En Irlande, la candidate de gauche élue présidente incarne « les aspirations » de la société

mercredi 5 novembre 2025.
 

Catherine Connolly est la nouvelle présidente de la République irlandaise. Sa seule rivale, la centriste Heather Humphreys, a reconnu sa défaite. L’universitaire Alexandra Maclennan analyse l’élection de cette présidente pro-Palestine, partisane de la réunification de l’île et parlant le gaélique.

https://www.mediapart.fr/journal/in...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20251025-184504&M_BT=1489664863989

aLa candidate indépendante de gauche Catherine Connolly a remporté, samedi 25 octobre, l’élection présidentielle irlandaise face à la seule autre candidate en lice, la centriste Heather Humphreys. Même si les résultats définitifs n’étaient pas encore connus samedi en fin d’après-midi, les résultats provisoires publiés par la BBC indiquaient une large victoire, avec 64 % des voix.

Heather Humphreys recueillerait près de 29 % des voix. Le candidat du Fianna Fail, qui s’était retiré de la course au début du mois mais dont le nom figurait toujours sur les bulletins de vote, aurait obtenu pour sa part un peu moins de 7 % des suffrages exprimés. La participation, particulièrement faible, pourrait ne pas dépasser les 40 % pour l’élection d’une cheffe de l’État qui, dans le système irlandais, n’a qu’un rôle essentiellement symbolique et honorifique.

Sans attendre, la candidate centriste a reconnu sa défaite et félicité la dixième présidente de l’Irlande. Celle-ci succède à Michael D. Higgins, qui occupait ce rôle depuis 2011. « Catherine sera la présidente de tous et elle sera ma présidente », a déclaré Heather Humphreys sur la télévision publique RTE.

Candidate indépendante soutenue par les principaux partis d’opposition, dont les Verts ou le parti nationaliste de gauche Sinn Fein, Catherine Connolly avait marqué la campagne par ses prises de positions sur la Palestine et le génocide à Gaza. Elle défend également la neutralité militaire de l’Irlande et plaide pour la réunification de l’île, dont le nord reste sous souveraineté britannique.

Comme le rapporte Courrier international, la campagne a été marquée par des tensions au sein de la société irlandaise et des attaques contre des centres d’hébergement de migrants, qui se sont produites après l’agression sexuelle d’une enfant attribuée à un homme d’origine étrangère. Elle a également été perturbée par la diffusion, quelques jours avant le scrutin, d’une vidéo générée par IA dans laquelle Catherine Connolly annonçait son abandon. Un « deepfake » que Meta, la maison mère de Facebook, a mis douze heures à supprimer.

Pour évoquer les enjeux et les conséquences éventuelles de cette élection, Mediapart a interrogé Alexandra Maclennan, maîtresse de conférence à l’université de Caen Normandie, spécialiste de la civilisation irlandaise et auteure de Histoire de l’Irlande. De 1912 à nos jours (Taillandier, avril 2021).

Mediapart : Quels étaient les enjeux de cette élection ? Que va changer, ou non, l’arrivée de Catherine Connolly ?

Alexandra Maclennan : Les enjeux étaient importants. Il s’agissait de remplacer Michael D. Higgins, qui était un président très populaire et consensuel. Il avait apporté à la classe politique irlandaise une dimension intellectuelle, une dimension politique qu’elle n’avait pas. Il avait réussi à faire l’unité autour de lui et il est resté en poste tout de même deux mandats de sept ans.

La fonction présidentielle en Irlande est purement honorifique. C’est une figure symbolique, représentative. Or, Michael D. Higgins a été le président de l’Irlande moderne. Il a incarné la sortie de la pauvreté, l’arrivée dans la modernité, la traversée de la crise et le rebond. Il était connu et apprécié avant d’être président, lorsqu’il était ministre de la culture. Il avait développé à ce poste une espèce de théorisation de la nouvelle identité irlandaise.

Remplacer une telle figure n’est pas chose facile. L’Irlande d’aujourd’hui est très différente de l’Irlande de l’époque où Michael D. Higgins est arrivé en poste. C’est une Irlande un peu post-politique, qui a dépassé les alignements théologiques et historiques autour du Fine Gael et du Fianna Fail, les deux grands partis issus de la guerre civile et de la guerre d’indépendance de 1922.

La fonction présidentielle est plus souvent occupée par une personnalité de gauche. Et on confie aux personnalités de droite la gestion économique.

Pour cette campagne, le candidat du Fianna Fail avait été évincé au début du mois d’octobre. Il y avait donc le Fine Gael, qui présentait comme candidate Heather Humphreys, face à Catherine Connolly, candidate indépendante. Mais, durant la campagne, il y a également eu des expressions de tout un tas de nouveaux partis qui se sont constitués autour des nouveaux enjeux sociétaux, des questions éthiques, de la question d’immigration ou de l’austérité. Il s’agit de petites formations politiques plus ou moins à gauche, plus ou moins alliés avec le Sinn Fein.

Or, Catherine Connolly a incarné un peu tout cela. C’était une candidate indépendante. Elle est une ancienne catholique devenue areligieuse, ce qui est très significatif en Irlande. Ses positionnements sur la Palestine, sa proximité avec le Sinn Fein… tout cela fait qu’elle était la candidate des aspirations actuelles des Irlandais, et de la jeunesse en particulier. Elle correspond aux alignements, aux choix de société des Irlandais actuellement.

Dans quelle mesure la question palestinienne a-t-elle pu peser dans cette campagne ? Quel point les Irlandais y sont-ils sensibles ?

Il y a une sympathie historique pour la Palestine en Irlande, tout simplement au titre de la solidarité contre la colonisation. On voit un peu partout en Irlande des drapeaux palestiniens, notamment sur les campus universitaires.

Le pays est gouverné par une coalition plus à droite et la présidente est issue de la gauche. Est-ce une configuration particulière en Irlande ?

Oui, c’est une particularité et c’est pour cela que ce pays est un sujet d’étude fascinant. Dans la vie politique quotidienne, il n’y a pas d’opposition droite-gauche comme partout ailleurs. Il y a deux partis qui sont des partis indigènes irlandais. La fonction présidentielle, elle, est considérée comme étant au-dessus des partis. Quand on devient président, les étiquettes politiques disparaissent.

Dans une sorte de distribution des rôles entre le président et le gouvernement, on remarque que la fonction présidentielle est plus souvent occupée par une personnalité de gauche. Peut-être parce que cette fonction incarne des idées, des projets de société, et que les personnalités de gauche sont vues comme ayant un arrière-plan théorique plus important. Et on confie aux personnalités de droite la gestion économique en attendant d’elles un libéralisme économique et un conservatisme fiscal.

Et il y a un autre élément dans sa personnalité qui a priori avait été beaucoup remarqué, c’était son usage du gaélique. Est-ce que ça put également jouer ?

Oui, tout à fait. De plus, Catherine Connolly est originaire de Galway. Or, Galway, c’est une province très importante pour les Irlandais. Tout d’abord, c’était la patrie, le fief de Michael D. Higgins. Elle s’inscrit donc dans sa continuité.

Ensuite, Galway c’est un peu la capitale de l’ouest de l’Irlande. Et c’est là qu’on parle gaélique. Michael D. Higgins, quand il était ministre de la culture, avait d’ailleurs lancé la chaîne de télévision gaélique. C’est donc une province dotée d’une forte charge symbolique.

La campagne a été marquée par plusieurs tensions. Il y a eu notamment les attaques contre des centres d’hébergement de migrants, une vidéo de « deepfake » ayant perturbé la fin de campagne et finalement, une abstention très forte. Est-ce un contexte électoral habituel ?

En réalité, la situation est tendue en Irlande depuis la crise économique de 2008. Il faut également comprendre que l’immigration en Irlande est très récente. Il y a notamment eu la vague polonaise au début des années 2000 [l’Irlande fut l’un des trois seuls pays de l’UE à ouvrir ses frontières aux Polonais –ndlr].

Mais l’immigration ne peut être absorbée que si les infrastructures du pays le permettent. Or, les infrastructures, malheureusement, n’ont pas suivi l’augmentation de l’immigration. De plus, il y a eu une accentuation de l’insécurité économique, la crise de pouvoir d’achat, l’inflation, la crise du logement.

Autant de problèmes qui ne sont toujours pas réglés. Aujourd’hui en Irlande, il n’y a pas assez de logements pour la population. Ils restent inabordables pour de jeunes professionnels, même ceux ayant suivi les meilleures études possibles. Et puis le système de santé est complètement débordé. Et, quand une population change, ces insécurités ressortent et peuvent prendre des nouvelles formes.

Jérôme Hourdeaux


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