La mue ultra-libérale du RN : comment Marine Le Pen et Jordan Bardella ont-ils pactisé avec les milliardaires ?

vendredi 14 novembre 2025.
 

Ces semaines de discussions budgétaires au Parlement ont confirmé, si certains avaient encore des doutes, le virage ultralibéral du RN bien que cette fibre ne l’ait jamais quitté. Les amendements et propositions des députés lepénistes ont tous tendu vers une direction : casser les services publics, casser l’Aide Médicale d’État (AME), l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH)… Tout en offrant 16 milliards de cadeaux aux grandes fortunes, pour le plaisir de satisfaire leurs meilleurs amis. Forts avec les faibles, faibles avec les forts, voilà la ligne du FN/RN

Le contre-budget du RN est l’aboutissement d’un revirement de la stratégie de l’extrême droite, qu’on peut détecter dans les discours de Bardella et des autres dès 2024. Quand elle se sent le vent en poupe, quand elle commence à flairer le pouvoir, qu’elle voit les orgueilleux palais pouvoir s’ouvrir à elle, l’extrême droite retombe dans ses réflexes pavloviens. Finis les discours « populaires », les mesures « sociales », aujourd’hui, au RN, on assume d’être pour les « gros » : les gros patrons, les gros exploitants agricoles. Le Pen et Bardella se prennent encore en selfie dans des bains de foule, mais pas sûr que ce virement ultralibéral permette au parti de conserver sa frange d’électorat populaire. Notre article.

Des signes avant-coureurs

Dès les élections législatives de 2024, Bardella avait multiplié les appels du pied au grand patronat. En juin 2024, il a multiplié les rencontres avec le MEDEF, le syndicat patronal. But de l’opération : « rassurer » les milieux économiques, en promettant que le RN au pouvoir ne changerait pas la politique austéritaire et pro-patrons, maintenir la réforme des retraites de 2023… Du macronisme ++ en somme.

Même exercice en septembre 2025 aux universités du MEDEF, où il avait tenté de rivaliser à l’applaudimètre patronal avec Attal et Retailleau. Succès mitigé, à en croire les retours et les indiscrétions des participants.

Bardella et ses fidèles renouent en réalité avec la tradition du FN de Jean-Marie Le Pen, à la ligne ultralibérale et reaganienne (du nom du Président étatsunien Reagan, à la fois très libéral économiquement et réactionnaire culturellement). Le président du RN brise donc la parenthèse « souverainiste » qui a prévalu au RN depuis les années 2010 : l’image médiatique d’un RN « proche des vrais gens » est tout à fait récente et ne résiste pas à l’épreuve des faits.

C’est aussi la mise en scène d’une tactique vieille d’un siècle à l’extrême droite : jouer la carte « populaire » et socialisante pour créer une diversion, attirer à elle un électorat populaire tout en menant une politique pro-patronale. La manœuvre a été éprouvée par les nazis avant leur prise du pouvoir. Pendant que Goebbels, chef du parti nazi à Berlin jouait les agitateurs populaires, Hitler faisait le tour des syndicats patronaux pour les rassurer sur la politique qu’il comptait mener (et a mené de facto).

Les affrontements de « lignes » au RN : réalité ou mise en scène ?

Ce double-discours cher à l’extrême droite, à la fois tourné vers les classes populaires et vers le patronat, met en doute le spectacle médiatique. Celui qui, à travers des « indiscrétions », des disputes « secrètes » entre cadres du RN, tente de faire croire que deux lignes idéologiques solides s’affrontent au RN.

D’un côté, les « marinistes », fidèles de Marine Le Pen, qui comptent par exemple le député Jean-Philippe Tanguy (issu du parti « gaulliste » Debout la France), les « souverainistes », derniers débris du moment Philippot (vice-président du FN de 2012 à 2017). Ceux-là, comme Marine Le Pen revendiquent un positionnement « ni droite ni gauche », tourné vers un électorat « populaire » et se teintent donc d’une (légère) coloration sociale.

Mais la peinture s’effrite vite, surtout ces derniers mois. D’abord, la condamnation de Marine Le Pen, pour détournement de fonds publics, à une peine d’inéligibilité, l’excluant de fait de la course présidentielle (sauf si le procès en appel lui est favorable), a affaibli ce camp et cette approche « ni droite ni gauche » et confuse.

Ensuite et surtout, même les tenants de cette ligne sont les premiers à lâcher du lest face au patronat, à commencer par… Marine Le Pen, qui avait pris fait et cause pour les patrons dès 2023. Mais le véritable rapprochement a lieu en coulisses, lors de rencontres « secrètes » (qui ont inopinément fuité dans la presse) entre RN et MEDEF, mais aussi le syndicat CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens). On connaît de plus la volonté de Le Pen de rendre son programme plus « crédible » sur le plan économique, depuis de longues années, comme à travers le cercle des « Horaces ».

La « ligne mariniste » n’est donc pas une direction politique et idéologique construite et réfléchie, mais davantage une rhétorique, une stratégie électorale et de communication, un opportunisme. Malgré tout, des propositions « sociales » du programme du RN ont disparu depuis 2024, sous les coups de boutoirs de Jordan Bardella et ses proches.

Ces derniers assument une ligne ultralibérale, en témoigne leur alliance avec l’UDR d’Éric Ciotti et sa ligne quasi libertarienne. Portée par l’exemple de Trump, Milei ou Meloni à l’étranger, la nouvelle direction du parti a imposé sa ligne de casse sociale assumée, en témoigne leur récent contre-budget.

La stratégie de Bardella et ses proches est différente de celle de la cheffe de file de l’extrême droite. Selon eux, le RN doit draguer les électeurs de la droite « classique », plus bourgeois, pour absorber cette famille politique en reprenant ses positions économiques, mais radicalisées. Exit donc le « ni droite ni gauche ».

Symptômes de ce revirement rhétorique : en février 2024, Bardella s’était dit « parfaitement » favorable au fait de faire travailler de force les bénéficiaires du RSA, proposition macroniste… Alors que les députés RN avaient voté contre. Désaccord idéologique ou simple incompétence ? Pour son contre-budget 2026, le député Tanguy, spécialiste des questions budgétaires au RN avait annoncé en juin une « grande réflexion interne » sur l’austérité budgétaire. Vu l’horreur à 60 milliards d’austérité, on devine quelle ligne l’a emporté.

La France que propose le RN : brutale et inégalitaire

Les discours « antisystèmes » du RN se heurtent à cette politique austéritaire et raciste : l’extrême droite n’a rien à proposer, sinon de la violence sociale, et raciale, au service du capital et des plus riches. Les cadres du RN tentent encore de sauvegarder les apparences, de se faire passer pour les défenseurs des classes populaires, mais le vernis est fragile. La prise du parti par Bardella n’a fait que projeter ces contradictions en pleine lumière.

La voilà la France du RN : celle qui traque les français au RSA, les immigrés, les chômeurs (les fameux « assistés »), les travailleurs sans-papiers. Les services publics seront saccagés, dans la santé, l’éducation, la culture, la justice… Pour le plus grand plaisir du marché et ses patrons, prêts à se gaver d’argent public. L’orgie macronienne de cadeaux fiscaux et de casse des services publics n’était qu’un avant-goût de la politique de l’extrême droite.

Comme le rappelle Jean-Luc Mélenchon dans son entretien à Mediapart, « Aujourd’hui, nous arrivons à une caricature de la politique de l’offre soutenue par tous les libéraux, de Faure à Attal. Elle se limite à un exercice comptable. Le centre veut 40 milliards d’économies. Comment ? Par des coupes budgétaires. Le Rassemblement national, 60 milliards. Et les sociaux-démocrates du PS, 20 milliards. Les trois sont sur une ligne comptable : des coupes pour seul projet. ».

RN, Macronie et PS portent en somme les mêmes constats sur le budget : il faut réduire les dépenses publiques, donc casser les biens communs. Le PS, avec ses « seulement » 20 milliards d’économies, négocie le poids des chaînes. Le RN se veut meilleur élève que Lecornu, se montre plus royaliste que le roi en voulant accélérer la casse de l’État social. Ils organisent et accompagnent la pénurie.

Rien à voir avec le contre budget des Insoumis, et ses 183 milliards de recettes supplémentaires, sans taper sur les classes moyennes et populaires, mais en luttant contre la fraude et l’optimisation fiscale, en répartissant les richesses et en rétablissant une justice fiscale. Contre la pénurie, le collectivisme et la planification.

Par Alexis Poyard


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