder en gros une période de montée des aspirations et luttes, une période révolutionnaire, une période de retombée, enfin une période de recul, d’apathie des masses, de réaction avant le début d’un nouveau cycle. L’empire correspond à une de ces périodes de recul.

Après la tempête de la révolution, ses innombrables mobilisations, manifestations, réunions, désaccords parfois sanglants et campagnes militaires, après l’épuisement des énergies progressistes, après la répression puis la marginalisation de l’avant-garde républicaine plébéienne, après la fin de la longue période de poussée révolutionnaire internationale ( 1773 à 1802), la France se dote d’un régime apte :

- à empêcher le retour de l’Ancien régime tout en créant des ponts symboliques pour une réintégration sociale des nobles émigrés. Le rétablissement de grandes dignités inamovibles y concourt.

- à empêcher le rétablissement du rôle idéologique, social et politique de l’Eglise catholique d’Ancien régime tout en donnant à celle-ci la possibilité d’un retour significatif et même d’une intégration au sein des nouvelles institutions. L’empereur est sacré par le pape ; il prête serment sur l’Evangile...

- à protéger et faire fructifier les avancées de 1789 1799 dans le sens des intérêts de la bourgeoisie tout en cajolant la force sociale qui sort de cette Révolution avec le plus grand prestige social : l’armée.

Le Premier Empire doit également être analysé comme instrument de pouvoir de Napoléon dont l’intelligence politique ne fait aucun doute. Il cherche dès le 18 brumaire et jusqu’en 1814 à s’entourer de personnes compétentes issues d’histoires et positionnements politiques différents.

Dans le tome consacré à la période 1789 1815 de la magnifique Histoire de France (direction Joël Cornette), je relève ces quelques phrases « A tous les niveaux, l’amalgame entre anciennes et nouvelles élites semble satisfaire les aspirations d’une redéfinition des élites, ce que l’Ancien régime n’avait pas su réaliser. L’instauration de l’Empire est un élément fondamental de ce processus, dans la mesure où il permet de créer un centre autour duquel la pyramide sociale est censée se réorganiser... Ce projet politique a un prix : après avoir limité la liberté, c’est l’égalité qui est mise à mal par le rétablissement de distinctions sociales héréditaires au sein de la France. Le principe en avait d’ailleurs déjà été bafoué de façon bien plus dramatique en 1802 par le rétablissement de l’esclavage aux colonies. »

https://www.napoleon.org/magazine/l...

http://groupugo.div.jussieu.fr/Grou...

https://malraux.org/e1969-04-14-mal...


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