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Le conseil des ministres a entériné l’inscription de la suspension de la réforme des retraites au projet de budget de la Sécurité sociale. Son financement sur le dos des retraités et des complémentaires santé est très critiqué, notamment par la CGT et la CFDT.
Sur la forme, le gouvernement veut donner des gages sur sa promesse de suspendre la réforme des retraites. Mais sur le fond, sa proposition de financement de la mesure suscite déjà une fronde car ce sont (encore) les retraité·es qui seront mis à contribution, ainsi que les complémentaires santé.
Le conseil des ministres a acté, jeudi 23 octobre, l’inscription de la suspension de la réforme des retraites au projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) et, plus précisément, entériné le recours à une « lettre rectificative » à ce texte, visant « à garantir la tenue d’un débat parlementaire loyal et sincère ».
Le gouvernement entend, selon un communiqué de Matignon, donner « un gage de clarté et de transparence » après avoir promis de suspendre cette réforme jusqu’en 2028. Jusqu’à présent, il avait indiqué que cette concession majeure faite au Parti socialiste (PS) pour s’éviter la censure prendrait la forme d’un amendement au PLFSS. Inconvénient majeur de ce « véhicule » législatif : si le budget n’est pas adopté, l’amendement ne le sera pas non plus.
En inscrivant directement la mesure dans le PLFSS initial, l’exécutif se ménage donc la possibilité de faire passer sa propre mouture du texte, sans les amendements qui auraient été votés au cours du débat parlementaire, par le biais d’ordonnances – et tout porte d’ailleurs à croire qu’il y aura recours.
La lettre rectificative a donc été présentée puis validée par le gouvernement lors d’un conseil des ministres dédié, présidé à distance par Emmanuel Macron depuis Bruxelles. Son contenu, toujours pas communiqué à l’ensemble de la presse à l’heure où sont rédigées ces lignes, a été révélé par Les Échos et l’AFP.
Ce texte indique le coût de la suspension de la réforme des retraites, évalué à 100 millions d’euros en 2026 et 1,4 milliard d’euros en 2027. Pour la financer, le gouvernement a inscrit dans sa lettre rectificative un nouvel « effort » pour les retraités pour l’année 2027.
Le contenu de la lettre prévoit en effet de faire progresser encore moins vite que prévu le montant de leurs pensions par rapport à l’inflation : la sous-indexation fixée initialement à 0,4 point passera à 0,9 point en 2027, selon le texte présenté en conseil des ministres. Le tout, après la décision d’un gel des pensions de retraite (et des prestations sociales) pour 2026, déjà annoncé par le gouvernement.
Une double peine dénoncée par les organisations syndicales. Pour La CGT et la CFDT, l’augmentation de la sous-indexation prévue en 2027 représente « une deuxième année blanche » pour les retraités et ce n’est « pas possible », indique à Mediapart Yvan Ricordeau, le secrétaire général adjoint de la CFDT en charge du dossier des retraites. « Les retraités les plus modestes ne peuvent supporter une telle mesure », ajoute-t-il.
« Ce n’est pas du tout acceptable, abonde Denis Gravouil, de la CGT. Cela va représenter une perte de 350 à 400 euros, au bout de quatre ans, sur une pension moyenne de 1 600 euros. » Selon lui, « cette accélération de la baisse des pensions vise à fragiliser le système par répartition pour mieux “[leur] vendre”, ensuite, un système par capitalisation ». Force ouvrière et la CFTC, interrogés par le quotidien L’Opinion sont sur la même ligne : la sous-indexation, « c’est non ».
Outre cette nouvelle contribution demandée aux retraités, le gouvernement entend financer la suspension de la réforme des retraites en rehaussant le taux d’une contribution exceptionnelle déjà demandée aux complémentaires santé dans le budget. Elle passera de 2,05 % à 2,25 %, comme indiqué dans la lettre rectificative.
Pour Denis Gravouil, si les assureurs privés « comme Axa ou Allianz » ont « peut-être des réserves », beaucoup de mutuelles « tenues à l’équilibre » risquent de répercuter cette contribution en augmentant les cotisations. « Et ce sera particulièrement dur pour les retraités qui n’ont pas de part de complémentaire prise en charge par un employeur », ajoute le cégétiste.
Du côté des réactions politiques, le président de la commission des finances, le député insoumis Éric Coquerel, critique les modalités de financement, jugeant que « les retraités partiront trois mois avant mais avec une retraite plus faible » quand Marine Le Pen, du Rassemblement national, déplore, en ces termes, les choix du gouvernement : « Ils tapent toujours sur les mêmes. Et en l’occurrence, évidemment, les retraités. » Le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard, se contente lui d’un « Bravo le PS ! », posté sur le réseau social X.
Le sénateur PS Patrick Kanner répond, dans Le HuffPost : « Les Insoumis n’ont servi à rien dans cette négociation historique. On a l’impression qu’ils ont envie que ça se passe mal alors qu’ils pourraient au moins être contents pour les 3,5 millions de personnes qui sont concernées par la suspension » de la réforme des retraites.
Clairement, ce n’est pas une suspension mais bien un décalage d’une année !
Denis Gravouil, en charge des retraites à la CGT
Une suspension qualifiée d’« enfumage » par la CGT, dans un communiqué publié après le conseil des ministres. La lettre rectificative présentée par Sébastien Lecornu « valide les craintes » de l’organisation syndicale selon qui « la suspension est en réalité un décalage ». Emmanuel Macron l’a d’ailleurs dit, mardi 21 octobre : « Ce n’est ni l’abrogation, ni la suspension, c’est le décalage d’une échéance. »
Le texte présenté en conseil des ministres porte sur le gel à 62 ans et 9 mois de l’âge de départ à la retraite jusqu’à début 2028 – cela concerne la génération née en 1964 –, puis la reprise progressive de la réforme qui prévoit à terme un départ à 64 ans. « Les gens nés en 1965 partiront donc à 63 ans », commente Denis Gravouil. « Clairement, ce n’est pas une suspension mais bien un décalage d’une année. En gros, on regagne un trimestre sur ceux qu’on a perdus ! » Et conclut : « Le minimum pour nous, c’est un blocage : que ça s’arrête à 62 ans et 9 mois et que le débat sur l’âge soit renvoyé après la présidentielle de 2027. On ne lâchera pas ce morceau-là. »
L’organisation syndicale a appelé, dès la mi-octobre, à une journée de mobilisation des retraité·es, le jeudi 6 novembre prochain. « Cette mobilisation doit faire tache d’huile », insiste aujourd’hui la CGT, à la lecture des intentions du gouvernement.
Cécile Hautefeuille et Dan Israel
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