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Dans cette saison budgétaire, particulièrement floue, chaque nouveau point de clarté ouvre toujours plus d’hypothèses brumeuses. Dernier épisode en date : l’annonce par Sébastien Lecornu, mardi, du passage par une lettre rectificative au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) plutôt que par un amendement pour y intégrer la promesse de suspension de la réforme des retraites de 2023. Si le débat sur le véhicule législatif – technique, mais aussi politique – est enfin tranché, s’ouvrent aussi des hypothèses institutionnelles inédites dans l’histoire de la République.
Si l’intégration de la suspension de la réforme des retraites dans le texte initial du gouvernement « sécurise » cette concession, cela peut vouloir dire que le gouvernement pense que ledit texte a des chances de s’appliquer, sans modification. Comment ? Dans l’hypothèse où il décide (c’est un choix politique, il n’y a pas d’automaticité) de légiférer sur le budget par ordonnances, à l’issue des délais constitutionnels pour les débats parlementaires de soixante-dix jours pour le projet de loi de finances (PLF, le budget de l’État) et de cinquante jours pour le PLFSS, sans aucun vote de l’Assemblée nationale.
Donc, sans que le Parti socialiste soit obligé de voter pour un budget « inacceptable » d’après ses mots. Il est alors possible d’imaginer une chorégraphie un peu grossière : le gouvernement prend ses ordonnances, le PS s’insurge, dépose une motion de censure, le gouvernement tombe, certes, mais le budget est passé. La réforme Borne est suspendue, financée par une sous-indexation des pensions et une contribution exceptionnelle sur les complémentaires santé selon Les Échos, mais le « musée des horreurs » est adopté.
À ce jour, les socialistes jurent qu’il ne s’agit en aucun cas de leurs intentions. L’objectif reste d’expurger le PLFSS de ses mesures antisociales, assure Philippe Brun, coresponsable du PLF au PS : « Si on voit que le débat s’embourbe et qu’on va vers les ordonnances, on censurera avant. » Plusieurs l’affirment : la « sécurisation » de la suspension de la réforme des retraites – carrément déjà un acquis pour certains – leur rendrait même plus facile une censure du gouvernement si les débats tournent mal.
Quoi qu’il arrive, il y aura à un moment un dilemme et « une discussion extrême douloureuse » dans le groupe PS : où se situe la barre d’un budget « acceptable » ? Et s’il ne l’est pas, est-il possible d’acheter la suspension de la réforme des retraites à un prix social exorbitant ? Une scène cocasse démontre par l’absurde que tout le monde n’est pas vraiment sur la même ligne dans le groupe.
Mardi, lors du point presse hebdomadaire du PS, Romain Eskenazi, à rebours des autres groupes de gauche, saluait « de premières victoires en commission des Finances comme le début du chemin vers un budget plus juste pour les Françaises et les Français ». Quelques minutes plus tard, une autre porte-parole socialiste, Mélanie Thomin, regrettait le rejet de toutes les propositions de justice fiscale de la gauche, dont la taxe Zucman, par un axe macrono-lepéniste.
Peu de socialistes sont en réalité capables, à cette date, de tracer une ligne entre un budget acceptable et un budget inacceptable. Par prudence, d’abord, dans un maquis budgétaire pour le moment objectivement indémêlable : si la journée de lundi en commission des Finances a, il est vrai, été plutôt favorable au gouvernement, ce n’était déjà plus le cas mardi ; les votes erratiques du Rassemblement national complexifient la lecture des événements.
Par refus, aussi, d’imaginer le coût politique et social de leur accord de non-censure tacite avec le gouvernement. Philippe Brun se risque à donner quand même un objectif : « Il y a 13 milliards d’horreurs sociales dans le budget à expurger, qu’il faut compenser par une fiscalité du patrimoine. »
Optimiste, l’élu de l’Eure, qui assure avoir parlé avec tous les groupes sauf ceux d’extrême droite pour jauger la situation, croit voir des majorités en séance (à partir de vendredi) pour supprimer les gels du barème de l’impôt sur le revenu, des pensions de retraite ou le triplement des franchises médicales.
Mais, au vu des discussions en commission, comment imaginer que les groupes du bloc central disent amen à des milliards d’impôts supplémentaires sur les plus hauts patrimoines, que ce soit par le truchement de la taxe Zucman ou d’une autre manière ?
Étonnamment, les socialistes sont globalement assez d’accord pour estimer que celui-ci a bien plus de chances de mal tourner qu’autre chose pour eux. La différence, c’est que certains ne voient pour l’heure que les chances de réussir, les autres que les chances de perdre.
Article de Rachel Garrat-Valcarcel, L’Humanité
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