Budget : l’équation à mille inconnues qui attend les parlementaires

jeudi 23 octobre 2025.
 

Alors que les discussions budgétaires s’ouvrent à l’Assemblée nationale, les chances de voir se réaliser la promesse de suspension de la réforme des retraites sont minces. Autour d’Olivier Faure, on estime néanmoins que le rapport de force enclenché avec le gouvernement aura raison des chausse-trapes de la procédure parlementaire.

L’Assemblée nationale a entamé, lundi 20 octobre, un automne budgétaire à haut risque. « On entre dans une période qui ressemble à un saut dans le vide et je ne sais absolument pas comment on va en sortir, reconnaît sous couvert de l’anonymat une députée du Parti socialiste (PS), après le choix de non-censure de son groupe. Mais une chose est sûre : on joue gros et on n’a pas le droit de se planter. »

Mardi 14 octobre, lors de son discours de politique générale, le premier ministre a formulé trois promesses, arrachées par les socialistes moyennant un sursis accordé au gouvernement : donner un peu de mou – de l’ordre de 9 milliards – aux restrictions budgétaires prévues, renoncer au 49-3 pour faire adopter le budget 2026, et surtout suspendre la réforme des retraites jusqu’en 2027.

« Sans 49-3 et sans majorité absolue, le Parlement aura le dernier mot. À vous de prendre ce pouvoir qui est une chance », a enjoint Sébastien Lecornu face aux députés, reconnaissant en creux l’étendue de l’anomalie démocratique qui avait prévalu jusqu’ici. Après trois années durant lesquelles l’exécutif, dénué de majorité au palais Bourbon, a fait adopter le budget sans vote, « c’est presque une révolution », a même osé le premier ministre.

Toute la semaine, le PS s’est donc bruyamment félicité d’avoir réussi à faire plier le gouvernement sur son totem des retraites. Une « victoire » comparable au recul de Jacques Chirac sur le contrat première embauche (CPE) en 2006, ont répété les proches d’Olivier Faure. « Il faut faire la démonstration que la démocratie sert à quelque chose. C’est le pari que nous faisons. Pour la première fois depuis 1958, le Parlement sera complètement souverain », estime le premier secrétaire du PS dans un entretien accordé à Mediapart.

Une nouvelle ère

Mais au démarrage des débats sur le projet de loi de finances (PLF) et sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), la suite est très loin d’être écrite. Comme un inquiétant signal, avant le week-end, ni le parti d’Olivier Faure ni le gouvernement, pourtant concernés au premier chef, n’avaient encore arrêté les contours du circuit législatif à même de remplir les conditions nécessaires à la réussite du « pari » socialiste.

« Je crois que personne, y compris Stéphanie Rist [la ministre de la santé – ndlr], n’a la moindre idée de comment les choses vont se dérouler », reconnaît le député Horizons Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales, qui examinera pourtant le PLFSS à partir de jeudi. « Ceci dit, ajoute-t-il, on arrive à un moment du film où tout est possible. »

Sur le papier, la décision du gouvernement de renoncer au 49-3 a certes ouvert une nouvelle ère dans la conduite des dossiers législatifs. « En rendant nécessaires des votes sur les dépenses et les recettes, Lecornu a fait une grosse concession », confirme Olivier Rozenberg, professeur associé à la Libre université internationale des études sociales (Luiss) de Rome (Italie), qui rappelle qu’un seul équivalent a eu lieu sous la Ve République, au moment de la première année de mandat de Michel Rocard.

Le socialiste, sans majorité au Parlement, avait alors « dealé » avec les centristes et les communistes pour faire passer le budget. « Sauf que Rocard ne s’était pas interdit d’avoir éventuellement recours au 49-3, ce qui permettait de maintenir la pression sur les députés, et la majorité absolue était alors beaucoup moins difficile à atteindre qu’aujourd’hui », nuance le politiste.

La copie initiale du budget de la Sécurité sociale a donné des sueurs froides à la gauche parlementaire.

Cette fois, l’équation apparaît si labyrinthique et incertaine que rien ne dit qu’elle ne se transformera pas rapidement en un inextricable guêpier. « J’aime bien les contes, les légendes et la mythologie, mais il faudrait un tel alignement des planètes pour que Lecornu respecte sa promesse que cela apparaît improbable », estime le député insoumis Hadrien Clouet. Seul un « miracle » permettrait au PS de réussir son « pari », a fustigé sa collègue de banc Gabrielle Cathala dans l’émission « À l’air libre », ajoutant redouter que les socialistes ne fassent en réalité que « prendre les gens pour des imbéciles ».

Parsemé de chausse-trapes réglementaires et de nids de poule tactiques, l’étroite voie de passage vers la suspension de la réforme Borne est en effet très escarpée. Première embûche : le véhicule législatif choisi par le gouvernement pour faire passer le texte. Alors qu’un projet de loi ad hoc aurait pu être examiné – et sans nul doute obtenir une large majorité grâce aux votes de la gauche et du Rassemblement national (RN) –, l’exécutif a décidé de l’intégrer par amendement dans le prochain PLFSS.

Une décision logique en apparence, le relèvement de l’âge de départ à 64 ans ayant été lui-même adopté via un PLFSS rectificatif en 2023. Mais qui implique que l’ensemble du budget de la Sécurité sociale soit adopté pour que la suspension soit effectivement validée. Or, c’est peu dire que la copie initiale de ce texte, présentée par le gouvernement mardi 14 octobre, a donné des sueurs froides à la gauche parlementaire.

Reprenant dans les grandes largeurs le projet de François Bayrou, elle propose, sur fond de stagnation de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam), le doublement des franchises médicales, le gel des pensions de retraite et des prestations sociales, ou encore la baisse du plafond de prise en charge des indemnités journalières pour les affections de longue durée. Soit un véritable « musée des horreurs », dénoncé jusqu’au flanc droit du groupe socialiste à l’Assemblée.

De nombreuses inconnues

Dès lors, comment imaginer que le parti d’Olivier Faure assumerait de voter de telles mesures ? Dans les rangs du PS, on assure que la copie du gouvernement sera sensiblement remaniée – et donc améliorée – à l’issue de l’examen dans l’hémicycle. On en veut pour preuve le précédent de l’année dernière, lorsque la gauche avait – avec l’appui de l’extrême droite – dégagé des majorités afin de voter des dizaines de milliards d’euros supplémentaires pour financer la Sécurité sociale, avant que le couperet du 49-3 ne supprime la totalité des amendements adoptés.

Les députés parviendront-ils à s’accorder sur une copie finale, acceptable par la gauche ? Sur cette question aussi, les inconnues sont nombreuses. Car les débats ne devront pas déborder le délai de cinquante jours dévolu à l’examen du PLFSS en séance. Or, au vu des milliards en jeu, la bataille s’annonce homérique. Rien ne dit par ailleurs que le texte sera adopté en séance.

Pour ce faire, le groupe présidé par Boris Vallaud devrait soit voter le budget et soutenir de fait le camp présidentiel – une option exclue pour le moment ; soit a minima s’abstenir. Auquel cas, le PS devra convaincre les députés écologistes et communistes de s’abstenir eux aussi pour que le texte passe, ce qui relève de la gageure. « Pour que le texte passe si tous les autres membres de l’opposition s’y opposent, les socialistes sont obligés de voter le budget. Si le PS ne veut que s’abstenir, il faut dans ce cas que les écologistes et les communistes s’abstiennent eux aussi et que les députés Les Républicains votent pour », résume Olivier Rozenberg.

En réalité, quel que soit le bout par lequel on prend le schmilblick, tous les chemins mènent aux ordonnances.

Hadrien Clouet, député insoumis

Dans l’hypothèse où ce scénario échouerait, le gouvernement, arguant que la France ne peut se passer de budget annuel, aura alors beau jeu de recourir aux ordonnances – du jamais-vu jusqu’à aujourd’hui. L’issue serait d’autant plus catastrophique pour la gauche que c’est alors le budget initial, où l’on ne trouve nulle mention de la suspension de la réforme des retraites, qui serait mis en œuvre sans possibilité d’amendements.

Si au contraire le PLFSS était adopté, resterait alors à passer l’épreuve de la navette parlementaire. Une étape des plus aléatoires puisque, selon toute probabilité, le Sénat, dominé par la droite Les Républicains (LR), ne votera pas « conforme » le budget proposé par l’Assemblée nationale et rejettera l’amendement de suspension de la réforme des retraites. Il reviendra ensuite à une commission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et de sept sénateurs, et où la droite est là aussi majoritaire, de tenter de produire une nouvelle copie de consensus.

Le spectre de la dissolution

À ce niveau du processus, deux embranchements pourront être empruntés : soit la CMP est conclusive, c’est-à-dire que ses membres s’accordent sur un texte commun, et il y a toutes les chances que le PS dise adieu aux avancées promises. De retour à l’Assemblée – qui a le dernier mot –, le texte se verrait alors rejeté par l’ensemble de la gauche, et le gouvernement pourrait adopter le budget par ordonnance.

Soit la CMP est non conclusive, et le PLFSS revient dans les deux chambres pour une lecture définitive. Il faudrait alors que l’Assemblée retravaille la copie et réintègre les amendements votés en première lecture pour faire passer la suspension. Or, au regard des délais à tenir, les chances d’aboutir en temps et en heure seraient quasi nulles, ce qui renverrait là aussi le gouvernement à ses ordonnances. « En réalité, quel que soit le bout par lequel on prend le schmilblick, tous les chemins mènent aux ordonnances », résume le député insoumis Hadrien Clouet.

Du côté du PS, on balaie d’un revers de main les scénarios défaitistes. « Le gouvernement Lecornu s’étant mis dans les mains du groupe socialiste, s’il ne donne pas satisfaction, il est cuit, souligne François Malaussena, enseignant en droit constitutionnel et ancien conseiller du groupe socialiste à l’Assemblée. Or il a quand même une certaine latitude pour trouver des solutions dans le cadre constitutionnel actuel, par exemple en fermant les yeux sur les délais à respecter au moment de la lecture définitive à l’Assemblée – il y a des précédents. Et si cela ne fonctionne pas, il peut aussi proposer in fine un projet de loi ad hoc de suspension de la réforme des retraites. »

Olivier Faure mise lui aussi sur le rapport de force instauré ces dernières semaines. « Si on n’a pas satisfaction sur le PLFSS ou si le gouvernement veut passer par les ordonnances, c’est simple : on censurera. C’est donc au gouvernement de se débrouiller pour tenir ses promesses. Et s’il ne le fait pas, il sautera », avance le premier secrétaire, persuadé que les macronistes et LR sauront se montrer raisonnables pour éviter une dissolution qui se révélerait fatale dans leurs rangs.

Une dernière hypothèse qui pourrait, au fond, ne pas déplaire à Emmanuel Macron, lequel aura tôt fait de renvoyer la faute d’une nouvelle dissolution sur ces parlementaires immatures. Comme une manière ultime de s’absoudre, une fois encore, de sa propre responsabilité dans le bourbier qu’est devenue sa crépusculaire fin de mandat.

Pauline Graulle


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