Menacé, l’historien de l’antifascisme Mark Bray est contraint de quitter les États-Unis

mercredi 5 novembre 2025.
 

Le professeur à l’université Rutgers, dans le New Jersey, a fait l’objet de menaces de mort après la signature d’un décret par Donald Trump désignant le « mouvement antifa » comme terroriste. En partance pour l’Espagne, il explique sa situation.

Contacté par téléphone jeudi 9 octobre dans l’après-midi, Mark Bray était encore aux États-Unis, sur le point de prendre l’avion pour l’Espagne, avec sa femme et leurs deux enfants, après l’annulation mystérieuse de son billet la veille, alors qu’il allait embarquer.

Historien à l’université Rutgers (New Jersey), Mark Bray est l’auteur du livre L’Antifascisme. Son passé, son présent et son avenir (Lux, 2018, initialement publié aux États-Unis en 2017 sous le titre Antifa, the Anti-Fascist Handbook). Depuis que Donald Trump a signé un décret présidentiel le 22 septembre, désignant l’antifascisme comme un mouvement terroriste, il fait l’objet d’une vague de cyberharcèlement et de menaces de mort.

Une pétition lancée par Turning Point USA, le mouvement ultraconservateur fondé par Charlie Kirk, a été reprise par Fox News, et l’adresse personnelle de l’historien a été rendue publique sur les réseaux sociaux par des influenceurs d’extrême droite.

« Cet événement n’est pas anecdotique, a déclaré son éditeur, Lux, dans un communiqué. Il ne concerne pas qu’un historien américain, qu’une seule université. Il témoigne d’un étiolement rapide des droits démocratiques en Amériques. Quiconque tient pour fondamentaux la liberté de penser, la sécurité des personnes et le règne de la justice devrait être interpellé par cette situation. »

Le 8 octobre, lors d’une table ronde à la Maison-Blanche consacrée aux milieux « antifas », Donald Trump a justifié l’intervention de l’armée dans les grandes villes démocrates des États-Unis par l’existence de cette supposée menace. La ministre de la justice, Pam Bondi, a promis de « détruire l’organisation entière du sommet à la base ».

Après la manifestation d’extrême droite de Charlottesville, en 2017, Mark Bray, très sollicité dans les médias et connu pour son engagement au sein du mouvement Occupy Wall Street en 2011, avait déjà fait l’objet d’une campagne de l’alt-right l’accusant de faire l’apologie de la « violence » des groupes antifascistes. Il explique à Mediapart la situation dans laquelle il se trouve désormais, dénonce la criminalisation de la gauche aux États-Unis et « un précédent dangereux pour les libertés académiques ».

Mediapart : Comment êtes-vous devenu la cible de l’extrême droite ?

Mark Bray : J’ai publié mon livre en 2017, quelques jours après les affrontements de Charlottesville [des néonazis s’étaient rassemblés pour défendre une statue du général confédéré Robert E. Lee, des contre-manifestant·es s’y étaient opposé·es et l’une des leurs avait été tuée – ndlr],et il a connu un certain succès. Puis, pendant cinq ans, le sujet s’est effacé, jusqu’à ce que le président Trump signe un décret présidentiel, le mois dernier, déclarant le mouvement « antifa » comme une organisation terroriste – alors que, légalement parlant, seules les entités étrangères peuvent être déclarées terroristes.

Quelques jours plus tard, un influenceur d’extrême droite, Jack Posobiec, m’a qualifié de « professeur terroriste national » sur X. Le jour suivant, j’ai reçu la première menace de mort par mail : « Je vais te tuer sous les yeux de tes étudiants. »

La semaine qui a suivi, un autre influenceur d’extrême droite a fait un post similaire, et le groupe local de Turning Point USA à Rutgers a mis en ligne une pétition demandant mon licenciement. Alors qu’à ce moment-là, la pétition n’avait recueilli que quelques signatures, Fox News en a rendu compte – c’était samedi dernier [le 4 octobre – ndlr]. J’ai reçu une autre menace de mort par mail, contenant mon adresse.

Plusieurs personnes connues qui participaient à mon harcèlement ont été reçues à la Maison-Blanche.

J’ai donc commencé à me sentir mal à l’aise chez moi. Je suis historien de l’Espagne, c’est comme mon deuxième chez-moi, et j’ai décidé que je voulais y retourner. C’est un pays très différent, et très loin. Je ne souhaitais pas que cette décision soit rendue publique. J’ai écrit un mail à mes étudiants dimanche soir, leur expliquant que j’allais en Europe. J’ai été submergé par les messages de soutien, mais quelqu’un a posté ce mail et l’information est devenue publique.

Lundi, je recevais encore plus de menaces de mort, Fox News me consacrait un nouvel article, mon adresse et des informations sur ma famille ont été postées sur X. La nuit dernière, nous sommes arrivés à l’aéroport international Newark Liberty, nous avions fait le check-in, passé le sas de sécurité, tout allait bien, et au moment de monter à bord de l’avion, mystérieusement, quelqu’un avait annulé notre réservation.

Au même moment, plusieurs personnes connues qui participaient à mon harcèlement étaient reçues à la Maison-Blanche. Il est difficile de ne pas y voir une coïncidence.

Le même jour, Donald Trump a réuni une table ronde sur le « mouvement antifa » à la Maison-Blanche, et la ministre de la justice, Pam Bondi, a promis de « détruire l’organisation entière du sommet à la base ». Vous pensez qu’il y a un lien avec votre situation ?

Il y a probablement un lien avec cette réunion, mais selon moi, il y a clairement un lien avec la politique de l’extrême droite. Je suis convaincu que cette annulation est due à une intervention politique de l’extrême droite, qu’elle vienne du gouvernement ou d’un employé de la compagnie aérienne, un hacker, je ne sais pas. Mais je suis persuadé que c’était motivé politiquement.

Turning Point USA vous avait mis sur une liste de personnes à surveiller, vous accusant de faire de la propagande de gauche, comme des centaines de professeurs, mais votre harcèlement a commencé après l’assassinat de Charlie Kirk…

C’est vrai que cela a commencé après, mais ce qui a accéléré le harcèlement à mon égard, c’est le décret signé par Trump. Les deux sont liés. Depuis la mort de Charlie Kirk, dont Trump a accusé la gauche d’être responsable sans en avoir aucune preuve, il s’est servi de cet événement comme d’une opportunité pour s’en prendre à la gauche. Le désignation du mouvement « antifa » comme une organisation terroriste constitue une grande partie de cet effort. Et il concerne même les démocrates [que Trump a qualifiés le 7 octobre d’« insurrectionnistes » – ndlr].

Comment la communauté étudiante et universitaire a-t-elle réagi à votre situation ?

Avec indignation. J’ai le soutien total des syndicats de professeurs, qui ont écrit un communiqué en solidarité, du conseil de l’université, de mon département d’histoire, du doyen… J’ai reçu un élan massif de soutiens, incluant des pétitions d’étudiants.

Le récit promu par Turning Point USA selon lequel je serais en quelque sorte une menace pour la communauté de Rutgers est donc à l’opposé de la vérité. À savoir que je suis en fait aimé par la communauté de Rutgers, qui estime, comme moi, qu’il s’agit d’un précédent dangereux pour les libertés académiques.

Mathieu Dejean

https://www.mediapart.fr/journal/in...


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