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A Toulouse, les urgences du CHU de Purpan et de Rangueil vont adapter leur organisation pour novembre et décembre 2025. L’objectif affiché est de se concentrer sur les cas graves et orienter les autres vers les médecins de ville. Mais derrière cette réorganisation temporaire, c’est tout l’effondrement du système hospitalier français qui se révèle avec des services saturés, une médecine de proximité presque absente et des équipes épuisées. Dans ce contexte, le budget Lecornu impose des coupes à la tronçonneuse qui vont aggraver une situation déjà chaotiques. Avec à la clé, des vies brisés, et des patients tués faute de moyens. Notre article.
Pour les mois de novembre et décembre, les urgences adultes du CHU de Toulouse vont fonctionner différemment. L’activité sera désormais réservée aux patients ayant besoin d’hospitalisation ou de soins hospitaliers, et les lits ambulatoires seront temporairement fermés, ce qui signifie que les consultations externes dans l’unité d’urgences ambulatoires seront suspendues. Cette réorganisation fait face à un constat alarmant. Le service manque d’environ 25 % de son effectif médical.
Des infirmiers supplémentaires seront présents à l’accueil, et les soins se concentreront sur les cas les plus graves. Les patients jugés « non urgents » seront orientés vers la médecine de ville. Cette réforme se veut temporaire, mais dans la réalité, elle met en lumière un problème plus profond. La médecine de proximité, censée prendre le relais, est presque inexistante et les urgences restent le dernier recours pour beaucoup.
La raison principale de cette réorganisation est simple. Le CHU peine à recruter. La profession d’urgentiste, déjà en tension depuis des années, n’attire plus. Les jeunes médecins fuient des conditions de travail devenues intenables avec des horaires interminables, des nuits à répétition, une pression constante et une reconnaissance minimale. Chaque départ alourdit la charge des équipes restantes, alimentant un cercle vicieux d’épuisement et de désaffection.
Dans la métropole toulousaine, près de la moitié des habitants vivent dans des zones médicalement délaissées. Même au centre-ville, obtenir un rendez-vous relève du parcours du combattant. Les étudiants, les précaires, les nouveaux arrivants se retrouvent sans médecin traitant. Les départs à la retraite s’accumulent, tandis que l’installation libérale attire de moins en moins. Dans ce contexte, renvoyer les patients « non urgents » vers la médecine de ville revient à les envoyer dans un désert.
Pour les personnes atteintes de polypathologies, la situation est encore plus critique. Ces patient·es nécessitent un suivi régulier, des prescriptions ajustées avec une coordination entre spécialistes. Sans médecin accessible, les délais s’allongent dangereusement. Chaque orientation vers la ville peut aggraver leur état. Alors, les urgences deviennent la dernière solution.
En 2024, les urgences de Purpan et de Rangueil ont accueilli près de 140 000 patients. Un quart d’entre eux s’y sont rendus uniquement parce qu’aucun rendez-vous n’était disponible ailleurs. Le dispositif de tri annoncé ne changera rien à cette réalité. Sans offre de soins de proximité, les patients reviendront. Parfois dans un état aggravé.
L’hôpital absorbe les soins que la ville n’assure plus. Les structures capables de salarier médecins, infirmiers, kinésithérapeutes ou psychologues demeurent trop rares, et l’absence d’une véritable politique de prévention aggrave encore la situation. Les maladies chroniques ne sont pas dépistées à temps, les suivis s’interrompent, les pathologies s’aggravent et les urgences explosent.
Les centres de santé territoriaux devraient devenir l’épine dorsale du système. Ils réuniraient sous le même toit médecins généralistes, spécialistes, infirmiers, kinésithérapeutes et psychologues, tous salariés. Ces structures offriraient une présence médicale durable, une coopération interprofessionnelle réelle et un accès égal aux soins. Elles offriraient aussi un cadre de travail stable et répondraient aux attentes d’une génération de praticiens qui préfère le salariat au libéral.
Mais au-delà des structures, c’est une vision qu’il faut reconstruire. Une santé publique qui reposerait sur la prévention, la proximité et la coopération entre ville, hôpital et territoires. Revaloriser les métiers du soin, repenser la formation, redonner du temps et du sens au travail médical. Voilà les conditions d’un renouveau pour sortir de cette impasse.
Cette situation n’est pas propre à Toulouse. Elle s’inscrit dans un contexte national tout aussi alarmant. Le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2026, défendu par le Premier ministre Sébastien Lecornu, prévoit 7 milliards d’euros d’économies sur la santé. L’objectif est de ramener le déficit de la Sécurité sociale à 17,5 milliards d’euros en 2026, contre 23 milliards cette année. Pour y parvenir, le gouvernement prévoit une hausse des franchises médicales, un moindre remboursement chez le dentiste, une limitation de la durée du premier arrêt maladie et même une taxation accrue des complémentaires santé.
Les hôpitaux, eux, subissent ce que les fédérations qualifient déjà de « pire cure d’économies depuis les années 2010 ». La hausse des dépenses d’Assurance maladie est limitée à 1,6 %, alors qu’elle progresse naturellement d’environ 4 % par an, notamment avec le vieillissement de la population.
En parallèle, le gouvernement prévoit un gel des pensions et des prestations sociales (RSA, APL, allocations familiales) en 2026, censé dégager 3,6 milliards d’euros d’économies.
Reconstruire le service public hospitalier Sur le terrain, ces mesures budgétaires se traduisent par des postes non remplacés, des lits fermés et une pression constante sur les équipes. Le personnel tente de faire mieux avec moins. Les hôpitaux fonctionnent désormais en flux tendu, sans marge de sécurité.
La France n’a plus de véritable politique de santé. Depuis des années, le soin en France est soumis à la logique budgétaire. L’hôpital public, étranglé par la tarification à l’activité (T2A), fonctionne comme une entreprise et chaque acte doit rapporter de l’argent pour équilibrer les comptes. Ce modèle a vidé le soin de son sens et épuisé tout le système.
Pourtant, donner du souffle aux hôpitaux est une urgence nationale. Cela passe par le recrutement massif de soignants, un investissement dans les infrastructures et une révision du mode de financement.
À Toulouse comme ailleurs, les urgences ne peuvent plus tout absorber. Elles sont le miroir d’un système qui s’effondre sous le poids de ses renoncements. Pendant que le gouvernement multiplie les appels à la responsabilité budgétaire, l’hôpital public continue de panser les plaies d’une société qui renonce à se soigner.
Rebâtir un système de santé humain et efficace suppose de retrouver une vision collective. L’État doit redevenir le garant de l’égalité d’accès aux soins. Le soin n’est pas une marchandise, c’est un bien commun. Sans vision à long terme, la santé restera inégalitaire et les urgences seront le dernier refuge pour ceux qui n’ont nulle part ailleurs où se tourner.
Par Mobina Shameli
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