Deux traités (TCE, Lisbonne), un contenu pratiquement semblable par PRS Vienne (86)

mardi 22 janvier 2008.
 

Dans un article particulièrement éclairant(2), Valéry Giscard d’Estaing, qui fut le Président de la Convention et a rédigé le projet de Constitution européenne, fait une analyse honnête du projet de texte, devenu ensuite le Traité de Lisbonne. Il explique tout d’abord que l’ensemble des éléments importants du traité constitutionnel se retrouvent dans le nouveau traité réformateur : « La différence porte davantage sur la méthode que sur le contenu (...).Les juristes n’ont pas proposé d’innovations. Ils sont partis du texte du traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant, par voie d’amendements aux deux traités existants de Rome (1957) et de Maastricht (1992). Si l’on en vient maintenant au contenu, le résultat est que les propositions institutionnelles du traité constitutionnel - les seules qui comptaient pour les conventionnels - se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérés dans les traités antérieurs. La conclusion vient d’elle-même à l’esprit. Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels il faut fouiller pour trouver ce que l’on cherche. »

Poursuivant son analyse, le Président Giscard d’Estaing entreprend une énumération des différences entre les deux textes, qui ne peut aucunement rassurer les anciens partisans du « Non » de gauche :

« Il y a cependant quelques différences. Trois d’entre elles méritent d’être notées. D’abord le mot "Constitution" et l’adjectif "constitutionnel" sont bannis du texte, comme s’ils décrivaient des maladies honteuses (...). Et l’on supprime du même coup la mention des symboles de l’Union : le drapeau européen, qui flotte partout, et l’hymne européen, emprunté à Beethoven. Quoique ridicules, et destinées heureusement à rester inappliquées, ces décisions sont moins insignifiantes qu’elles n’y paraissent. Elles visent à écarter toute indication tendant à évoquer la possibilité pour l’Europe de se doter un jour d’une structure politique. C’est un signal fort de recul de l’ambition politique européenne.

Concernant, ensuite, les réponses apportées aux demandes formulées notamment en France par certains adversaires du traité constitutionnel, il faut constater qu’elles représentent davantage des satisfactions de politesse que des modifications substantielles. Ainsi l’expression "concurrence libre et non faussée", qui figurait à l’article 2 du projet, est retirée à la demande du président Sarkozy, mais elle est reprise, à la requête des Britanniques, dans un protocole annexé au traité qui stipule que "le marché intérieur, tel qu’il est défini à l’article 3 du traité, comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée".

Il en va de même pour ce qui concerne le principe de la supériorité du droit communautaire sur le droit national, dont le texte de référence reste inchangé dans le traité.(...)Beaucoup plus importantes, enfin, sont les concessions faites aux Britanniques. La charte des droits fondamentaux - sorte de version améliorée et actualisée de la charte des droits de l’homme - est retirée du projet, et fera l’objet d’un texte séparé, ce qui permettra à la Grande-Bretagne de ne pas être liée par elle. Dans le domaine de l’harmonisation et de la coopération judiciaires, la Grande-Bretagne se voit reconnaître des droits multiples de sortie et de retour dans le système(...) ».

Autrement dit, le traité de Lisbonne a permis de faire des concessions aux États et aux forces politiques partisans du souverainisme et méfiants à l’idée même de construction européenne. Ainsi, il faut rappeler que l’inclusion de la Charte des droits fondamentaux au sein même du traité constitutionnel était régulièrement avancé par les partisans du « Oui » comme un signe qui aurait dû rassurer les partisans d’une Europe plus sociale. Pourtant, dans le traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux ne figure plus dans le texte même des traités, mais se trouve inscrite par le biais d’un renvoi. De plus, la Charte n’est plus applicable au Royaume-Uni.

Au total donc, la quasi-totalité des dispositions du traité constitutionnel se retrouvent, dans un ordre différent, dans le traité de Lisbonne, qu’il s’agisse :

- de l’ensemble des changements institutionnels : présidence stable de l’Union européenne, élargissement des pouvoirs de la commission européenne, composition de la Commission, rôle du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (même s’il perd son titre de ministre des affaires étrangères) ;

- de la personnalité morale conférée à l’Union européenne et de la suppression des « piliers » ;

- du renforcement de la coopération judiciaire ;

- des dispositions sur la politique étrangère et de défense commune. À cet égard, le nouveau traité ne tient aucunement compte des critiques formulées en 2005 sur le positionnement de la politique européenne de défense par rapport à l’OTAN.

En revanche, aucun des éléments du nouveau traité ne constitue l’amorce de la construction d’une autre Europe, au-delà de quelques modifications sémantiques purement cosmétiques. La pseudo disparition de la référence au « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » est à cet égard très révélatrice. Sur le fond, il n’y a aucune modification sur les dispositions qui ont motivé le rejet du Traité, à savoir celles qui empêchent l’Europe de prendre une autre direction que celle du marché, de la libre concurrence, d’une politique monétaire contrainte ou de la méfiance vis-à-vis des services publics.


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