Elsa Faucillon : « Macron doit partir, et qu’il emmène avec lui la Cinquième République ! »

mardi 4 novembre 2025.
 

La députée communiste estime que seul le départ du chef de l’État offrira une possibilité de stabilité au pays. Pour cela, elle plaide pour un front uni de la gauche, seul moyen de lutter contre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, sur fond d’union de cette dernière avec la droite LR.

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Comme la quasi-totalité du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) dans lequel elle siège depuis 2017 (à l’exception de Yannick Monnet et de Mereana Reid Arbelot), Elsa Faucillon a voté pour la censure du gouvernement de Sébastien Lecornu jeudi 16 octobre. Mais plutôt que de renverser une énième fois le gouvernement, elle plaide pour « une présidentielle anticipée mais pas précipitée », estimant que « la colère contre Macron est massive ».

Surtout, la députée communiste, élue dans les Hauts-de-Seine, continue de pousser en faveur de la ligne unitaire à gauche, laquelle divise au sein du Parti communiste français (PCF). Elle s’inquiète des fractures qui ont de nouveau séparé les anciens partenaires du Nouveau Front populaire (NFP), alors que la droite Les Républicains (LR) n’en finit plus de se rapprocher du Rassemblement national (RN), encouragée dans ce mouvement par le soutien complaisant des milieux d’affaires à l’extrême droite.

Mediapart : L’Assemblée nationale démarre l’examen du budget. Comment abordez-vous ces semaines de débats ? Sur quels sujets allez-vous vous mobiliser ?

Elsa Faucillon : Le budget présenté s’inscrit dans la droite ligne des précédents, ceux-là mêmes qui ont mis nos comptes dans le rouge, ont fait reculer le pouvoir de vivre, appauvri retraités, chômeurs, jeunes, classes moyennes et populaires. La promesse de ne pas utiliser l’article 49-3 n’enlève en rien au coup de force que ce budget constitue. Cette politique est largement refusée, contestée, elle est portée par des dirigeants qui depuis leur tour d’ivoire assènent le récit du sacrifice pour mieux déposséder le monde du travail. Se battre pied à pied contre chaque injustice contenue dans ce budget et faire valoir nos propositions sont une évidence ; celle-ci n’altère pas la lucidité sur le jusqu’au-boutisme de l’exécutif. Il fera tout pour imposer ses choix de classe. La censure se posera à nouveau.

Mais les forces de gauche se sont divisées sur la censure du gouvernement Lecornu…

J’ai beau être très unitaire, le choix des socialistes me met à l’épreuve ! C’est le Parti socialiste (PS) qui a divisé sur cette question. C’est terrible et ça me met en colère. Cela crée beaucoup de confusion dans un moment qui, précisément, demande de la clarté. Ce compromis avec Macron, pourtant honni dans le pays, est à rebours de la rupture nécessaire.

Le risque fasciste nous oblige à créer un chemin d’espoir. Se déchirer aujourd’hui serait un contresens historique.

Mais surtout, ce souci illusoire d’aller récupérer des voix au centre risque de fracturer encore un peu plus les déjà faibles perspectives de rassemblement de toute la gauche et des écologistes. Pourtant, pour stopper cette mécanique implacable, pour déjouer l’ascension de l’extrême droite, on ne peut gagner qu’avec une gauche bien ancrée, claire sur ses positions et rassemblée.

Le risque fasciste nous oblige à créer un chemin d’espoir. Se déchirer aujourd’hui serait un contresens historique, mais il faut lutter à la fois contre l’isolement et les tentations libérales qui en rattrapent certains. Tout ce qui serait en deçà de ce qu’on a construit en 2024 avec le Nouveau Front populaire (NFP) mènerait au désespoir et aggraverait le risque du danger extrême.

Le PS a fait le « pari » de la suspension de la réforme des retraites. Ce pari peut-il être gagné ? Et vous-même, voterez-vous le budget si de telles concessions y apparaissent ?

Le PS fait surtout le « pari » de la conquête du centre, c’est à mes yeux tout à fait illusoire. Je vois au contraire la possibilité pour Macron et Lecornu d’échapper à la responsabilité immense qu’ils ont dans cette situation en la reportant sur les oppositions, et tout particulièrement sur la gauche. Le piège de l’inversion de la charge de la responsabilité me semble aussi visible qu’un nez au milieu de la figure !

Le budget présenté est d’une grande violence pour les classes moyennes et populaires ; taxe par taxe, il s’attaque aux plus modestes, aux malades, aux apprentis, aux retraités… Jamais nous ne voterons un tel budget !

La solution passe-t-elle par une dissolution ou une élection présidentielle anticipée ?

Quand une crise se fige, il faut rompre l’impasse : rendre la parole au peuple souverain.

Je comprends la peur de celles et ceux qui voient le risque d’une victoire de l’extrême droite, mais pour conjurer cela, la solution ne peut être de refuser de s’en remettre au choix des citoyens. Cela passe justement par un immense travail pour la gauche, pour que la colère porte vers l’espoir.

Les Français ont identifié que le problème, c’est Emmanuel Macron. Je plaide pour une présidentielle anticipée mais pas précipitée. Ce n’est pas le plus probable, et s’il y a dissolution, je repartirai en campagne avec mon bâton d’unitaire, mais je vois un risque : ces élections pourraient apparaître comme des « sous-élections » par rapport à la présidentielle. D’autant qu’il y a une vraie lassitude : pourquoi voter, si le président ne respecte pas les scrutins ? Ce risque est présent, il ne m’a pas empêchée de voter la censure.

La colère contre Macron est massive, même si elle s’exprime différemment selon les gens. Beaucoup trouvent affligeant le spectacle des démissions, des re-missions, du silence du président. On entend souvent : « Ils s’en foutent de nous ! »

J’entends des commentateurs pointer une contradiction entre le rejet de Macron et la demande de stabilité ; j’y vois à l’inverse une cohérence ! Mais oui, il y a de la peur. On assiste à une forme de tension entre une aspiration à des changements profonds et la peur que ça puisse être pire encore. Et franchement, parfois, quand je vois comment les politiques de Macron ont affecté les vies dans ma circonscription, je me demande comment les gens tiennent. Et pourtant ils tiennent debout et restent dignes. Il faut qu’on soit à cette hauteur.

On assiste à une confrontation entre l’obstination dogmatique d’un homme qui défend sa caste et une aspiration populaire à reprendre la main sur la richesse collective.

En plus de la dépossession économique, la dépossession démocratique est elle aussi au cœur des réactions. Non seulement Macron ne les connaît pas, mais en plus il ne les écoute pas. Oui, Macron doit partir, et qu’il emmène avec lui la Ve République !

Comment avez-vous observé la rentrée politique, de la première nomination de Sébastien Lecornu jusqu’à sa déclaration de politique générale ?

Macron est en train de casser le pays. Ces dernières semaines ont révélé à quel point il pouvait aller loin, c’est délirant. On voit s’exprimer une aspiration à l’égalité, à la justice sociale très forte. Beaucoup de gens ont compris que les « assistés » n’étaient pas les travailleurs, les chômeurs, les malades, les étudiants ou les travailleurs sans papiers, comprenant par là même que la politique de Macron était au service de sa caste.

Ils ont bien conscience qu’il y a des marges de manœuvre énormes pour faire autrement. La commission d’enquête de mon camarade [le sénateur communiste – ndlr] Fabien Gay [sur les aides publiques aux entreprises – ndlr] a contribué à cette prise de conscience. Les habitants savent désormais que l’État verse chaque année plus de 210 milliards aux plus fortunés. C’est insupportable. Chaque semaine, je rencontre des personnes pour qui 50 euros de plus par mois changeraient déjà la vie. Ça veut dire des repas en plus, un peu de répit.

On a aujourd’hui un État au service d’un capitalisme sans foi ni loi. Ce sont les choix politiques d’Emmanuel Macron qui ont permis, installé et aggravé cette situation. On assiste donc à une confrontation entre l’obstination dogmatique d’un homme qui défend sa caste et une aspiration populaire à reprendre la main sur la richesse collective. Le maintien obstiné, méprisant, autoritaire d’Emmanuel Macron au pouvoir crée une immense colère dans le pays, plus que légitime.

Macron a refusé de tirer les leçons du verdict des urnes en 2024, pire on apprend via Le Figaro que l’un des objectifs de la dissolution était de placer le Rassemblement national (RN) au pouvoir. Ses calculs cyniques sont le point de départ de cette situation surréaliste des derniers jours. Dans ma circonscription, beaucoup ont comparé cette période à une farce, une farce tragique, qui à mon sens est un terreau fertile pour le pire, sauf si, à gauche, on prend cela à bras-le-corps.

Vous dites « à gauche » et vous vous affirmez très unitaire, mais cette question de l’unité à gauche fait-elle consensus au sein du PCF ?

Oui et non. Je crois que les volontés solitaires exprimées en 2018 par l’élection de Fabien Roussel comme secrétaire national sont aujourd’hui questionnées par les adhérents. Il y a du doute, à la fois du fait des échecs de cette stratégie mais aussi du fait de la montée de l’extrême droite. Nous sommes placés devant une responsabilité historique. Cela résonne nécessairement fortement chez les communistes. Pourtant, il y a peu, Fabien Roussel a de nouveau fermé la porte à des discussions qui incluraient La France insoumise (LFI). Ça n’a pas de sens au vu de nos proximités. Nous partageons une ambition de rupture avec les politiques néolibérales. Participer au scénario des deux gauches irréconciliables serait une offrande à nos adversaires.

La droite LR et le RN multiplient les clins d’œil à destination de leurs cadres, élu·es et électorats respectifs. Après avoir longtemps voulu modifier ce système, le RN est en train de comprendre les avantages qu’il pourrait tirer de la Ve République en cas d’accession au pouvoir. N’y a-t-il pas urgence à agir ? N’est-il pas déjà trop tard ?

Nous vivons un moment d’accélération, inquiétant. La fusion des droites est de plus en plus réelle. Tous les jours, des digues lâchent. Nous l’avons vu il y a quelques mois sur la question du droit du sol, par exemple.

Il y a une chose sur laquelle la gauche, et pas seulement elle, devrait être plus alerte, c’est le très faible niveau de protection de notre État de droit.

On le voit à l’Assemblée nationale par des votes identiques, des amendements qui se recoupent, la frontière entre la droite et l’extrême droite s’efface, des coalitions s’envisagent pour les élections. Je constate aussi que des députés RN sont désormais traités avec complaisance, parfois complicité, par des ministres ou leurs cabinets. Pourtant, cette majorité, même défaite, a été élue grâce au front républicain.

Il faut ajouter que le patronat et la finance ne se cachent plus pour se rapprocher de l’extrême droite, parfois même pour la soutenir ouvertement.

Considérez-vous que nous sommes dans une crise de régime ? Comment expliquez-vous, dans une telle situation, que la gauche ne porte pas dans le débat public des propositions et un discours forts sur la nécessité de changer notre système institutionnel ?

Les questions démocratiques ne sont ni secondaires ni annexes. Elles sont intimement mêlées aux questions sociales. Je ne doute pas que les historiens jugeront la période actuelle comme l’agonie de la Ve République, et ça peut durer longtemps !

Mais il y a une chose sur laquelle la gauche, et pas seulement elle, devrait également être plus alerte, c’est le très faible niveau de protection de notre État de droit. Je frissonne en regardant vers les États-Unis. Au nom de la stabilité, nos institutions sont hyper-centralisées et les pouvoirs du président bien plus importants qu’ailleurs en Europe.

L’extrême droite au pouvoir aurait de grandes latitudes pour glisser vers moins de démocratie, mais aussi vers moins d’égalité, moins de liberté. Il est urgent d’y regarder, à la fois pour déjouer ce scénario mais aussi, disons-le, pour poser des actes au cas où…

La Constitution peut être modifiée. La question est de savoir s’il reste suffisamment de républicains à droite !

Sarah Benhaïda


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