Histoire de la gauche du Parti Socialiste Les années 70 et 80 : Le CERES et les popérénistes

jeudi 22 février 2018.
 

Dans l’histoire de la social-démocratie francaise, il y a toujours eu une tradition de courants de gauche puissants et influents à l’intérieur même du parti socialiste. Les années 30 marquées par la figure de Marceau Pivert et de son courant la Gauche Révolutionnaire de la SFIO constituent le premier temps de l’influence d’une authentique et puissante gauche socialiste. L’après Epinay jusqu’au tournant libéral de la rigueur en 1983 sont le deuxième temps fort pour tous ceux qui, à l’intérieur du parti socialiste et de ses jeunesses, souhaitaient une ligne de gauche pour battre la droite et construire le socialisme.

Entre 1971 et 1983 il y a à l’aile gauche du PS deux courants qui poursuivent et enrichissent l’expérience engagée dans les années 30 notamment au moment du Front populaire par des militants comme Pivert ou Zyromsky. En effet, d’une part le CERES (centre d’étude, de recherche et d’éducation socialiste) dirigé par Chevènement et ses amis, d’autre part le courant conduit par Jean Poperen se veulent à la gauche du PS de l’époque. Ils proclament leur volonté de lutter contre certaines de ses « dérives droitières » et d’y développer la doctrine marxiste fidèle aux enseignements de Jaurès. A l’apogée de son influence, le CERES réunira 33% des suffrages des militants socialistes lors du congrès de 1977.

Malgré leurs différences sur le fond, ces deux tendances de gauche vont, comme nous le verrons, avoir une profonde influence sur le corpus idéologique et programmatique du Parti socialiste des années 70. C’est cet aspect qui nous interresse içi plus particulièrement. Il est utile pour nous qui voulons construire un vrai courant de gauche dans le PS en 2008 de connaître les réussites ainsi que les échecs des expériences passées afin d’en tirer toutes les leçons.

Il faut d’emblée noter que ces deux courants profitent pour se développer de deux faits importants. L’un est de nature conjoncturelle c’est la proximité de mai 68 qui a eu pour corollaire une radicalisation sociale et politique indéniable tandis que l’autre est un des fondements de l’identité du PS depuis Epinay : la représentation proportionnelle des courants dans les instances. Cette conquête démocratique essentielle a permis au CERES et aux « popérnistes » de se structurer, d’être présents dans les instances du parti et de faire connaître leurs propositions aux militants qui peuvent alors se prononcer en toute connaissance de cause.

I)L’histoire de deux tendances de gauche du PS d’Epinay au tournant de la rigueur

Pour commencer, il faut étudier les positionnements des deux courants dans les congrés du PS ainsi que leur place dans les instances sur toute la décennie. Avant cela il faut expliquer l’origine de ces deux sensibilités du socialisme français.

Le CERES a été fondée en 1966 par Jean Pierre Chévenement, jeune énarque dénonciateur de la société bourgeoise, Didier Motchane et Georges Sarre, syndicaliste aux PTT. Alors que la SFIO est en piteux état depuis sa politique algérienne et son soutien à de Gaulle en 1958, ces jeunes font le pari qu’un redressement de la « vieille maison » est possible. Alors que beaucoup d’autres sont dans des clubs en dehors de la SFIO, Chevènement et ses proches font le choix de peser de l’intérieur en construisant un courant de gauche capable d’assurer une alternative de direction. Lors de la création du Nouveau Parti socialiste en juillet 1969 à Issy les Moulineaux, le CERES se retouve dans la minorité et dans l’opposition à la direction Mollet-Savary peu claire sur les alliances à gauche aux yeux de Chevénement.

C’est lors du congrés d’Epinay de juin 1971 que le CERES va appaitre au grand jour. Lors de ce congrés mémorable qui voit la création du Parti socialiste et sa prise de contrôle par Mitterrand, l’aile gauche joue un rôle décisif. Depuis 1970, le CERES a conquis la majorité de la fédération de Paris dont l’embléme, le poing et la rose va devenir celui du PS. Il pése environ 9% au niveau national. Lors du congrés, ces 9% permettent à Mitterrand de constituer une majorité dont l’objectif va etre de rechercher un accord avec le Parti communiste alors au fait de sa puissance. Mitterrand devient 1er secretaire avec l’appui du CERES qui entre à la direction du Parti avec des reponsabilités dans le domaine de la formation.

L’autre courant de gauche, celui de Jean Poperen est lui repoussé dans la minorité aux cotés de Mollet et Savary. Cela peut paraître étonnant à postériori...mais cela ne l’est pas tellement si l’on étudie l’origine de ce courant. Jean Poperen débute sa vie militante au PCF avant de s’en éloigner en 1958 et d’être à l’origine de la création du PSU dont il anime l’aile unitaire de gauche entre 1960 et 1969. Il quitte alors avec ses amis le PSU pris en tenaille entre les modernistes rocardiens de la deuxième gauche, dont Poperen sera l’éternel pourfendeur, et les gauchistes maoistes. Son courant entre dans le NPS en 1969, dépose une motion à Epinay intitulée « Pour un parti socialiste puissant et orienté à gauche » qui receuille 16%. Cela signifie que les deux courants qui representent l’aile gauche du Parti rassemble environ 25 % à eux deux. Alors que le CERES fait le choix politique de soutenir Mitterrand pourtant allié à Mauroy et Deffere qui représentent plutôt la droite du PS, Poperen décide de rester dans la minorité tout en partageant les objectifs de rassemblement de la gauche de la nouvelle majorité.

Cependant , Poperen a du mal à avaler cette alliance qui peut paraître un peu contradictoire entre un Defferre qui en 1969, défendait l’alliance au centre et les néos marxistes du CERES. Les popérénistes ont sans doute sous estimé le rejet de Guy Mollet et du molletisme. Ils auraient préféré une alliance avec Mitterrand, Mollet et le CERES contre les « droitiers » Defferre et Mauroy. Les proches de Chevénement ont eux privilégié l’efficacité et en profitent aussitôt pour en mettre en musique les décisions d’Epinay. Chevénement participe par exemple aux négociations avec le PC qui aboutissent au programme commun en juillet 1972. De même, le CERES est un des principaux inspirateur du programme socialiste au titre rimbaldien « Changer la vie » qui a été adopté en mars de la même année.

Les amis de Poperen voient un certain nombre de leurs idées fortes reprises et mesurent leur erreur tactique de 1971. Une certaine rivalité voit le jour entre le CERES et les poperénistes qui vont à partir de 1973 rentrer en concurrence directe pour s’assurer l’hégémonie sur la gauche du PS. Poperen fait le choix de rallier la majortié de Mitterrand dés 1973 tandis que le CERES prend des distances avec la direction. Lors de ce congrés les gauches font à nouveau 25% (20 pour les amis de Chevènement et 5 pour Poperen).

Aprés la courte défaite de Mitterrand à la présidentielle de 1974, les assises du socialisme voient l’arrivée au PS de Rocard et de tout un pan du PSU. Le CERES et les popérnistes ne voient pas d’un très bon oeil l’adhésion de cette tendance de la gauche qu’ils jugent droitière, cléricale et tentée de saper l’union de la gauche au profit de l’ouverture au centre. Lors du congrés de Pau en 1975, le CERES quitte la majortité mitterrandiste et, fort de ses 25% ,dénonce une certaine dérive droitière. Le courant Poperen, lui aussi méfiant envers Rocard et ses « socio-technocrates » reste dans la majorité et reprend le secteur de la formation hier dévolu aux amis de Chevènement ! Lors du congrés suivant l’affrontement entre le CERES à l’aile gauche et les rocardiens à l’aile droite se poursuit. La motion Chevénement qui culmine à 33% refuse la synthése et continue de combattre toute idée de révision du programme commun avec le PCF et se fait en quelque sorte le gardien de la ligne d’Epinay. Poperen demeure un allié de Mitterrand en se faisant lui le garant de la ligne unitaire mais dans la majorité du Parti... éternel débat pour les courants de gauche du PS... peser à l’intérieur en entrant dans la direction ou de l’extérieur en créant un rapport de force...ce débat se pose encore dans la gauche du Parti en 2008.

Le congrés de Metz d’avril 1979 qui fait suite à la défaite législative de la gauche en mars 1978 causée en grande partie par la rupture de l’union par le PCF voit les gauches du PS se rassembler face à l’adversaire idéologique commun : la deuxième gauche de Michel Rocard. L’aile droite instruit le procés de la direction Mitterrand et remet en cause la stratégie d’union de la gauche ainsi que le projet économique et social du PS basé sur la planification et les nationalisations. Dés la fin 1978 Poperen sonne la charge en publiant un pamplet intitulé « Nous sommes tous archaïques » qui est une véritable charge contre tous ceux qui dans le PS veulent renconcer à l’union de la gauche et remettre en cause le concept de classes sociales. A Metz, la motion Mitterrand-Poperen a receuilli 47% , elle forme une nouvelle majorité avec le CERES qui a rassemblé 15% et dont l’apport est encore une fois décisif pour réaffirmer l’ancrage à gauche du PS aux cotés de Mitterrand alors entouré des jeunes Laurent Fabius, Lionel Jospin et Paul Quilés. Les gauches du Parti sont donc de nouveau ensemble autour du 1er secretaire. Le projet adopté en janvier 1980 réaffirme la ligne unitaire d’Epinay enrichi par Poperen et les contributions du CERES. Les deux tendances soutiennent évidememnt la candidature victorieuse de Mitterrand en mai 1981...leur ligne politique et idéologique en est certainement l’un des causes principales.

En effet, le CERES et les poperénistes ont défendu pendant 10 ans les axes qui ont permis de gagner en mai 1981 : l’union de la gauche, des réformes de structure qui s’attaquent au fondement même du capitalisme, un PS de masse ancré au coeur de la gauche...

Il faut également noter l’influence importante des courants de gauche dans les jeunesses socialistes. Refondées en 1969 elles sont dirigéés jusqu’en 1971 par les jeunes proches de Poperen qui rallient alors le CERES étant en désaccord avec le soutien de leur leader à Guy Mollet. On sent ici toute la rivalité entre les deux sensibilités qui incarnent une ligne de rupture avec les compromissions de la SFIO d’un côté et l’impasse des groupes gauchistes de l’autre. Jusqu’en 1975 les JS, proches du CERES, développent une ligne souvent plus à gauche que celle du Parti notammant au moment du coup d’Etat au Chili en septembre 1973. Inquiets de cette influeunce les mittérandistes reprennent en main des JS en 1975 au moment ou le CERES bascule dans la minorité du PS.

Aprés 1981, Poperen devient numéro 2 du Parti tandis que Chevénement rentre au gouvernement comme ministre de l’industrie. Ils approuvent bien entendu les premières réformes du gouvernement Mauroy qui sont fidéles au mandat populaire du 10 mai : changer la vie !

Lorsque vient le temps de la pause en 1982 puis du tourant libéral de mars 1983 il est interressant d’étudier de prés l’attitude des deux courants de l’aile gauche du PS.

Lorsque le gouvernement décide le blocage des prix et des salaires en faisant le choix de l’adaptation libérale et non de la transformation sociale, le CERES et les poperénistes sont placés face à leurs reponsabilités. Ce choix de la rigueur n’enchante guère les deux courants, Chevénement démissionne en avril 1983 en désaccord avec la nouvelle ligne politique qui tourne le dos aux prommesses de 1981 tandis que les porénénistes dénoncent dans leur bulletin « l’insatisfaction du peuple de gauche »....cependant lors du congrés d’octobre 1983 à Bourg en Bresse ils signent tous les deux la motion majoritaire de Jospin validant ainsi la théorie de la « paranthése libérale » toujours ouverte 25 ans plus tard. Poperen reste numéro 2 du PS alors que Chevénement revient au gouvernement dés juillet 1984. La dénonciation est donc avant tout verbale. Ni le CERES ni les poperénistes ne se sont donnés les moyens d’engager le débat de fond dans le parti...ils ont préféré protéger la gauche au pouvoir ,en espérant que des vents meilleurs souffleraient bientôt pour le peuple de gauche...en vain...A partir de là le CERES, qui devient Socialisme et République en 1986, évolue vers des positions qui l’éloigne de l’aile gauche du PS jusqu’à son départ en 1993.

Le courant Poperen demeure lui dans la majortité du Parti tout en restant fidèle dans les grandes lignes à ses principes fondateurs et fait parfois entendre une musique un peu différente sur la politique sociale, salariale et fiscale pas assez favorable aux travailleurs notamment entre 1988 et 1991 lorsque Rocard est 1er ministre. Poperen et ses amis auraient souhaité plus de volontarisme et un combat plus affirmé contre les inégalités sociales et le libéralisme économique.

A partir de la fin des années 1980, l’aile gauche du PS va être peu à peu occupée par un nouveau courant très remuant : la Nouvelle école socialiste qui devient la Gauche socialiste en 1992.

II) Entre 1971 et 1981 deux authentiques courants de gauche

Au moment où les courants du PS tendent parfois à se transformer en écurie présidentielle exclusivement dévolue au service d’un leader, l’expérience de ces deux courants dans les années 70 est tout à fait interressante.

Le CERES et les popérenistes sont en effet de vrais courants d’idées s’appuyant sur une analyse idéologqiue et politique originale de la gauche ; de la société et du monde. Aujourd’hui les luttes de courants ont trop tendance à prendre la forme d’un combat de personne sans fondement politique clair. On peine parfois a trouver de réelles nuances de fond entre des courants aujourd’hui rivaux pour le contrôle du PS.

Certes, les deux courants de l’aile gauche du PS de cette époque ont bien entendu un leader médiaétique identifié et qui parfois personnifie le courant. Jean Poperen, universitaire, historien et orateur de talent et Jean Pierre Chevénement, lui aussi brillant, sont deux fortes personnalités qui ne négligaient pas les aspects tactiques mais dont la force étaient de s’appuyer d’abord et toujours sur une grille de lecture idéologqiue servant de base à leur courant. Ils attachent tous deux beaucoup d’importance à la formation des militants et des cadres et excellent dans les batailles idéologiques et théoriques comme nous l’avons vu lors des congrés décisifs pour l’orientation du socialisme français. Lors du congrés de Metz les arguments de fond des amis de Poperen et du CERES font beaucoup pour la défaite idéologique et politique de la deuxiéme gauche.

Leur ligne politique s’élabore collectivement, elle est diffusée par le biais d’une presse de courant. Jean Poperen a lancé fin 1969 un bulletin bimensuel « Synthése flash » dirigée par Colette Audry qui se maintient jusqu’à sa mort en 1997 ! Le courant posséde aussi une revue plus théorique : Les cahiers de l’ERIS (études, recherches et informations socialistes) qui diffussent et explicitent les grands concepts du « poperénisme ». Les proches de Chevénement possédent un outil comparable avec les cahiers du CERES qui proposent des dossiers très complets et argumentés. Pour eux ce sont des armes théoriques dans le combat quotidien pour le socialisme démocratique.

Ces deux tendances sont souvent définies comme marxistes bien qu’elles se soient rarement elles memes définies ainsi. Le CERES tout comme les popénistes croient en la lutte des classes et à l’antagonisme entre les forces du captital et celles du travail. En 1971, la motion du CERES au congrès d’Epinay se proclame révolutionnaire, on y touve écrit : « Le passage au socialisme a cessé d’être un rêve lointain renvoyé plus tard par les données sociales et politiques du pays pour devenir l’enjeu historique des luttes de notre temps ». Les deux courants proclament leur volonté de construire une société socialiste en France lors de l’arrivée de la gauche au pouvoir, ils veulent une vraie rupture avec le capitalisme. Le projet socialiste de 1972, très inspiré par le CERES proclame notamment : « Ce que le gouvernement de la gauche unie entreprendra et réalisera dans les 1er mois de son pouvoir engagera la suite de manière irréversible ». On retouve ce soucis d’irréversibilité de la rupture notamment chez les militants du CERES pour qui la gauche doit, dés son arrivée au pouvoir, prendre des mesures fortes qui engage immédiatemment l’édification socialiste : la nationalisation du crédit et de certains secteurs industriels, de nettes augmentations de salaires, de nouveaux pouvoirs pour les salariés dans les entreprises...

Le CERES insiste alors beaucoup sur l’autogestion, notion inscrite dans le projet du PS tout au long des années 70 et théme phare de syndicats comme la CFDT d’alors. Pour les proches de Chevénement l’autogestion est un facteur d’accélération de la collectivisation des moyens de production et marque son originalité dans le PS.

Les popérenistes reprennent ce théme mais n’en font pas un élement de leur identité politique. Cependant, le fameux tryptique du PS de l’apès Epinay : planification, nationalisation, autogestion est largement inspiré des doctrinnes du CERES et dans un moindre mesure de la tendance Poperen.

Les deux courants sont égalment très investis, ce qui est rare dans le PS, dans le mouvement syndical. On les retouve plutot à la CGT alors que les socialistes traditionnels privilégaient l’investisssment dans FO depuis 1947.

Il est cependant un terrain de bataille commune ou ils se retrouvent tous les deux : la dénonciation du courant Rocard et de la 2ème gauche. Le CERES dénonce la tentation néo travailliste des rocardiens ou leur volonté de simplement « repreindre la société bourgeoise ». Poperen polémique également contre les amis de Rocard et s’en fait même le spécialiste depuis leur passage au PSU ou ils animaient déjà deux sensibilités différentes. Poperen combat la théorie rocardienne des nouvelles couches tehnocrates de la société qui, selon lui, est une négation de la lutte des classes. En 1974, il lance à leur intention à la tribune du Conseil national du Parti : « Faudrait il aligner toute la gauche, la gauche profonde ; solide, sur les incertitudes, sur les contradictions de ceux qui sont à la charnière sociologique entre exploiteurs et exploités, à la charnière politique entre gouvernants et gouvernés, à la charnière idéologique entre la gauche et la droite ».

Au congrés de Nantes en 1977 c’est en priorité aux courants de l’aile gauche que s’adresse Rocard lorsqu’il parle des deux cultures de la gauche française. N’es ce pas là la querelle débuté en 1792 entre les Girondins et les Montagnards ?

Pour le CERES et pour les poperenistes les conceptions de la deuxième gauche vont complétement à l’encontre de ce qu’ils considèrent comme les principes fondateurs du mouvement ouvrier et démocratique.

Les deux courants défendent un parti socialiste de masse et ancré dans les luttes sociales. Pour eux, le PS doit être un relais et le débouché politique naturel pour tous ceux qui résistent au capitalisme. Pour Poperen, la majorité sociologique naturelle de la gauche ce sont les salariés dont il faut unifier les aspirations par un programme hardi.

Pour les deux courants de la gauche du Parti l’axe stratégique et politique identitaire demeure l’union de la gauche et l’alliance avec le PCF. Depuis la fondation de la SFIO tous les courants de gauche ont fait de l’union des forces populaires un marqueur politique fort. En effet, dans les années 30 la Bataille socialiste puis la Gauche révolutionnnaire ont toujours combattu les courants qui dans la SFIO étaient disposés à s’allier à des partis bourgeois comme les radicaux. Marceau Pivert défend en 1935-1937 un Front populaire de combat pour avancer vers le socialisme. 40 ans plus tard Poperen défend un « Front de classe » donc une alliance politique avec les communistes. Aprés la signature du programme commun en juillet 1972 il écrit dans un tribune dans la pressse : « Le programme commun est pour une bonne part, le résultat d’efforts poursuivis depuis de longues années par des militants unitaires aujourd’hui regroupés au sein du PS, de leur combat sans concession contre les conceptions petites bourgeoises technocratiques des éléments hostiles à l’union des gauches ». Cette union avec le PC est pour le CERES et Poperen la condition siné qua non à la rupture avec le capitalisme et indispensable à la victoire contre la droite. Aprés la rupture du programme commun en septembre 1977 et la défaite législative de mars 1978 l’aile gauche du Parti tient la ligne de l’unité envers et contre tout et retouve Mitterrand au congrés de Metz.

Cette intransigeance des deux sensibiltés sur l’union de la gauche et le refus de l’ouverture au centre qui briserait le front de classe est le point commun principal entre le CERES et les popérenistes.

Cependant au delà de ses convergeances sur une certaine approche marxiste de la société, sur l’unité des forces populaires, sur un projet alternatif au libéralisme appuyé sur des forces sociales mobilisées il existe aussi des réelles différences entre le courant Poperen et celui de Chevénement. Au delà des aspects tactiques que nous avons dejà abordés et des choix différents opérés lors des congrés il existe également de vraies nuances sur le fond.

Jean Poperen et ses amis se font par exemple d’intransigents défenseurs de la laicité républicaine et en font meme un élement dans leur polémique contre les chrétiens de gauche que l’on retouve en nombre chez les rocardiens mais aussi au CERES pour une minorité d’entre eux. Les popérénistes se font en quelques sorte les continnuateurs d’une certaine tradition anticléricale du socialisme français. En 1984, au moment ou se rallume les braises de la querelle scolaire, Jean Poperen se range dans le camp des laïcs intransigeants au sein du PS aux cotés de Joxe et Laignel. Il appelle dans Synthése Flash à la mobilisation générale des partis de gauche, des syndicats de l’enseignement et des fédérations de parents d’élèves pour défendre un grand service public unifié de l’éducation promi par Mitterrand durant sa campagne présidentielle. Il vit comme une trahison le recul du gouvernement et du Président en juillet 1984...au moment ou Chevenement devient ministre de l’éducation nationale..éclatant symbole de la divergence des deux hommes et de leurs courant sur cette question. En 1989 au monent ou éclate la polémique sur la question du voile à l’école, Poperen et ses proches se rangent une nouvelle fois dans le camp des laics « durs » en soutenat l’exlusion des éleves voilées de l’école de la République. Ils en profitent aussi pour fustiger la laicité ouverte défendue par une partie de la gauche.

La divergence entre le courant Poperen et le CERES est nettement plus forte sur l’Europe et la place du PC dans la gauche.

Sur la construction européenne ainsi que sur la relation transatlantique il y a de vraies divergences entre les deux sensibilités. Le CERES montre une réelle méfiance pour la construction européenne. Les amis de Chevénement dénonce souvent l’Europe comme un cheval de troie du libéralisme économique et de l’atlantisme. Il sont également extrémement critique sur la CEE car, pour eux, il remet en cause l’indépendance de la France et la souveraineté nationale. Le CERES, en politique étrangére et sur la CEE, se montre plus proche de l’hétitage gaulliste que des positions de tout un courant de la SFIO puis du PS. Le CERES est très attaché à plusieurs spécificités de la diplomatie de la France : l’indépendance par rapport aux Etats Unis et la Grande Bretagne, une politique arabe affirmée, une distance par rapport à l’OTAN. Jean Poperen, qui lors de ces années au PSU, était plutot antiatlantiste, ne cesse d’évoluer et sur le conflit israëlo-palestinien sa position est différente de celle de Chévenement et de ses amis. Peu à peu les popérénistes jugent le clivage entre le tiers monde et les forces impérialistes est dépassé et qu’il faut dans le monde de l’aprés décolonisation se ranger dans le camp des démocraties libérales.

Ce clivage sous jacent trouvera son illustration au moment de la guerre du Golfe en 1990-91. Alors que le CERES, désormais rebaptisé Socialisme et Répulique, a évolué sur de nombreux points s’loignant de l’aile gauche du Parti, il a gardé les mêmes positions sur la politique arabe de la France. Chevènement, alors ministre de la défense, démissionne en janvier 1991 et dénonce cette guerre injuste, se retouvant alors sur les mêmes positions que Julien Dray et Jean Luc Mélenchon, nouveaux leaders de l’aile gauche du PS. Dans le même temps Poperen, ministre des relations avec le Parlement, soutient totalement Mitterrand et explique la politique du gouvernement à l’Assemblée et au Sénat.

On retouvera un clivage assez semblable un an plus tard au moment du Traité de Maastricht. Le courant Poperen prend position pour le OUI tout en écrivant, dans une lettre à Laurent Fabius alors 1er secretaire, que pour entraîner les peuples et l’électorat de gauche l’Europe ne doit pas seulement être « celle des marchés, des entreprises, d’une technostructure mais aussi celle du monde du travail ». Les amis de Chevènement dénoncent la perte de souveraineté de la France notamment sur le plan économique et dénonce la monaie unique ainsi que la BCE. Il mène alors campagne pour le NON tout au long de l’année 1992 avant de quitter le PS un an plus tard pour fonder le MDC. Alors que Socialisme et République s’était retrouvé sur la même ligne que la Nouvelle école socialiste de Julien Dray lors de la guerre du Golfe, il est le seul courant à voter NON au référendum... aux cotés notamment du PCF.

On retouve là une autre vraie différence entre le CERES et les poperénistes. Dans les années 70, le CERES est littéralement fasciné par le PC qui est, jusqu’en 1977, le premier parti de la gauche. Mitterrand lui même dénonce en 1973 le CERES commme un courant de faux communistes avec de vrais petits bourgeois. Dans les organisations de jeunesse le CERES est investi dans l’UNEF Renouveau dirigé par le PC aprés la scission de 1971 tandis que les autres courants jeune du PS militent dans l’UNEF dirigée par les lambertistes de l’OCI. Poperen qui est lui passé par le PC dans les années 1950 connait le poids du stalinisme et s’il défend le programme commun c’est avant tout par efficacité politique. L’affaiblissement progressif du PC à partir de 1981 rend peu à peu caduc cette divergence.

Voilà dressé à grands traits l’histoire et les positions principales des deux courants de gauche du PS des années 70 et 80. Il s’agit pour nous militants socialistes en 2008 et attachés à la construction d’un authentique courant de gauche de tirer toutes les lecons de cette période.

Les amis de Poperen et le CERES ont réussit aprés 1971 à influencer en profondeur la ligne du Parti en y faisant prévaloir les grandes thématiques : rassemblement de la gauche et programme commun, liens étoits avec le mouvement social et syndical, rupture avec le capitalisme et édification d’une société socialiste par de vastes nationalisations, par la planification démocratique et par l’autogestion...jusqu’en 1983 ce sont les axes du PS dans l’oppostion puis lors des deux premières années du gouvernement Mauroy. Le bilan pour la période 1971-83 est donc positif pour l’aile gauche du PS car ses idées ont permis à la gauche de revenir au pouvoir en gagnant la bataille culturelle dans la société. Cependant, malgré leur puissance les deux courants sont impuissants à éviter le tournant libéral en 1983... en refusant de mener le combat dans le Parti, dans la gauche et au gouvernement. L’aile gauche est alors durablement affaiblie et cela pour au moins 10 ans.

On en revient donc à ce fameux tournant de 1983, ce choix politique, économique et stratégique toujours confirmé depuis 25 ans est en définitive le vrai probléme de la gauche francaise en général et du PS en particulier. En 2008, la tache principale pour un courant de gauche du Parti socialiste francais est de faire en sorte que cette parenthése libérale soit enfin refermée en défendant un grand parti unifié et démocratique de toute la gauche capable d’irriguer dans toute la société afin de s’assurer l’hégémonie culturelle.

Julien GUERIN, Beaune le 3 janvier 2008


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